À la recherche du changement pas encore perdu (2) : l’approche éthique, ou la croyance en la bonne foi des dirigeants

« Il n’y a plus d’éthique en politique : la ruse est le dogme de la plupart des politiciens ».

Ali Meziany.

Dans la longue lutte pour la fin du régime militaire qui a vu naître trois générations de Togolais, plusieurs méthodes ont été essayées. Dans la première partie de cette analyse « À la recherche du changement pas encore perdu » nous avions couvert l’approche électoraliste non pas pour la condamner, mais pour souligner que l’opposition l’a adoptée sans tenir compte de l’état d’esprit militariste qui règne au sein du pouvoir à chaque élection. Je voudrais couvrir ici une méthode en laquelle beaucoup de Togolais y compris les acteurs politiques, croient encore: l’approche éthique.

Approche éthique : « encourageons-les à faire ce qui est bien pour le Togo »

Certains acteurs politiques et non des moindres penchent pour une solution éthique vers la sortie de crise, c’est-à-dire une solution qui repose sur le fait d’inciter ou d’encourager la classe dirigeante du RPT-UNIR au respect des principes moraux: cela comprend des appels au sens de la moralité des dirigeants, à leur application des préceptes moraux et religieux, à leur humilité, à la reconnaissance de leurs limites ou de leur échec dans la gestion du pouvoir, à avoir pitié des Togolais, à demander pardon aux Togolais, à montrer leur amour pour le pays, à organiser des élections propres, à se retirer du pouvoir, bref un appel aux dirigeants à faire du bien au nom de la morale, à considérer ce qui ferait le bien du Togo.

Certains pensent même qu’une implication forte des leaders religieux dans le débat politique permettrait de raisonner les dirigeants ou de leur faire changer d’avis, car après tout, ces dirigeants sont également « des croyants ». Si cette approche a réussi ailleurs, elle manque de pertinence dans le cas togolais, pour les raisons suivantes.

Au cours du 20ème siècle, des régimes militaires ont pris le pouvoir de par le monde, car les régimes civils qu’ils avaient renversés avaient souvent introduit des réformes sociales ou tissé des alliances idéologiques qui ouvraient la voie à la remise en cause ou à la destruction de certaines valeurs généralement conservatrices et jugées nécessaires pour la stabilité sociale. Ce fut le cas des régimes militaires ayant renversé des régimes civils pro-communistes, parce que l’idéologie égalitaire du communisme remettait en cause les valeurs socioéconomiques préexistantes telles que la propriété privée, le respect des élites et la légitimité leur autorité sur les masses, les liens de vassalité de certains groupes vis-à-vis des autres, les castes, le patriarcat (domination et contrôle des femmes par les hommes), etc. C’est donc au nom d’une certaine défense des normes sociales et/ou morales préexistantes, mises en danger par le régime renversé que les militaires prenaient le pouvoir pour soi-disant « sauver la société » de la déliquescence, de la dépravation ou de la destruction.

Depuis la fin du communisme au début des années 1990, les régimes militaires se sont installés ou renforcés au nom de la protection de la société contre le danger que représenteraient les courants extrémistes religieux, notamment les mouvements islamistes. Là encore, les raisons invoquées sont la défense des valeurs morales, car le courant islamiste viserait la destruction des structures sociales multiséculaires qui permettent la fraternité et la coexistence pacifique entre les individus et les communautés, la tolérance et le respect des différences religieuses, etc.

Contrairement à des régimes militaires passés et présents sous d’autres cieux, le régime militaire togolais ne s’était pas emparé du pouvoir au nom de la protection ou la défense des valeurs morales ou religieuses mises en danger par le régime qui lui a précédé. Le régime militaire togolais n’a pas non plusde référence à la défense des valeurs sociales et/ou morales qui seraient mises en danger par une autre force politique cherchant à lui succéder. En clair, le régime militaire togolais n’est pas un rempart des valeurs sociales, religieuses ou morales. Invoquer donc la morale ou les préceptes religieux pour exercer une pression sur les animateurs du régime militaire togolais afin de leur faire lâcher prise est tout simplement œuvre vaine. Ils ne défendent aucune morale ; leur règne est plutôt aux antipodes de la morale et de la religion, et cela ne leur a jamais fait perdre le sommeil.

Tout comme l’approche électoraliste abordé dans un article précédent, l’approche éthique a peu de chance de réussir avec les dirigeants actuels du Togo, parce qu’elle perd de vue le véritable état d’esprit qui règne parmi eux.

Dans la troisième et dernière partie de cette analyse, nous aborderons l’approche transactionnelle et pourquoi elle est mieux adaptée au contexte togolais.

A. Ben Yaya

17 septembre 2022

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