A 70 ans, Jean-Pierre Fabre est toujours un vert homme, et son esprit reste vif et alerte. Les trente dernières années de lutte politique contre le pouvoir en place l’ont immanquablement touché, mais guère rétamé physiquement, au point qu’il garde toujours de beaux restes pour continuer le combat démocratique. De la lutte politique, il sait qu’il en a pris pour son grade. Ce n’est pas tant les échecs itératifs lors des élections qui turlupinent cet homme convaincu de l’inéluctabilité d’un changement démocratique, mais les zizanies de l’opposition alimentées par un certain populisme et la gangrène des réseaux sociaux. Les stigmates des déceptions perlent comme les mots amers qui sortent parfois de sa bouche.
Cependant rien n’entame son aspiration à la démocratie, ni éteint ses espoirs d’homme politique, d’où sa participation aux dernières élections locales qui l’ont porté à la tête de la commune du Golfe 4, prétendument la plus riche commune de Lomé. Il savait les dés du processus de décentralisation pipés, mais il y est allé avec la détermination et le fol espoir d’un David contre Goliath, enfin de porter les coups autant que faire se peut.
Il nous livre ici ces deux années d’expérience en tant que maire d’opposition, évoque la vie de son parti l’ANC, le théâtre politique, l’avenir du Togo, et son propre destin national.
Depuis deux ans, vous dirigez la mairie du Golfe 4. Comment vivez-vous cette première expérience ?
Ce que je considère comme une mission exaltante au profit de l’amélioration du cadre de vie des populations des communes, se retrouve être un calvaire, en raison de la propension du régime RPT-UNIR à l’arbitraire et à son incapacité à respecter ses propres lois. Le contrôle de légalité, prescrit par la loi pour vérifier la régularité des actes des collectivités locales, est en permanence utilisé pour violer la loi, instaurant un lien de subordination entre la tutelle et la collectivité territoriale, alors que la loi sur la décentralisation vise à organiser la « libre administration des collectivités territoriales. »
De plus, le chantier est immense et les moyens cruellement insuffisants. Les ressources des communes sont mises à leur disposition de la manière la plus irrégulière, accusant des retards considérables qui ont culminé à 9 mois en 2020. En l’espace de trois ans, nos recettes fiscales ont baissé de moitié.
Il faut ajouter à cela le fait que l’Etat lui-même met tout en œuvre pour réduire les recettes des communes, en mettant en place des structures comme l’Etablissement Public Autonome d’Exploitation des Marchés de Lomé (EPAM), une officine parallèle de collecte et d’affectation de recettes municipales, créée en dehors des services légaux de collecte des impôts et taxes du budget de l’Etat. Les communes sont ainsi privées d’une bonne partie de leurs ressources. On comprend dès lors combien la gestion des communes relève du parcours du combattant.
On comprend surtout le jeu auquel se livre le gouvernement par l’intermédiaire du Ministre de l’Administration Territoriale, de la Décentralisation et du Développement des Territoires (MATDDT), en misant sur l’échec de certains maires pour jeter ainsi sur eux, le discrédit d’une incapacité à gérer des communes alors qu’ils prétendent avoir des ambitions plus élevées pour le pays.
La commune du Golfe 4 vient de rebaptiser plusieurs rues de la commune, 113 au total, qui portent désormais les noms des personnalités liées à l’histoire des luttes nationales. Que pensez-vous du tollé suscité par une telle décision ?
Je ne sais pas la signification que vous donnez au mot ‘’tollé’’. Mais si vous voulez dire que cet acte a suscité un grand débat, j’en conviens. Ce qui me permet d’affirmer que l’opération d’adressage a été très favorablement accueillie par la grande majorité de l’opinion. Avec beaucoup d’enthousiasme ! Comme en témoignent les nombreuses lettres de félicitation et d’encouragement, chargées d’émotion, que nous avons reçues.
Si vous voulez également évoquer la réaction du MATDDT et du gouvernement, je peux vous dire que nous n’avons pas non plus, été surpris. Nous nous y attendions. Nous connaissons la mauvaise foi abyssale du système RPT-UNIR. Lorsque le MATDDT a pris une ‘’note’’ selon laquelle la délibération de notre Conseil Municipal, relative à l’adressage, était « nulle et de nul effet », il a simplement démontré à l’opinion qu’il ne connaît pas la loi sur la décentralisation qui énonce que « l’annulation d’un acte d’une autorité locale relève de la compétence exclusive du juge administratif sur saisine de l’autorité de tutelle ». Nous l’avons juste renvoyé à la lecture de la loi pour qu’il comprenne qu’il s’est ridiculisé aux yeux des populations, car, à l’évidence, c’est plutôt sa ‘’note’’ qui est nulle et de nul effet.
Le 30 juin 2022, l’Assemblée nationale a révisé la loi relative à la décentralisation et aux libertés locales, et la loi définissant les attributions du District autonome du Grand Lomé (DAGL). Vous sentez-vous spécialement visé ?
Malgré toutes les circonvolutions auxquelles se livre le gouvernement pour noyer le poisson, il est clair que la modification de la loi vise à nous neutraliser.
Le gouvernement a confirmé aux togolais, à cette occasion, ce que nous avons toujours dit, savoir que ce système RPT-UNIR est le visage de l’arbitraire et de la mesquinerie. En modifiant les dispositions de la loi, relatives à l’adressage, le gouvernement a créé de manière discriminatoire, deux catégories de communes : celles qui peuvent procéder à l’adressage de leurs voies et celles qui ne le peuvent pas.
La loi ne disposant que pour l’avenir, la question est de savoir à quels artifices, le système RPTUNIR va recourir pour empêcher l’application des délibérations du Conseil Municipal, adoptées avant le vote de cette nouvelle loi. En ce qui me concerne, je ne me préoccupe pas de leurs gesticulations.
Nous allons bientôt commencer la pose des nouvelles plaques de signalisation des rues dont nous avons changé les dénominations.
Et nous verrons si le MATDDT et le gouvernement vont instrumentaliser les forces de défense et de sécurité pour s’y opposer dans la violence ou recourir au juge administratif conformément à la loi.
Dans une interview accordée à l’Echiquier, l’Ambassadeur d’Allemagne, Matthias Veltin, demandait aux Togolais de s’approprier le processus de décentralisation. Est-ce que le processus de décentralisation est en danger de mort ?
Nul n’est censé ignorer la loi. Le citoyen togolais doit connaître toutes les lois de la République togolaise, y compris la loi sur la décentralisation. Je suppose que c’est ce à quoi l’Ambassadeur d’Allemagne invite les togolais.
Et c’est tout à fait normal. De plus, l’Ambassadeur d’Allemagne connaît la mentalité des autorités togolaises. Il n’ignore pas qu’elles ne respectent pas leurs propres lois encore moins leurs propres engagements : rappelez-vous les 22 engagements d’avril 2004 devant l’UE, comportant notamment la tenue des élections locales, dans un délai de 12 mois. C’était bien en présence des autorités allemandes !
L’Ambassadeur d’Allemagne nous appelle tout simplement à la connaissance de nos lois pour être en capacité de vérifier si les autorités les respectent ou non. A titre d’exemple, celui qui ne connaît pas l’article 82 de la loi relative à la décentralisation ne peut savoir que l’adressage des voies est une compétence propre des communes. Celui qui ne connaît pas la loi sur la décentralisation ne peut savoir que le MATDDT n’a aucun pouvoir propre pour annuler une décision régulièrement adoptée par un Conseil Municipal. Ceci relevant de la ‘’compétence exclusive du juge administratif sur saisine de l’autorité de tutelle’’.
Le processus de décentralisation est-il en danger, je répondrai par l’affirmative, vue que les autorités togolaises en font un processus tétraplégique. De plus, le Maire du Golfe 4 semble être tout seul face au pouvoir RPT sur des questions de portée nationale, sans qu’aucune formation de l’opposition ni même une organisation de défense des droits et libertés ne s’en émeut.
On voit bien que l’exhortation de l’Ambassadeur d’Allemagne est pleinement pertinente et parfaitement fondée. Bientôt les élections régionales. Avec l’expérience que vous êtes en train de vivre à la mairie, croyiez-vous en l’avenir du processus de décentralisation ?
Les débuts de la décentralisation au Togo sont marqués par un grand cafouillage. Parce que les autorités togolaises prétendent pouvoir décentraliser en refusant de démocratiser.
Puisqu’elles sont habituées depuis des décennies, à ne jamais respecter leurs propres lois, il leur est impossible de respecter la loi relative à la décentralisation et aux libertés locales qui les dessaisit de certaines prérogatives, au profit des collectivités territoriales. Tant que le réflexe de l’arbitraire propre au système RPT/UNIR persistera dans les pratiques des pouvoirs publics, les collectivités territoriales n’auront aucune liberté d’action et ne pourront jamais ‘’s’administrer librement’’, conformément à la loi et donc efficacement.
Après l’opération d’adressage des voies de la commune du Golfe 4, opération parfaitement légale, le gouvernement, à travers le MATDDT, a, dans un premier temps, prétendu annuler la délibération d’adressage, adoptée par le Conseil Municipal, puis finalement, a fait modifier la loi.
La question est de savoir, si la loi sera modifiée, toutes les fois que le RPT/UNIR estimera que son application, notamment par l’opposition, contrarie ses velléités d’hégémonie par l’arbitraire.
Votre commune est la plus riche du Togo. Quels sont vos projets pour le reste de votre mandat ?
Personnellement, je ne vois pas l’intérêt de prétendre que nous sommes la commune la plus riche du Togo, quand on voit l’état de délabrement de la commune. Et quand une bonne partie de nos ressources sont siphonnées par des mécanismes opaques, en dehors de notre contrôle. Et quand nos ressources sont largement insuffisantes pour nous permettre de relever efficacement les défis de l’amélioration du cadre de vie des populations de notre commune.
Ici comme ailleurs, tout est à faire. Nous devons nous attaquer aux problèmes d’insalubrité, d’assainissement, d’éclairage public, d’insécurité. Nous devons remettre en marche les fontaines publiques dont la plupart ne marchent plus depuis des lustres. Nous devons réhabiliter ou construire de nouvelles latrines publiques. Nous devons curer les caniveaux, les couvrir pour empêcher qu’elles soient transformées en dépotoirs, nous devons fermer les décharges sauvages qui polluent les quartiers, etc. Tous ces chantiers y compris ceux relatifs aux marchés ainsi qu’aux infrastructures scolaires et de santé, sont déjà lancés et en cours mais progressent difficilement, par à-coups, en raison notamment des lenteurs administratives et des nombreuses dérives de gouvernance propres au système RPT/UNIR.
Nous devons par ailleurs sensibiliser les pouvoirs publics à engager de grands travaux de canalisation, pour empêcher les inondations dans nos quartiers.
Tout cela constitue les fondamentaux auxquels il faut encore ajouter la construction des infrastructures sportives, culturelles etc. Vous voyez bien que tout est à faire alors que nos moyens sont infimes par rapport aux besoins.
Le Golfe 4 a connu deux cas d’incendie au marché de Hanoukopé. Où en sont les enquêtes ?
Pour le premier incendie, selon les informations portées à notre connaissance, l’enquête de gendarmerie a conclu à une origine non criminelle. S’agissant du deuxième, nous ne sommes pas encore en possession des conclusions de la gendarmerie.
Vous avez été dirigeant de l’UFC, puis de l’ANC, et avez conduit plusieurs élections qui n’ont pas eu de succès. Vous êtes l’un des rares dirigeants des années 1990 encore actifs sur la scène. Etes-vous un has-been ?
Il est plus précis de dire que j’étais membre de la haute hiérarchie de l’UFC. Et qu’après l’accord de partage du pouvoir, signé le 26 mai 2010 par l’UFC et le RPTUNIR, il ne m’était plus possible ainsi qu’à de nombreux camarades et à la grande majorité des militants, de rester à l’UFC. Nous avons donc créé l’ANC dont je suis le Président national. L’ANC est résolument engagé dans la lutte pour l’instauration de la démocratie et l’Etat de Droit au Togo. Tant que cet objectif n’est pas atteint, nous serons toujours sur la brèche.
Nous avons compris depuis longtemps, que le combat sera de longue haleine, une course de fond. Voilà pourquoi, nous sommes toujours là. Le peuple togolais sait qu’il vit sous une dictature implacable, une dictature militaire clanique à façade civile. Notre présence vise à l’accompagner dans sa lutte de libération. Quelles que soient les méthodes ou les subterfuges dont le pouvoir RPT-UNIR use pour se maintenir en place.
Après l’éclipse des leaders historiques, vous êtes incontestablement l’un des rares hommes politiques de la scène à avoir une longue expérience du théâtre politique. Après votre échec à la présidentielle de 2020, absent également du parlement, comment entrevoyez-vous la renaissance de l’ANC ?
Comme je viens de le dire, l’opposition togolaise fait face à l’une des dictatures les plus féroces du monde. Qui utilise la violence et la terreur, la corruption, la fraude électorale et toute sorte de manœuvres sordides pour se maintenir au pouvoir. Et qui a toujours bénéficié de la complaisance pour ne pas dire de la complicité de la communauté internationale. Depuis quelques années, l’opposition togolaise est affaiblie par la mise en œuvre en son sein, de stratégies fondées essentiellement sur la haine, le mensonge, la calomnie, la diffamation, le dénigrement, etc., amplifiés par les réseaux sociaux.
Nous en payons le prix.
En ce qui nous concerne, il faut d’abord savoir que nous luttons pour l’alternance et le changement au Togo, pour l’instauration de la démocratie et de l’Etat de droit. Et pour cela, nous avons toujours travaillé, essentiellement, sur deux axes.
Premièrement, le quadrillage du terrain par l’amélioration de notre implantation. Deuxièmement, la sensibilisation et la mobilisation par l’explication de la situation politique aux populations et la présentation de notre projet de société. Nous poursuivons dans cette voie et nous maintenons le cap. Tôt ou tard, la rigueur et la vérité finiront par triompher.
Malgré les nombreux échecs aux élections, votre parti maintient la ligne de ne plus boycotter aucune élection au Togo. Comment peut-on comprendre cela ?
Il n’y a rien à comprendre. Nous n’avons jamais dit que nous ne boycotterons plus les élections. C’est absurde. Vous ne trouverez la moindre trace de cette position dans un document émanant du parti, y compris ceux issus de notre Conseil National de novembre 2020.
Aucune motion, résolution ni recommandation n’appelle à cette position. Nous avons indiqué dans le rapport général de ce Conseil National qu’au cours des travaux, des participants, ont exprimé cette position qui n’a pas été retenue.
Comment répercutez-vous ce discours auprès des populations alors qu’elles expriment une certaine lassitude et des frustrations face à l’échec des luttes et le renforcement du parti au pouvoir ?
Nous avons à plusieurs reprises démenti cette affirmation qu’on nous prête, selon laquelle nous ne boycotterons plus les élections. Et je m’étonne que vous répétiez cela. Je peux comprendre que face au déferlement du mensonge, de la diffamation et de la calomnie, le peuple togolais soit dégoûté de la politique.
Mais il doit rechercher les auteurs de ces méthodes viles et les sanctionner très sévèrement. Et j’affirme, avec la plus grande fermeté et la plus grande solennité, qu’un peuple digne de ce nom, en lutte pour sa libération, ne peut se payer le luxe de se lasser, comme vous le prétendez. Il doit trouver les raisons de ces échecs et y remédier.
En fait, les populations n’ignorent pas que certains ont pensé avoir trouvé dans le mensonge et dans la fanfaronnade, un raccourci pour parvenir, sans effort, au pouvoir. Les populations connaissent les auteurs de cette plaisanterie qui a consisté à diaboliser ceux qui ont tout sacrifié pour libérer le Togo des griffes de la dictature qui l’opprime depuis plus d’un demi-siècle. Dans le même temps qu’ils s’employaient à nous salir et à nous couvrir injustement d’opprobre, les tenants de cette stratégie inique et irresponsable se sont évertués à ‘’blanchir ‘’ et à ‘’dédiaboliser’’ les anciens caciques du RPT-UNIR qu’ils ont brandis, comble de la mystification, comme des élus du saint esprit.
Ce sont ces méthodes odieuses qui contribuent au renforcement du RPT-UNIR dont les membres, désormais décomplexés, tiennent aujourd’hui le haut du pavé et se pavanent sans aucune gêne, malgré tous les crimes dont ils sont coupables. En somme, passez-moi l’expression, ce fut une véritable « couillonnade » !
Vous avez 70 ans et n’êtes plus vraiment un jeune homme. Comment l’ANC prépare-t-elle l’après-Fabre ?
C’est une question qui concerne exclusivement les militants de l’ANC. Lorsqu’ils constateront que je ne suis plus apte à faire le job, ils la règleront. Pour le moment, je pense qu’ils considèrent que j’ai encore l’énergie et la détermination nécessaires pour accomplir la mission qu’ils m’ont confiée.
Aujourd’hui, le gouvernement brandit la menace terroriste comme argument pour empêcher les activités politiques, en l’occurrence les meetings. Pensez-vous que cela se justifie ?
Si l’interdiction des activités politiques s’appliquait à tous les partis politiques, cela pourrait se comprendre. Mais vous avez bien constaté que cette interdiction ne concerne que l’opposition togolaise. Les meetings programmés par l’ANC ont été interdits, alors que le RPT-UNIR continue de faire des marches de soutien et des meetings sur toute l’étendue du territoire national.
Depuis les élections de février 2020, le Togo est dans un régime d’Etat d’urgence. Comment arrivez-vous à faire vos activités de parti politique ?
Comme je viens de le dire, nous avons repris nos activités politiques en novembre 2020, après une pause de huit mois. Il était nécessaire de faire le point et d’analyser la situation créée par la présidentielle.
Ainsi, depuis novembre 2020, le bureau national tient ses réunions statutaires et autres séances de travail. Ce qui nous permet de mettre en œuvre un programme de travail conséquent. Nous avons envoyé des missions dans toutes les préfectures pour évaluer l’état de nos fédérations. Il a fallu « reprofiler » les fédérations en tenant compte de la création des communes et en faisant coïncider les territoires des fédérations avec ceux des nouvelles communes, sauf pour les communes de très grande superficie.
Nous avons ensuite repris les meetings dans les fédérations conformément au programme préétabli. Nous avons tenu ces rassemblements publics dans les fédérations du Golfe 1, Golfe 4 et Golfe 6. C’est le quatrième meeting, celui d’Agoè-Nyivé, qui se trouve interdit depuis 3 mois. Si les activités des partis politiques sont bloquées pour cause « d’extrémisme violent », et que seul le RPT-UNIR peut faire des meetings, comment parler d’élections au premier trimestre 2023 ? Je pense qu’avec une telle discrimination, la tenue de ces élections dans un délai rapproché, est largement compromise.
Quelle est votre appréciation de la rencontre du jeudi 04 août 2022 entre la Première Ministre et la classe politique togolaise pour lutter contre l’extrémisme violent ?
Honnêtement, compte tenu de l’assurance avec laquelle, le régime RPT-UNIR réprime les populations et méprise l’opposition, je trouve étrange que le gouvernement prétende consulter cette même opposition pour la constitution d’un front uni, en vue de lutter contre « l’extrémisme violent ». Ne devrait-il pas préalablement, pour obtenir une adhésion sincère à son invitation, changer d’attitude, vis-à-vis de ceux et celles qu’il brutalise en permanence ?
Comment faire adhérer l’ensemble des populations, en particulier celles de la région des savanes, principal théâtre des agressions terroristes, à la mise en place de ce front uni de lutte, lorsqu’une fille de cette région est abusivement jetée en prison à Dapaong, pour avoir fait état de ce qu’elle a vu, entendu ou vécu des agressions perpétrées au cours de la fameuse nuit du 14 au 15 juillet 2022 ?
Le Chef de l’Etat lui-même ne s’était-il pas prononcé sur la sordide affaire des bouviers peuhls et de leurs bétails, du reste, non élucidée à ce jour, par une enquête sérieuse et indépendante ?
Loin de régler quelque problème que ce soit, l’arrestation de cette pauvre dame, qui suscite une réprobation unanime au sein des populations, n’est-elle pas de nature à renforcer le sentiment de rejet de toute coopération franche et spontanée que le gouvernement et les forces de défense et de sécurité attendent desdites populations ?
L’idée que l’on puisse, dans une situation donnée, unir ses forces avec celles de son adversaire pour combattre l’ennemi commun, n’est pas insolite en soi. Au contraire ! À l’ANC, nous pensons qu’il est du devoir de toutes les filles et de tous les fils du pays, de défendre la patrie en danger.
Et nous le savons mieux que quiconque. Nous qui nous réclamons du courant de l’Ablodé, hérité des nationalistes togolais, ces vaillants combattants de la liberté et de la justice, pères de l’indépendance et fondateurs de la nation togolaise.
Mais, si le maître, par arrogance, aveuglement et addiction à l’arbitraire, demande à l’esclave de contribuer à la lutte contre l’invasion de sa maison, tout en maintenant l’esclave dans les chaînes, comment l’esclave enchaîné peut-il combattre ? Avec quelle efficacité ? La cohésion nationale n’est-elle pas la condition sine qua non, pour repousser une agression extérieure ?
Le gouvernement et les forces de défense et de sécurité doivent savoir qu’à travers la dame embastillée à Dapaong, toutes les Togolaises et tous les Togolais se sentent jetés en prison, alors que l’envahisseur poursuit son œuvre funeste et meurtrière sur le sol de nos aïeux. Alors vivement que la pauvre dame recouvre sa liberté. Pour cela, j’en appelle solennellement à la Cheffe du gouvernement qui est également une mère de famille et au Chef de l’Etat.
Il y a quelques jours, la fille de M. Agbéyomé Kodjo a été victime d’un viol. Doit-on y voir un glissement dangereux du jeu politique dans notre pays ?
Je l’ai appris sur les réseaux sociaux. Si malheureusement les faits sont avérés, je présente toute ma compassion à la victime ainsi que ma solidarité à sa famille. Je condamne avec la plus grande fermeté ces dérives inacceptables. Et je demande que des enquêtes soient menées qui permettent que les auteurs de cet acte infâme soient arrêtés et punis conformément à la loi.
M. Fabre, que diriez-vous aux Togolais quant à l’avenir du Togo ?
Je répète ce que j’ai déjà dit au cours de cet entretien. Aucun peuple digne de ce nom ne peut se dire fatigué par une lutte qui vise à le libérer d’une dictature implacable comme celle des Gnassingbé. Les Vietnamiens, les Algériens, les Sud-africains notamment, ont consenti d’immenses sacrifices pour arracher leur liberté. Qui est une valeur démocratique inaliénable. Je suis le premier à reconnaître que le peuple togolais a beaucoup donné dans cette lutte qui dure depuis des décennies. Je suis le premier à reconnaître que beaucoup de ceux qui se réclament de l’opposition, portent une lourde responsabilité dans la dilapidation de la disponibilité populaire.
Mais, nous devons faire froidement la part des choses. Qui est responsable de l’état actuel de l’opposition togolaise ? Qui a permis au RPT-UNIR et à Faure Gnassingbé de porter des coups rudes à l’opposition togolaise, en l’affaiblissant, en 2010, en 2017 et en 2020 ? Ceux qui ont pensé que le mensonge était une arme efficace pour accéder facilement au pouvoir, ne peuvent prétendre que reconnaître leurs fautes ne changerait rien. Au contraire cela changerait beaucoup de choses.
Car cela relancerait la mobilisation. Oui, la mobilisation ou la remobilisation populaire, voilà ce que nous recherchons à nouveau, fortifiés, galvanisés mais avertis que nous sommes désormais, avec toutes les expériences récentes desquelles nous tirons de si nombreux enseignements et résolutions.
Nous devons nous réveiller. Et cesser de nous mentir à nous-mêmes. Il n’appartient pas à l’auteur d’un méfait ayant sabordé et ruiné des décennies de lutte, de tenter de s’exonérer de l’obligation de battre sa coulpe, au motif que cela ne servirait à rien. Parce que témoigner son repentir, de toute façon, ne réparerait pas le tort causé. C’est tout simplement de l’inconscience !
La politique ne se fait malheureusement pas sur les réseaux sociaux. Mais ces derniers peuvent aider à la remobilisation que nous appelons tous de nos vœux.
Tirons-en le meilleur parti et demeurons ouverts, réceptifs et réactifs aux appels à la remobilisation populaire qui vise à revigorer l’opposition togolaise La faiblesse actuelle de l’opposition togolaise, qui permet au RPT-UNIR de violer de plus bel, les lois de la République, aggrave l’état déliquescent de la situation sociopolitique du pays. Aucun investisseur digne de ce nom, n’investirait le moindre kopeck dans un pays sans garantie judiciaire où l’arbitraire règne en maître.
Conséquence, le chômage va continuer de croître. La paupérisation de la population va également s’accroître.
Le Ministre de l’Administration Territoriale, de la Décentralisation et du Développement des Territoires, n’aurait jamais eu cette attitude de mépris des lois, dans l’affaire de l’adressage des voies, si l’opposition n’était pas dans ce piteux état de délabrement. Au point que feu Charles Kondi Agba s’est permis d’affirmer qu’elle n’existe pas !
Si le RPT-UNIR n’est pas combattu vigoureusement, il ne changera pas de lui-même. Pourquoi le ferait-il ? Le confort octroyé par un pouvoir dictatorial sans aucune résistance face à lui, est si doux.
Je suis confiant dans notre capacité à relever ce défi de la remobilisation populaire et j’appelle tous les combattants de la liberté à se joindre à moi pour livrer ce combat décisif pour libérer notre pays de l’imposture, la forfaiture et la dictature.
L’Echiquier N°088