Dans son traité fondateur de 1975, la CEDEAO s’est attribué, entre autres, le pouvoir de prévenir et de résoudre à temps les conflits inter et intraétatiques (article 58). Une armée, l’Ecomog, a également été mise en place, en 1990, dans le contexte de la guerre sierra-léonaise pour atteindre ce but. Or, voilà que cette organisation régionale et ses différents organes échouent à réaliser cet objectif. Ils sont devenus, au mieux, spectateurs des sinistres qui s’étalent devant nous, au pire, des bourreaux qui infligent le coup de grâce aux victimes de son inaction.
En 2012, des militaires essayaient de repousser, en vain, au nord du Mali des terroristes, faute de munitions et de moyens. Voyant leurs maris tomber sous les coups des forces ennemies, les femmes et proches de ces forces de défense ont manifesté en demandant à l’État malien des moyens pour leurs époux. Mais hélas ! ils n’ont pas été entendus.
Face à ces pertes de vies humaines sans cesse grandissantes, des militaires ont pris la décision qui s’imposait : renverser le gouvernement légitime qui fut incapable de garantir la sécurité des populations. Cette décision a été soutenue par la population. En tout cas, elle n’a pas été dénoncée. La CEDEAO, garante de la démocratie ou de l’ordre constitutionnel – on ne sait lesquels –, est intervenue pour exclure le Mali de cette organisation régionale. Alors qu’elle aurait dû prendre les mesures nécessaires à temps pour réaliser les objectifs qui justifient sa raison d’être – sécurité territoriale notamment –, en faisant intervenir l’Ecomog ou en constituant assez rapidement une force d’intervention, elle a préféré amputer un malheureux accidenté. C’est la France qui, finalement, a répondu au cri d’alarme d’un Mali souffrant et mourant. On connait les résultats des neuf ans de la présence française au Mali. Il semble, d’après certains médias français – point n’est besoin de rappeler la position des Africains sur cette question – que les résultats n’ont pas été à la hauteur des attentes.
Au contraire, la situation sécuritaire s’est dégradée sous les yeux de la CEDEAO et de l’UA. Toujours dans ce même contexte et face à l’échec des forces françaises, le peuple malien a, à nouveau et à plusieurs reprises, fait entendre sa voix. Silence radio du côté de la CEDEAO et de l’UA. Encore une fois, les militaires ont répondu à ces appels en 2020 et en 2021. Pas une sans deux. Chaque fois, ils sont soutenus par les populations. Inconsciente ou somnolente, la CEDEAO intervient encore pour sanctionner. Sans effets. Sous le haro des Maliens et des populations sœurs. Même son de cloche chez les voisins en Guinée et au Burkina Faso où elle n’a pas répondu aux cris de cœur des populations, lorsque les populations et l’armée burkinabé réclamaient plus de moyens pour repousser les terroristes. Silence radio. Elle s’est contentée, comme toujours et sans honte, d’appliquer des sanctions, sans fondements, réclamées ou encouragées depuis l’étranger.
Premièrement, ces sanctions sont prises en violation des textes fondateurs. L’embargo mis sur certains produits, le gel des avoirs financiers de l’État et la fermeture des frontières n’étaient pas prévus par les textes régissant la Communauté. C’est d’ailleurs pourquoi la Cour de justice de l’UEMOA, dans sa décision du 24 mars 2022, a suspendu ces sanctions. Or, malgré cette décision, les sanctions n’ont pas été levées par la Communauté. Elles sont d’autant contraires au bon sens que le Mali est un État enclavé.
Deuxièmement, ces sanctions illégales, semble-t-il, si elles n’ont pas été réclamées et imposées, elles sont à tout le moins encouragées par des puissances étrangères, dont la France en particulier. Il suffit de penser aux différentes déclarations de l’Union européenne, d’Emmanuel Macron et de ses ministres Jean-Yves Le Drian et Florence Parly. Mohamed Bazoum, l’un des dirigeants les plus éclairés de la CEDEAO, dénonçait avec courage en conférence de presse à l’Elysée, le 9 juillet 2021, que « ces sanctions et tout le reste, n’était pas prévus par les textes ». En d’autres termes, le Niger se désolidarise des sanctions infligées au Mali.
En violant les textes et en négligeant leurs propres missions, les organisations régionales ont perdu toute crédibilité aux yeux des populations et auprès de certains de leurs partenaires. Elles ont touché les tréfonds du désespoir et de l’impopularité avec ces sanctions infligées au Mali. La CEDEAO et l’UA ont doublement échoué. Elles ont échoué à atteindre les objectifs de garantie de la démocratie et de la sécurité qu’elles se sont assigné dans leurs traités fondateurs. Elles ont également échoué en isolant des populations qui craignent pour leur sécurité et qui, pour se protéger, en appellent aux « capables », c’est-à-dire les militaires, en rejetant les gouvernements dits « légitimes » mais incapables d’assurer leur sécurité.
Ces différentes crises politiques montrent que le moment est venu, soit de chanter le requiem de ces organisations moribondes qui servent de décor et dont les populations ne voient pas l’utilité, soit de leur faire subir une cure de jouvence. Or, le conflit russo-ukrainien, qui pousse la Finlande et la Suède à adhérer à l’OTAN afin d’assurer leur sécurité, nous oblige à écarter la première hypothèse et à lutter pour la renaissance de cette organisation régionale et de ses organes d’intervention. Le contexte mondial actuel n’est pas favorable à l’isolement politique et sécuritaire. L’exclusion du Mali risque de provoquer des effets contraires à ceux escomptés par la CEDEAO en le sanctionnant. D’ailleurs, les Maliens ne sont pas les seuls à souffrir de ces sanctions. Des pays membres de la Communauté, tel le Sénégal, n’en sont pas épargnés.
Devrait-on rappeler que la mission principale de la CEDEAO réside plus dans la prévention que dans la réaction et la sanction ? Et dans l’assistance à un peuple en danger ? Il semble que le principal facteur, sinon le seul, pouvant « expliquer » les renversements des différents gouvernements dits « légitimes et constitutionnels », est le défaut de réalisation de la véritable Constitution de ces États. Cette dernière ne doit pas être entendue au sens de texte, de loi, mais doit être envisagée du seul angle de sa finalité : assurer le bonheur des peuples. Ce bonheur doit d’abord, en ce qui concerne l’Afrique subsaharienne, passer par une sécurité alimentaire et une sécurité sociale et territoriale.
Les gouvernements légitimes des États concernés étaient-ils en mesure de garantir ces deux exigences ? On ne peut totalement répondre par la négative. La CEDEAO avait-elle pris des mesures préventives surtout pour lutter contre les terroristes au Mali et au Burkina Fasso ? Non ! A-t-elle une fois, au moins, pris les mesures nécessaires pour empêcher les coups d’État constitutionnels, qui se manifestent par des modifications illégitimes des Constitutions afin de permettre à un « homme » de s’éterniser au pouvoir ? Non.
Ces organisations se sont mises volontairement dans une léthargie assez profonde qui les prive de tout moyen de prévention. Et d’action. Les cris de colères des populations ainsi que les coups d’État constitutionnels ne semblent pas les alerter. Seuls les coups d’État militaires les réveillent du coma dans lequel elles se sont mises. Car il semble que c’est en ce domaine qu’elles ont développé une expertise particulière.
Il ne serait pas abusif d’avancer, prudemment bien sûr, que ces organisations cultivent une forme d’hypocrisie dont elles ne souhaitent pas se détourner. Tout est question de volonté. L’Afrique a les moyens pour lutter contre les entités terroristes. L’Afrique a les moyens pour prévenir les coups d’État de la nature de ceux auxquels l’on assiste actuellement.
Il serait souhaitable que ces organisations tirent leçons du passé et du contexte actuel pour commencer par exister. Exister réellement.
D’abord, concernant les sanctions à infliger aux États, on pourrait envisager l’unanimité, surtout pour les décisions de la nature de celles prises pour sanctionner le Mali.
Ensuite, on connait les explications de ces coups d’État, qui tirent leur origine première dans l’affaiblissement des Gouvernements ou de leur « faible engagement » pour lutter efficacement contre la pauvreté et le terrorisme, car ils ne fournissent pas des moyens aux militaires sur les fronts. En tout cas, c’est ce qui justifie les soutiens apportés par les populations aux militaires.
Elles – ces organisations -, doivent encourager les États membres à fournir assistance sociale et économique aux populations. En tout cas, il semble nécessaire de cultiver une sorte d’interventionnisme étatique auprès des populations les plus pauvres. Car, de la pauvreté nait l’envie de collaborer avec les terroristes.
Enfin, au lieu de laisser des États signer des contrats faramineux avec des sociétés de sécurité privées ou avec des puissances étrangères qui ne feront, finalement, que piller des ressources minières, il est plus que temps pour ces organisations de constituer une véritable force militaire propre protéger leurs frontières. Il est étonnant qu’au XXIe siècle et dans le contexte actuel où les États se renforcent militairement dans le monde entier, la CEDEAO ne dispose d’aucune force digne de ce nom pour se défendre en cas d’agression, afin de satisfaire les objectifs définis à l’article 58 du traité d’Abuja. Nul ne peut avancer que la CEDEAO ainsi que ses 15 États constitutifs ne disposent pas de moyens financiers, humains, militaires nécessaires. Si ses statuts ne le permettent pas, il faut dans ce cas envisager une alliance militaire, comme l’OTAN.
Cela aurait plusieurs avantages. D’une part, cette alliance militaire permettrait à l’Afrique de commencer par véritablement exister dans le concert des nations, et de n’être plus qu’un « bétail » qui nourrit les autres. D’autre part, on connait tous les résultats des interventions étrangères en Afrique. L’épisode lybien est encore présent dans les esprits. La France a échoué au Mali, les terroristes ont gagné du terrain. On connait l’adage : « on n’est jamais mieux servi que par soi-même ». Enfin, l’Afrique cesserait de quémander aides et protection ; elle sera respectée par tous. Elle en a les moyens. Le reste est une question de volonté. La jeunesse en est consciente, les puissances étrangères tremblent. Il faut accompagner cet « engagement » par des politiques publiques adaptées. Il est temps d’écrire l’Histoire africaine.
Source: L’Alternative