Prestidigitations économiques au Togo: Où est donc passé le fameux PND ?

Beaucoup ont certainement oublié l’existence de ce galimatias nommé Plan national de développement (PND). On en avait suffisamment rebattu les oreilles des Togolais, le décrivant presque comme le sésame qui allait transformer le Togo en un eldorado et offrir le bonheur tant attendu aux populations, organisé tout un tintamarre autour. Mais curieusement, plus personne n’en parle aujourd’hui. Un silence qui sonne comme un aveu de son échec tacite et donne au PND l’image d’un OVNI…

Ce n’était pas le tout premier plan, p

Les jours, semaines et mois qui ont suivi ce lancement officiel, c’était ce qu’il convient d’appeler le « PND Time ». On mangeait, buvait, respirait le PND. Dans tous les discours des officiels, même dans les oraisons funèbres, on trouvait toujours une place pour le programme ou projet de développement des détenteurs du titre foncier du Togo. Mais le Plan national de développement (PND) aura battu tous les records de tapage médiatique.

Folklore et vacarme à gogo

Stratégie de croissance accélérée et de promotion de l’emploi (SCAPE), Programme d’urgence de développement communautaire (PUDC)…Les Togolais en avaient déjà suffisamment entendu dans les oreilles. Le régime cinquantenaire en place, depuis la montée au trône du « Jeune Doyen » en tout cas, avait le génie (sic) d’inventer des programmes ou projets clinquants, notamment à l’orée des échéances électorales, et les vanter pour gruger les naïfs. Mais le PND, le cadet de ces plans a cette particularité d’avoir ravi la vedette à ses ainés en termes de folklore, mieux, de vacarme.

Son lancement, le 4 mars 2019, n’était pareil à nul autre. Il était fait dans la solennité la plus absolue, à l’Hôtel 2 Février, l’hôtel des grands événements, devant le gotha d’économistes d’Afrique et du monde : Lionel Zinsou, banquier d’affaires ; Gilbert Houngbo, patron du Fonds international de développement agricole (FIDA) ; Ade Ayeyemi, Directeur Général d’Ecobank ; Carlos Lopez, économiste et Chief PND Adviser ; Patrick Sevaistre, enseignant à l’École des hautes études commerciales de Paris et spécialiste des partenariats public-privé. Mais aussi en présence, avait-on claironné, d’investisseurs nationaux et étrangers, de bailleurs de fonds et de partenaires diplomatiques. Comme un indice de sa notoriété (sic), la mise en œuvre du PND avait déjà débuté avant qu’il ne soit officiellement lancé.

Les discours servis à l’occasion étaient assez mirifiques, à même de séduire une vierge…« Le PND porte de grandes ambitions […] La République est riche de chaque fille et de chaque fils qui travaille à sa grandeur. Personne ne sera laissé de côté ». Le discours de Faure Gnassingbé avait eu l’effet d’inspirer les hôtes aussi. «Le PND n’est pas un document habituel, comme on en voit dans le cadre de la lutte contre la pauvreté », avait chanté Patrick Sevaistre. L’ancien Premier ministre béninois Lionel Zinsou y est allé de son « atalakou » (griotisme) : « C’est un travail absolument remarquable. Il y a la clarté de la vision et l’élaboration du plan a été collective et prudemment dans le temps. En plus de la vision, c’est l’ambition qui fait bouger le monde. Et c’est ce que je retrouve dans le PND. Sa différence d’avec les autres réside dans la méthode, la structuration et le professionnalisme». Que de doux mots!

Autre manifestation du folklore, le « PND Tour » lancé aussi à l’occasion. Il s’agissait de cette propagande consistant à chanter ce plan aux populations, les emballer…

Que devient le PND ? Programme-eldorado, c’est ainsi qu’était presque présenté le Plan national de développement, décrit comme le sésame manquant pour transformer le Togo en eldorado, ce paradis sur terre et offrir le bonheur tant attendu aux populations togolaises.

Doté d’un budget prévisionnel de 4 622 milliards de FCFA sur la période 2018-2022, le PND vise, avait-on dardé, la transformation structurelle de l’économie nationale. Il était construit sur trois (03) axes. D’abord la mise en place d’une plateforme logistique et d’un hub financier d’excellence. Ensuite le développement des pôles de transformation agricole, manufacturiers et d’industries extractives. Et enfin la consolidation du développement social et le renforcement des mécanismes d’inclusion. Au crédit de ce dernier axe, il était annoncé son organisation sur des piliers comme la création de cités modernes dans les zones urbaines et semi-urbaines ; l’aménagement de dix villes secondaires : Aného, Tsévié, Tabligbo, Amlamé, Badou, Bassar, Mango, Kanté, Tchamba et Pagouda, entre autres.

«Ce n’est pas juste un plan de plus. Ce n’est pas non plus un outil de théoriciens qui seraient les seuls à pouvoir en parler (…) Le PND est formulé dans une démarche inclusive et cohérente, dont la trame demeure la recherche de meilleures conditions de vie pour nos populations», avait chanté Faure Gnassingbé au lancement. Les bénéfices tirés des différentes actions étaient censés permettre d’accroitre les actions du gouvernement au profit des populations les plus vulnérables et les fonds à mobiliser devraient transformer structurellement l’économie «pour une croissance forte, durable, résiliente, inclusive et créatrice d’emplois, améliorant le bien-être social ». Avec le PND, il était annoncé, à termes, la création de cinq cent mille (500 000) emplois à l’horizon 2022.

Le temps est très vite passé et beaucoup de Togolais l’auraient certainement oublié, 2022 marque la fin de la mise en œuvre de ce plan des plans au Togo. Par rapport aux grandes promesses faites, il est aisé à chacun de faire le bilan. Point n’est besoin d’être un spécialiste pour le faire. Le bonheur promis en tout cas n’est pas au rendez-vous. Et aujourd’hui, c’est le silence total du côté des officiels, plus personne ne parle du PND, comme si on en a désormais honte. Un black-out qui sonne comme un aveu de l’échec de ce nième plan dit de développement au Togo. Toute chose qui donne à ce fameux PND l’allure d’un OVNI (objet volant non identifié) ayant traversé le ciel togolais, comme une météorite, puis a disparu…

Kako Nubukpo avait pourtant averti

Il n’avait pas attendu le terme de la mise en œuvre du PND pour faire part de ses doutes et alerter sur son échec prévisible. Très tôt, l’ancien ministre de la Prospective et de l’Evaluation des politiques publiques du Togo avait pointé les faiblesses de ce plan quinquennal malgré son caractère attrayant, sa conception et sa mise en œuvre.

« (…) Les critères de bonne gestion de l’UEMOA sont, entre autres, l’interdiction d’avoir un déficit budgétaire supérieur à 3%. On voit très bien qu’il y a un problème entre le cadrage macro-économique du PND et les objectifs qu’il se fixe», avait-il relevé au cours d’une sortie, et d’ajouter : «Vous avez deux scénarii dans le PND. Le scénario central qui mise sur un taux de croissance de 5,2% par an (2018-2022) et vous avez le scénario optimiste qui mise sur un taux de croissance de 6,6%. A la lecture du document, je me rends compte que le scénario optimiste n’a aucune chance d’advenir. Ce n’est pas possible parce qu’on va faire exploser les critères de convergences de l’UEMOA. Notre rythme d’importation aujourd’hui pour réaliser le scénario optimiste, ce rythme d’importation n’est pas tenable. Et quand vous lisez le document, vous voyez que l’une des hypothèses est de se dire qu’il aurait une baisse de 10 points de pourcentage au niveau des importations soi-disant que les investissements auraient été déjà effectués et que dans la séquence 2018-2022, on ne va plus en faire. C’est pour cela que je dis que ça marche avec le scénario central avec un taux de croissance à 5,2 %, mais pas avec un taux à 6,6%».

L’enseignant d’économie à la Faculté des sciences économiques et de gestion (FASEG) de l’Université de Lomé avait fait observer que l’absence d’un scénario pessimiste, ajoutée à la mise en œuvre, plus précisément le coût de la coordination, pourraient être des goulots d’étranglement au bon déroulement du PND, et que dans son état d’alors, il ne ferait que contribuer à « un processus d’endettement croissant » du Togo puisqu’il «emprunte sur le marché de taux d’échange à 6,5%. Alors que le scénario de base est de 5,2% ». «Ce que moi j’ai constaté en tant qu’ancien ministre de la Prospective, c’est que vous avez une pluralité de centres de décision. Vous avez la présidence de la République qui impulse les projets. Mais ensuite, vous avez les ministères et la Primature. Cela suscite des coûts de coordination et donc des coûts de transaction. Ce sont des éléments à partir desquels nous devons nous dire : attention. Moi ce qui m’a surpris aussi, c’est qu’il n’y a pas de scénario pessimiste », avait-il souligné. Les faits semblent lui donner raison aujourd’hui.

Source : L’ Alternative.info

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