Cela fait vraiment froid dans le dos de voir combien la conscience politique s’émousse dans nos pays, au moment où on a le plus besoin de citoyens engagés, prompts à contrôler, orienter et sanctionner les actions des gouvernants devant le naufrage de plus en plus prononcé de nos Etats.
Voici trois jours maintenant qu’un des artistes les plus célèbres de la Côte d’Ivoire, Bebi Philip, est au centre d’une grosse polémique. L’affaire ?
Durant sa prestation à l’élection Miss Côte d’Ivoire 2022 (un évènement qui ne sert à rien dans l’absolu, si ce n’est encourager la prostitution et le proxénétisme), durant sa prestation donc, l’artiste a profité de la tribune pour parler, en une dizaine de mots, du phénomène de la vie chère en Côte d’Ivoire et exhorté les autorités à agir pour soulager les populations.
Bebi Philip n’a indexé personne, insulté personne, jeté la pierre à aucune autorité ivoirienne. Mais depuis samedi, ceux-là même pour qui il a pensé s’exprimer, ceux qui sont directement frappés par l’inflation et la misère, l’ont cloué au pilori.
On l’accuse de tout : il a manqué de respect au président et au gouvernement, il est manipulé par les opposants, il a humilié la Côte d’Ivoire devant les invités (comme si la Côte d’Ivoire avait besoin d’autre chose pour être humiliée, elle qui a déjà Makosso qui se présente partout comme un pasteur ivoirien).
On comprend aisément pourquoi la cohue de détraqués mentaux, d’amuseurs publics sans talent, de voyous analphabètes, d’escrocs, de prostituées du web regroupés sous les termes « blogueurs », « coachs » et «influenceurs » ont si facilement pignon sur rue dans les chancelleries de nos pays, eux qui sont adulés et reçus par les ministres, les premières dames, les députés, même les présidents… Ils contribuent largement au seul programme de gouvernance que nos Etats ont : divertir les masses et les éloigner des enjeux vitaux.
Comme quoi, dans nos pays, les seuls thèmes dont on est désormais autorisé à parler pour ne pas courir le risque de devenir un ennemi public sont : le sexe, la musique, le sexe encore, la vie privée des stars, le football, le sexe une fois de plus, les élections miss, le sexe toujours, les commérages de bas-de-ceinture, le sexe pour terminer…
Soutien à toi, Bebi Philip. Je sais que désormais tu vas t’autocensurer, parce que les conséquences de ton « crime » sur ta carrière ne vont pas être négligeables. Mais tu as au moins essayé. Et pour ça tu mérites du respect.
David Kpelly