Interview : Financement, décentralisation, justice, présidentielle 2020, corruption… : L’ambassadeur de l’UE au Togo s’exprime

Dans un entretien exclusif avec la Rédaction du bihebdomadaire L’Alternative, l’ambassadeur de l’Union Européenne au Togo, Monsieur Joaquin TASSO VILALLONGA est revenu sur le partenariat entre le Togo et l’UE, surtout le financement des projets de développement, la décentralisation avec l’élection communale en 2019, la justice togolaise, la crise générée par la présidentielle de 2020, la lutte contre la corruption et bien d’autres sujets d’actualité.

L’ALTERNATIVE : Vous êtes au Togo depuis un moment, quelles impressions avez-vous du pays et de son peuple ?

Monsieur Joaquin TASSO VILALLONGA : Cela pourrait sembler une réponse clichée, mais honnêtement ce qui m’a le plus touché depuis mon arrivée au Togo, en septembre 2020, c’est l’amabilité et l’hospitalité des gens. Malgré la pauvreté et les multiples carences à tous les niveaux, là où je vais, même dans les plus humbles des hameaux, je suis toujours accueilli chaleureusement et généreusement. J’ai parfois du mal à trouver des mots pour exprimer ma gratitude à leur égard.

Je suis aussi fort impressionné par la détermination, le courage et la dignité des femmes togolaises, leur sens de l’initiative, leur esprit entrepreneur –souvent dans des circonstances très difficiles–, et leur résilience. Je suis convaincu qu’investir dans les femmes et les filles togolaises est la meilleure stratégie de développement et la plus durable, car lorsque la situation de la femme s’améliore, c’est toute sa famille et la société dans son ensemble qui en bénéficient.

L’UE est le premier partenaire du Togo, peut-on avoir une idée réelle des fonds alloués au Togo ? L’UE finance des projets dans plusieurs secteurs du pays ; quelle évaluation faites-vous de tous ces projets, contribuent-ils vraiment à la réduction de la pauvreté au Togo ? La banque d’investissement de l’UE était en prospection au Togo il y a quelques jours, qu’est-elle venue faire réellement ?

L’UE a récemment entrepris une refonte de ses instruments financiers d’actions extérieures accompagnée d’un nouveau cycle de programmation. Au Togo cela s’est traduit par un accroissement progressif des fonds alloués au partenariat Togo-UE depuis de nombreuses années. A titre indicatif, l’enveloppe actuelle est de près de 100 milliards de FCFA pour la période 2021-2024, auquel il faut ajouter des allocations sous les programmes régionaux et thématiques ainsi que des fonds d’urgence.

Mais au-delà des montants, ce qui est important de mentionner est que dans le souci de maximiser l’efficacité et l’impact de notre coopération, l’UE et ses Etats Membres présents au Togo (à savoir l’Allemagne et la France), aussi appelée « l’Équipe Europe », ont entrepris une programmation conjointe. Cela signifie que la définition des priorités européennes s’est non seulement faite conjointement, mais aussi que pour sa mise en œuvre, nous renforçons les liens entre les différentes organisations de coopération européennes qu’elles soient financières comme la Banque européenne d’investissement (BEI), la KfW (Kreditanstalt für Wiederaufbau), l’AfD (Agence française de Développement) ou techniques comme la GIZ (Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit) ou encore Expertise France.

C’est donc dans cet esprit que l’ « Équipe Europe » cherche à renforcer son partenariat politique, économique, commercial, culturel et sécuritaire avec le Togo en retenant une stratégie de coopération articulée sur trois axes : Le développement humain et l’inclusion socio-économique, notamment l’accès aux services de base (eau, assainissement, éducation, santé, culture, énergie, connectivité); le soutien aux agro-industries durables et la gestion des ressources naturelles, tout en veillant à la préservation de l’environnement et de la biodiversité; et la consolidation d’une société apaisée et résiliente, en promouvant la paix et la sécurité, la bonne gouvernance, la modernisation de l’action publique et la décentralisation.

Dans un passé récent, l’UE a injecté plusieurs milliards dans la réforme de la justice togolaise. Aujourd’hui cette justice est autant décriée par les responsables que les citoyens. Finalement, les fonds de l’UE n’ont pas servi à grand-chose ?

Notre évaluation de l’impact de la coopération de l’Union européenne dans la réforme de la justice au Togo est plus mitigée. Par exemple, dans le domaine de l’accès des enfants à la justice, où nous avons soutenu un grand programme chapeauté par l’UNICEF, il y a eu des progrès importants, en particulier en ce qui concerne le traitement des enfants en contact avec la loi et leur protection –y compris les conditions de détention des mineurs-.

La modernisation du cadre législatif, notamment dans les domaines du droit pénal et administratif et de l’organisation judiciaire, a également reçu un appui financier important de l’Union européenne. A la fin de notre soutien, ces textes se trouvaient à différents états d’avancement et n’étaient donc pas encore validés. Cependant, nous avons obtenu les assurances du Ministre de la Justice quant à la poursuite des travaux entamés en vue de leur conclusion. De tous ces textes, celui qui pourrait être promulgué le plus tôt c’est le nouveau Code de procédure pénale, qui devrait faciliter le travail des magistrats tout en renforçant les garanties constitutionnelles des parties.

En tout cas, la réforme de la justice togolaise reste un énorme chantier, dont le succès exigera non seulement des ressources humaines, techniques et financières considérables, mais aussi une stratégie à long terme et l’implication déterminée de tous les acteurs concernés, en commençant par les juges et les procureurs. Dans ce sens, les propos de Me Yaya Bawa Abdoulaye, président de la Cour Suprême du Togo et du Conseil supérieur de la magistrature, lors de sa conférence de presse du 26 août 2021 méritent une réflexion.

Le monde depuis plus d’un an est frappé par la Covid-19. Les pays africains déjà fragiles, sont très affectés. Est-ce que l’UE apporte un appui particulier au Togo dans le cadre de la pandémie ?

Depuis le début de la pandémie, l’Union européenne a répondu à l’appel du gouvernement togolais et a été l’un des principaux acteurs, aux côtés de l’équipe de riposte à la pandémie, notamment avec le déblocage immédiat d’une enveloppe de 11,3 milliards de francs CFA sous forme d’appui budgétaire visant à soutenir les initiatives du gouvernement pour juguler les effets négatifs de la crise sanitaire.

Parallèlement, une enveloppe additionnelle de 1.3 milliards de francs CFA avait été débloquée pour la construction de centres de soins pour les patients COVID, l’acquisition de matériel logistique, de véhicules, de matériel médical, de kits de test d’antigène Covid-19, ainsi que de nombreuses activités de désinfection pour les centres médicaux et des marchés, de prise en charge psychologique des patients, de sensibilisation et de communication au sein des populations urbaines et rurales à travers le pays.

Il faut rappeler que l’Union européenne et ses Etats-Membres, « l’équipe Europe », est également l’un des principaux contributeurs au mécanisme COVAX, l’initiative mondiale visant à assurer un accès équitable et juste à des vaccins contre la COVID-19 et a assuré l’arrivée au Togo de près de 4 millions de doses.

Nous sommes heureux d’avoir pu contribuer aux excellents résultats obtenus par le Togo dans la riposte contre cette maladie, notamment dans la vaccination où la couverture est à ce jour l’une des meilleures en Afrique subsaharienne. Le Togo a également été le premier pays d’Afrique subsaharienne à obtenir l’équivalence de son certificat numérique vaccinal avec l’UE.

Nous continuons d’appuyer le Togo dans cette phase post-pandémie très délicate à travers notre programmation conjointe qui couvre la période 2021-2027.

Nous avons une idée de ce que l’UE apporte au Togo, dans l’autre sens, quelle est la part des entreprises togolaises sur le marché européen ?

L’Union européenne est le principal partenaire commercial du Togo. En 2020, dernière année dont les statistiques sont disponibles, nous avons fourni 25,5% des importations togolaises et nous avons acheté 8,5% de vos exportations. Afin d’équilibrer cette balance commerciale et de favoriser d’avantage les exportations togolaises vers l’Union européenne, nous avons accordé un accès illimité au marché européen à tous les produits togolais, sans tarifs douaniers ni quotas, et sans exiger la réciprocité. Aucun autre partenaire offre au Togo un régime commercial plus favorable.

Le Togo est classé deuxième fournisseur d’Afrique sub-saharienne en produits agroalimentaires biologiques sur le marché européen en 2019 et 2020. La filière bio bénéficie-t-elle d’une attention particulière de l’UE?

Il faut d’abord signaler que les habitudes alimentaires des européens sont en train de changer. Nos jeunes et moins jeunes sont plus soucieux de l’environnement, du changement climatique, du bien-être animal et des conditions de travail des agriculteurs dans les pays producteurs. Un nombre grandissant d’européens sont prêts à payer plus cher pour des produits alimentaires de qualité, biologiques, issus du commerce équitable et respectueux de l’environnement. Et on observe la même tendance dans d’autres pays occidentaux. On constate également en Europe une forte augmentation du nombre de végétariens, notamment chez les jeunes. A Berlin, par exemple, 96% des menus offerts dans les cantines universitaires ne contiennent plus de viande ni de poisson. On peut donc prédire avec confiance que la demande européenne de produits alimentaires issus de l’agriculture biologique va continuer à augmenter de façon exponentielle.

Le Togo est très bien placé pour tirer un maximum de bénéfice de cette opportunité, car il est déjà le deuxième fournisseur de produits agricoles biologiques (premier pour le soja) au marché européen, ce qui représente une énorme réussite et qui montre clairement le chemin à suivre. Un petit pays comme le Togo ne peut pas concurrencer les grands exportateurs agricoles mondiaux en termes de quantité, mais il a déjà largement démontré qu’il peut très bien le faire en qualité, en misant notamment sur l’industrie agroalimentaire bio. Promouvoir ces filières agricoles est aussi une meilleure stratégie de développement, non seulement pour la valeur ajoutée intrinsèque des produits bio, mais parce qu’elles sont fort génératrices d’emplois (notamment des femmes), plus respectueuses de l’environnement et donc plus durables. Avec la flambée des prix des engrais, qui est en train d’anéantir le profit des agriculteurs et exige d’importantes subventions publiques, le basculement vers l’agriculture biologique, qui n’utilise pas ces engrais, est encore plus logique.

L’Union européenne a fourni un appui considérable ces dernières années au développement de la filière de l’ananas bio au Togo, en investissant dans la formation des agriculteurs pour augmenter la qualité et le rendement (tout en réduisant la consommation d’eau), en renforçant les capacités des coopératives, les réseaux de transport…, et en soutenant la transformation de l’ananas sur place, la certification des produits et leur commercialisation. Nous sommes très satisfaits des résultats de ce projet. Il y a aussi un certain nombre d’initiatives privées absolument remarquables dans le développement d’autres filières bio au Togo comme le soja, la noix de cajou ou le miel, dont l’impact en termes de réduction de la pauvreté est immédiatement appréciable.

Quels sont donc les défis ? Comment favoriser davantage le développement des industries agroalimentaires biologiques au Togo ?

Je vois au moins cinq défis importants. Tout d’abord la question de l’image de la marque Togo ; elle n’est pas mauvaise, mais plutôt méconnue. Le cacao togolais, par exemple, a récemment remporté deux médailles d’or à Rome lors du « Cocoa of Excellence Awards », ce qui confirme sa qualité exceptionnelle. Le café et beaucoup d’autres produits agricoles togolais sont aussi excellents, et pourtant ils restent largement inconnus. Il faudrait investir dans leur promotion, leur faire connaître et apprécier. Penser, par exemple, à l’établissement des appellations d’origine, dont la qualité des produits est contrôlée. Pourquoi pas une AOP Café de Kuma ou Haricot de Tsévié ? La valeur ajoutée serait considérable.

Il y a aussi le problème de la certification bio, qui est faite aujourd’hui par des organismes étrangers et requiert des procédures longues, complexes à des coûts fort élevés, ce qui décourage les producteurs togolais. Il faudrait faciliter cette certification et sa reconnaissance.

Le troisième défi est celui de la transformation. Il est très bien d’exporter des fèves et des noix biologiques, mais cela serait encore mieux d’exporter des produits élaborés, car la transformation génère plus d’emplois et ajoute plus de valeur aux produits agricoles. Le soja, par exemple, offre de multiples possibilités en termes de transformation.

Le quatrième concerne le rendement. Comme la Banque Mondiale vient de le signaler dans son récent « Mémorandum économique du Togo », la production à l’hectare au Togo n’a presque pas augmenté en trente ans et reste plus faible que celle des pays voisins. La croissance de la production agricole au Togo a été donc exclusivement due à l’extension des terres cultivées, ce qui a contribué à la déforestation. Il faudrait donc investir dans l’amélioration de la productivité agricole.

Et le cinquième et sans doute le défi le plus complexe est celui d’assurer un équilibre entre la production agricole pour exportation et la culture des terres pour la consommation interne, notamment dans un contexte de forte croissance démographique et de changement climatique, dont les effets sur les récoltes –et sur les prix des denrées de base pour les ménages– sont déjà une réalité préoccupante; non seulement au Togo, mais dans toute la sous-région. Il faudrait donc penser à la diversification des cultures, aux besoins et habitudes alimentaires des Togolais et à l’adaptabilité climatique (produire un kilo de riz requiert entre six et dix fois plus d’eau qu’un kilo de maïs !) et assurer une bonne planification avec tous les acteurs concernés, ainsi qu’une coopération régionale plus étroite pour assurer cet équilibre.

La flambée des prix des denrées de base et des engrais, n’est-elle pas aussi due à la guerre en Ukraine et aux sanctions européennes?

La brutale agression russe en Ukraine, illégale et non provoquée a certainement aggravée la crise alimentaire mondiale, mais soyons clairs: La Russie en est le seul responsable ! Les sanctions de l’Union européenne ne ciblent nullement les exportations de blé ou d’engrais russes alors que l’Ukraine est, elle, empêchée par la Russie d’exporter son grain par le blocus de la Mer noire, le minage des ports, et la destruction des infrastructures agricoles et de transport ukrainiennes par l’armée de Poutine.

La vraie réponse aux difficultés rencontrées sur les marchés mondiaux de l’énergie et de l’alimentation, c’est la fin de la guerre. Celle-ci ne peut pas passer par l’acceptation du diktat russe mais par le retrait de la Russie d’Ukraine. Le respect de l’intégrité territoriale des Etats et le non recours à la force ne sont pas des principes occidentaux ou européens. Ils sont au fondement de tout le droit international. La Russie les piétine allègrement. Accepter une telle violation ouvrirait la porte à la loi de la jungle à l’échelle mondiale.

Parlons de la décentralisation dont l’UE est l’un des grands partenaires. Qu’est-ce qui a été fait jusqu’à présent ? Beaucoup d’observateurs estiment que c’est une fausse décentralisation dans laquelle les maires n’ont pas le pouvoir de travailler librement. Etes-vous de cet avis ? Quels sont selon vous les obstacles de ce processus ? Qu’est-ce qu’il faut faire au Togo pour une décentralisation complète et réussie ?

L’objectif de toute décentralisation c’est de rapprocher l’administration publique des citoyens afin de rendre l’action de l’Etat non seulement plus efficace, mais aussi plus efficiente. Il est évident que les entités locales, étant le niveau de l’Etat le plus proche des citoyens, peuvent avoir un impact plus immédiat dans l’amélioration des conditions de vie de la population, notamment à travers la fourniture des services de base. Cette proximité favorise aussi une plus grande implication des citoyens dans la gestion des affaires publiques, renforçant ainsi la gouvernance et l’attachement à l’Etat.

Or, il n’y pas un seul modèle de décentralisation; chaque pays adopte celui qui s’adapte le mieux à ses besoins et sa culture politique. Dans l’Union européenne, la décentralisation existe dans tous les pays, mais à des degrés très différents et avec des compétences très variables. Souvent, les entités régionales et/ou locales exercent non seulement des compétences propres (décentralisation proprement dite), mais aussi des compétences déléguées par l’administration centrale de l’État (ce qu’on appelle déconcentration). Qu’elle soit propre ou déléguée, l’exercice de toute compétence par une administration locale ou régionale exige la mise à disposition des ressources matérielles, humaines et financières nécessaires.

Et pour cela nous considérons qu’il faudrait élaborer une Stratégie de la décentralisation, accompagnée Il appartient donc aux Togolais et en premier lieu à leur gouvernement, de définir le modèle de décentralisation souhaité pour leur pays, clarifier et communiquer les rôles politiques, les principes, les compétences et les exigences de la décentralisation, notamment en termes de financement des Communes, et doter celles-ci de meilleures capacités administratives et techniques d’un Plan d’action, idéalement en consultation avec les Communes et les régions.

En tant que partenaire du Togo, l’Union européenne a soutenu l’organisation des élections communales en 2019, la formation des femmes Secrétaires-Générales des maries, l’établissement du Fonds d’appui aux communautés territoriales… Ensemble avec l’Allemagne, nous avons également financé, dans le cadre du projet PRODEGOL, la rénovation et l’équipement de nombreuses maries, l’élaboration des Plans de développement communaux, la modernisation de l’État civil, le recensement des contribuables, etc. L’élaboration d’une Stratégie et d’un Plan d’action de la décentralisation nous permettrait de renforcer davantage et mieux cibler notre soutien dans ce domaine clé.

La Présidentielle du 22 février 2020 comme d’autres avant a débouché sur une crise. Le candidat de la DMK Agbeyomé Kodjo en exil depuis estime avoir remporté cette élection. On n’a pas beaucoup entendu l’UE sur cette élection.  Il y a plusieurs acteurs politiques togolais en exil qui ne peuvent pas rentrer dans leur pays ; il y a des prisonniers politiques et d’opinion, que faut-il faire pour un apaisement de la situation politique ? L’UE peut-elle jouer un rôle ? Il y a quelques mois, vous avez appelez les acteurs politiques à une concertation. Il y a eu ensuite une rencontre dénommée « Concertation nationale des acteurs politiques ». Comment appréciez-vous les conclusions de ce dialogue ? Pour vous, par quel moyen doit-on arriver à l’alternance au Togo ?

Suite à la proclamation par la Cour constitutionnelle togolaise des résultats définitifs de l’élection présidentielle du 22 février 2020 et selon la pratique diplomatique courante, les Présidents du Conseil européen et de la Commission européenne ont envoyé une lettre conjointe de félicitations au Président Gnassingbé pour sa réélection, tout en réitérant l’engagement de l’Union européenne, en étroite coordination avec ses partenaires internationaux, y compris la CEDEAO, de continuer à accompagner les réformes politiques et économiques au Togo, ainsi que les efforts de dialogue et de réconciliation.

Je voudrais préciser que nous n’avons pas appelé à une concertation, mais –ensemble avec nos partenaires du G5– encouragé toutes les forces politiques togolaises à participer à la concertation nationale lancée par le gouvernement (CNAP). Quant aux conclusions de cette concertation, la sécurisation des bulletins de vote et l’identification biométrique des électeurs devrait sans doute contribuer à la crédibilité des processus électoraux. Nous saluons aussi les mesures d’apaisement proposées, en particulier la sollicitation de la grâce présidentielle pour les personnes arrêtées et jugées en marge des manifestations pacifiques publiques, et l’amendement de la loi des manifestations, visant à élargir les plages horaires et les itinéraires autorisés –une des recommandations de la Commission Nationale des Droits de l’Homme et des rapporteurs de Nations-Unies.

Suite au récent établissement d’un nouveau cadre permanent de concertation (CPC) entre les acteurs politiques, avec un mandat élargi, au-delà des questions électorales, nous avons rencontré les membres du bureau et nous les avons encouragés à maximiser leurs efforts pour que ledit cadre permanent soit le plus inclusif possible. L’Union européenne a toujours encouragé toutes les forces politiques togolaises à résoudre pacifiquement, par le dialogue, les divergences pouvant émerger entre elles, avec le même esprit constructif qui avait conduit à l’Accord politique global de 2006.

Selon Transparency International, le Togo figure parmi les pays les plus corrompus au monde. La perception d’impunité est très répandue dans la société togolaise. Des cas gravissimes comme l’affaire Bolloré ou le « pétrolegate » ne font même pas l’objet d’une enquête dans notre pays. Trouvez-vous cela normal ? L’Union européenne n’a rien à dire sur ce fléau ?

La corruption nuit à la croissance économique et à la compétitivité, en tordant les décisions des agents économiques et en décourageant les investisseurs. Très souvent, la corruption se traduit par un détournement des fonds publics et par la perte de recettes fiscales qui pourraient être utilisées à des fins sociales. La corruption a aussi un effet négatif sur le fonctionnement des institutions démocratiques et le climat des affaires. Elle affaiblit la gouvernance et l’Etat de droit.

Aucun pays n’est libre de corruption, mais certains pays sont plus efficaces dans la prévention et la répression de ce fléau. Le Togo s’est progressivement doté d’un cadre légal et institutionnel anticorruption –y compris une toute récente Stratégie nationale de lutte contre la corruption que nous saluons-. Or, pour être efficace et mettre fin à la perception d’impunité dont vous parlez, ce cadre légal et institutionnel doit être accompagné d’une action judiciaire exemplaire et –à toute évidence– d’un renforcement des capacités du parquet. En novembre dernier, le Forum Togolais de la Société Civile pour le Développement rappelait les 11 dossiers transmis par la HAPLUCIA au Procureur de la République qui attendraient toujours une suite.

Quant aux cas spécifiques que vous mentionnez et comme vous le savez sans doute, l’affaire Bolloré est en train d’être jugée en France et il ne serait donc pas prudent de se prononcer. Il faut laisser la justice suivre son chemin jusqu’à la fin. En tout cas, il appartient au parquet togolais –et non pas à nous les diplomates ! – de déterminer si les faits imputés sont également passibles de poursuite ici au Togo. En ce qui concerne l’autre cas dont vous parlez, l’affaire dit « pétrolegate », il faut saluer la célérité avec laquelle le gouvernement a commandé un audit, car les faits présumés sont extrêmement graves. Le rapport provisoire dudit audit est certes accablant, mais en même temps, cela démontre l’indépendance et le professionnalisme de l’Inspection Générale des Finances. Or, encore une fois, la décision de lancer une enquête et/ou une éventuelle poursuite en justice est la prérogative du Procureur de la République, qu’il faut respecter.

Il y a depuis un temps une dérive inquiétante en matière de violations des droits de l’homme : Restrictions des espaces d’expression et de manifestation, suspension de média, arrestations, torture. Quel regard portez-vous sur la situation des droits de l’homme au Togo ? Dans l’opinion, il est souvent reproché aux partenaires dont l’UE de fermer les yeux sur les questions de violations de droits de l’homme. Avez-vous sacrifié les questions de respects de droits de l’homme et de démocratie au profit de vos intérêts économiques au Togo ? Tout porte à croire que sur les questions politiques et des droits de l’homme, l’UE essaie de ménager la chèvre et le chou au Togo et pourtant elle le premier partenaire économique de ce pays. Pourquoi ce paradoxe ?

Tout d’abord je voudrais clarifier que nous ne sommes pas ici au Togo pour juger et encore moins pour donner des leçons, mais pour encourager et soutenir la promotion des valeurs universelles que nous partageons, dont les droits de l’homme. Et nous faisons cela de multiples manières : en finançant des projets de promotion des droits et libertés fondamentaux –y compris ceux menés par la société civile-; en soutenant des actions de sensibilisation; et bien entendu à travers notre dialogue politique régulier avec le gouvernement togolais et des échanges ad hoc avec des organismes spécialisés –par exemple, lors de notre dernière réunion avec la HAAC, nous les avons encouragés à garantir la liberté et la protection de la presse et des autres moyens de communication de masse, ainsi qu’à assurer un accès équitable et pluriel aux médias d’Etat-. Dans les deux cas, il s’agit bien entendu des obligations constitutionnelles de la HAAC, non pas des propositions de l’Union européenne.

Je ne crois donc pas qu’il y ait un partenaire du Togo plus engagé que l’Union européenne dans la défense et la promotion des droits de l’homme. Ceci dit, il appartient exclusivement à la justice togolaise et, en dernier ressort, à la Cour de Justice de la CEDEAO, de déterminer les éventuelles violations des droits de l’homme au Togo. Et comme vous le savez, cette dernière a récemment condamné le Togo dans des cas de torture, de violation de la liberté d’expression et de détention illégale, ce qui démontre l’effectivité du contrôle judiciaire de la CEDEAO. Côté positif, ces jugements devraient aider le Togo à identifier les possibles faiblesses du système et à prendre les mesures nécessaires pour éviter que de tels faits puissent se reproduire.

Il faut également rappeler que le Togo est soumis aux mécanismes de contrôle du système des Nations Unies concernant le respect de ses obligations en matière de protection des droits de l’homme, notamment le Conseil des Droits de l’Homme et l’Examen périodique universel (EPU). Lors de l’examen du rapport du Togo dans le cadre de du dernier EPU en janvier cette année, le gouvernement togolais a reçu 224 recommandations (formulées par 95 Etats examinateurs), dont il a accepté 182. Parmi les recommandations qui n’ont pas été acceptées par le Togo, il y en avait plusieurs qui avaient été formulées par des États membres de l’Union européenne, notamment concernant l’égalité de genre et la non-discrimination ou les droits des femmes. Nous espérons que ces recommandations, dont le Togo a simplement pris note, puissent être reconsidérées dans l’avenir.

La presque totalité des pays du monde ont imposé des restrictions dans la cadre de la gestion de la pandémie de la COVID, qui ont eu un impact non seulement sur l’économie, mais aussi sur les droits et libertés –y compris les rassemblements publics. Nous constatons qu’au fur et à mesure que la situation sanitaire s’améliore, ces restrictions sont heureusement en train d’être progressivement enlevées un peu partout –y compris au Togo. Un retour à la normale semblerait pour la première fois envisageable à court ou moyen terme dans la plupart des pays du monde, mais il faudra rester vigilant car la pandémie n’a pas encore été vaincue. En tout cas, toute restriction des droits et libertés doit être non seulement absolument nécessaire, mais aussi proportionnelle et limitée dans le temps.

La menace terroriste au Sahel se rapproche des pays de la côte ; Nous avons des Etats de plus en plus fragiles, que faut-il faire selon vous pour endiguer cette menace ? L’UE est le premier partenaire de la CEDEAO. Pourquoi vous n’aidez pas cette institution à lever des troupes régionales pour faire face à la menace du terrorisme plutôt que de laisser chaque pays se débrouiller ?

Je voudrais tout d’abord rendre hommage aux soldats togolais déployés dans le cadre de la MINUSMA au Mali et ceux de l’opération Koundjoaré à la frontière nord du Togo, qui ont été lâchement assassinés ou blessés alors qu’ils protégeaient des populations civiles. Le Togo fait une contribution inestimable à la paix et la sécurité régionale qui est fort appréciée par l’ensemble de la communauté internationale.

Malheureusement, l’expansion du terrorisme djihadiste sahélien vers les pays côtiers n’est plus une menace, mais une triste réalité, non seulement au Togo –comme on l’a tragiquement constaté récemment–, mais aussi au Benin ou en Côte d’Ivoire. Nous soutenons donc sans réserve la réponse multiforme du gouvernent togolais à cette menace et notamment le Plan d’urgence pour la région des Savanes, car améliorer les conditions de vie des populations et l’accès aux services de base est le meilleur antidote contre la propagation du radicalisme violent.

L’Union européenne a aussi toujours soutenu les efforts collectifs des organisations et pays africains visant à lutter contre le terrorisme, prévenir les conflits et renforcer la sécurité –y compris à travers le financement des missions de maintien de la paix de la CEDEAO, du G5 Sahel, de la Commission du Lac Tchad, et de l’Union Africaine. Nous avons également apporté un soutien décisif au développement de l’Architecture africaine de paix et sécurité, ainsi que à l’établissement, la formation et le déploiement des forces en attente de la CEDEAO. Je ne crois pas me tromper si je dis que l’Union européenne est le partenaire qui a le plus aidé à développer les capacités de la CEDEAO pour faire face aux multiples défis à la paix et la stabilité en Afrique de l’Ouest.

Entre immigration et terrorisme, comprenez-vous la colère de la jeunesse africaine ? Avez-vous un message particulier pour le peuple togolais, les acteurs politiques de ce pays et surtout la jeunesse ?

Je peux en effet comprendre la frustration de la jeunesse africaine, notamment en termes d’accès au marché de travail. La forte croissance démographique, le changement climatique et la dégradation de l’environnement viennent empirer les choses. Et regrettablement dans beaucoup de pays, l’érosion des droits et libertés et le recul de la démocratie ne font qu’aggraver cette frustration de la jeunesse.

Il faut donc investir davantage dans la formation des filles et des garçons et dans la création d’emplois décents ; adopter des stratégies de développement (notamment dans le secteur agricole) adaptées au changement climatique et protectrices de l’environnement; améliorer la gouvernance et renforcer la résilience de la société. Ce sont précisément les secteurs prioritaires de notre coopération pour les prochaines années.

Aux jeunes togolais et togolaises, qui représentent d’ailleurs 60% de la population, je leur dirais que nous sommes avec eux, qu’ils peuvent compter sur le soutien de l’Union européenne pour aider le Togo à créer les conditions qui leur permettront de réaliser tout leur potentiel, et –plus important encore– que leur pays a besoin d’eux, de leur talent, dynamisme, créativité et sens de l’initiative. La jeunesse togolaise est sa plus grande richesse. Et l’avenir du Togo et entre leurs mains.

L’UE a récemment entrepris une refonte de ses instruments financiers d’actions extérieures accompagnée d’un nouveau cycle de programmation. Au Togo cela s’est traduit par un accroissement progressif des fonds alloués au partenariat Togo-UE depuis de nombreuses années. A titre indicatif, l’enveloppe actuelle est de près de 100 milliards de FCFA pour la période 2021-2024, auquel il faut ajouter des allocations sous les programmes régionaux et thématiques ainsi que des fonds d’urgence.

Source: L’ALTERNATIVE

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