S’il y a une chose que la nouvelle génération d’Africains a appris des jeunes européens, c’est la pornographie de la pauvreté communément appelée en anglais: “poverty porn”. Dans tous les pays du monde il existe des personnes démunies bien que dans certains il y en a plus que d’autres. La pauvreté est une condition sociale causée par différents facteurs mais souvent politiques et économiques.
Les dirigeants occidentaux en projetant la pauvreté comme étant quelque chose d’intrinsèque aux peuples dits de couleurs (c’est à dire les noirs, les indiens, les asiatiques) et tous ces autres peuples non caucasiens avaient pour but de justifier leur envie de dominer et de contrôler ces peuples en faisant passer leur présence souvent déstabilisatrice pour une mission salvatrice. Durant des siècles, les missions dites humanitaires affichaient dans les médias, toute l’aide qu’eux occidentaux notamment blancs, apportaient à ces peuples présentés comme pauvres. Bien entendu ils cachaient totalement le pillage de ces pays, l’esclavagisation de ces populations dépossédées de leurs terres riches, les travaux forcés, les extractions minières nuisibles à leurs terres et climats et toutes autres formes d’abus qui ensevelissent ces peuples.
Plus grave, ils ont réussi à inscrire dans le subconscient de leurs propres populations et surtout de leurs jeunes, cette envie de vouloir secourir les ”pauvres”. Alors quand le jeune français, allemand, américain ou danois prend son sac à dos pour aller découvrir le monde, il se donnait toujours comme mission d’aller aider les pauvres en Afrique, en Asie et en Amérique Latine. Aider les pauvres est devenu le pèlerinage des jeunes caucasiens qui envoient à leurs parents des images d’enfants africains ou indiens sales et affamés qui sourient après avoir reçu des chocolats ramenés par Nicolas et Bridget. Ils n’hésitent pas à y mettre même leur ressources personnelles pour offrir ce qu’ils appellent le sourire à ces pauvres enfants noirs ou indiens qui sans eux les jeunes blancs au grand cœur, n’auraient pas de quoi manger. Les mieux organisés construisent quelques salles de classe ou un puits pour cimenter leur générosité et d’autres y trouvent même l’occasion de créer une ONG et de dédier leur vie à aider les pauvres.
Il n’y a rien de mal à vouloir assister ses prochains, bien au contraire, c’est noble et ceci devrait être un devoir pour chaque individu dans une société. L’une des raisons pour lesquelles les gens payent les impôts dans les pays qui fonctionnent normalement, c’est qu’une partie des revenus de l’état puisse contribuer à créer des conditions de vie agréables et dignes pour tous et toutes mêmes ceux qui n’ont pas de revenus et où qui ne sont pas en mesure d’en générer. L’envie d’aider est belle et salutaire mais ce que ces jeunes occidentaux ignorent est qu’ils ont eux-mêmes été conditionnés depuis leur enfance à voir la pauvreté comme étant un phénomène naturel propre aux autres peuples plutôt qu’une situation artificielle créée par des pratiques économiques abusives et des politiques exploitatrices.
Les états et les compagnies qui empêchent à ces pays de sortir leurs populations de la pauvreté en y imposant des délinquants par les armes, en cultivant la corruption, en favorisant l’extraction abusive des ressources, en tuant la compétitivité économique de ces peuples, en dévalorisant leurs productions agricoles, en militarisant à outrance ces états et en promouvant la guerre comme solution à tout contentieux, pour ne citer que ces maux, manipulent aussi leurs peuples afin que ceux-ci ne les dérangent pas dans leurs œuvres de domination.
La compassion est un sentiment qui est partagé par tous les peuples peu importe la race et les dirigeants occidentaux savent que si leurs populations comprenaient véritablement le rôle qu’ils jouaient dans l’exploitation des autres, ils viendraient à se révolter par empathie. Et d’ailleurs, nombreux sont ces blancs qui comprennent comment fonctionnent ces systèmes et militent aux côté des peuples marginalisés pour y mettre fin. Les élites occidentales ne peuvent donc pas prendre le risque que leurs enfants découvrent le degré de leur cruauté et très tôt, ils commencent à les manipuler en leur faisant croire qu’ils sont dans ces pays juste pour aider les pauvres et vont même jusqu’à faire du “volontariat”, un programme d’état financé à coups de milliards pour procurer à leurs jeunes cet sentiment de fierté d’avoir aidé un pauvre en Afrique, en Asie ou en Amérique Latine. Bien entendu, les pauvres de leurs pays eux ne sont jamais concernés, car cela conduirait leurs jeunes à découvrir l’arnaque quand ils se rendront compte qu’on peut être aussi américain, anglais, français ou belge et être pauvre. La pauvreté: c’est les autres.
Ces dernières années le “poverty porn” est entré dans la culture pop grâce aux réseaux sociaux au point où les jeunes de ces pays considérés comme pauvres qui sont plus nantis que les autres, en copiant tout ce que la jeunesse occidentale fait, se retrouve aussi à les suivre dans cet élan. Chaque jeune dit influenceur dès qu’il a de quoi acheter quelques sacs de riz et bidons d’huile louent les services d’un photographe pour aller monter comment il aide les pauvres pour gagner des points auprès de son audience. Encore une fois, ce n’est pas l’aide qui pose problème, elle est louable: mais c’est comment cette jeunesse ne réussit pas à voir en ces actes, la manipulation qui nous éloigne des véritables discussions et actions visant à déraciner les inégalités.
Dans la culture africaine, l’assistance aux autres, se fait dans la discrétion la plus absolue car la dignité est quelque chose que nous préservons à tout prix. Quand nos grands-parents et parents aidaient, ils disaient qu’un jour, cette aide contribuerait au bonheur de leur enfant ou petits enfants. L’aide dans notre culture n’apporte aucune gratification immédiate et n’est pas destinée à flatter l’égo: elle est vue comme un sacrifice, un investissement spirituel car pour eux, faire du bien payera à l’avenir même après votre mort. Dans notre culture, contribuer au bien-être des siens et même des inconnus, est un acte qui grandit l’âme et non l’égo et afficher cette aide entache la pureté de cet acte.
Aujourd’hui, le “poverty porn” comme on le dit, a contaminé notre jeunesse mais ce que nous oublions est que pour les autres, l’objectif est de projeter les peuples occidentaux comme étant supérieurs financièrement, moralement, et intellectuellement: mais quand nous, jeunes africains le faisons envers nos semblables, que gagnons-nous, quel message véhiculons-nous, quelle image renvoyons-nous?
L’une des critiques que je reçois en tant qu’activiste est que je ne fais rien comme action sociale. Je ne contribue en rien au développement de l’Afrique à part critiquer les dictateurs et les colons sur les réseaux sociaux. Sachez que c’est une fierté qu’il n’y ait pas d’image de moi, ou que ce soit en train de prélever aux gens leur dignité, pour me convaincre d’être utile à l’humanité.
Farida Bemba Nabourema
Citoyenne Africaine Désabusée