De nos jours, il est fréquent de voir des Africains fraîchement convertis aux religions étrangères totalitaires, rejeter véhémentement les cultures et religions nationales en les qualifiant de sataniques au prétexte qu’ils se sont convertis. Dans cette tribune, Prof. Ayayi Togoata dénonce une “zombification” des cultures traditionnelles africaines.
QUAND L’ÉCRIVAIN S’INSPIRE DE L’HISTOIRE : RELECTURE LIBRE ET LEÇONS POUR LE PRÉSENT
Mon jeune ami Kokouvi Dzifa Galley, écrivain talentueux et prolixe, m’a rendu visite à la maison, le 19 décembre 2022, et m’a fait l’honneur de m’offrir un exemplaire de sa dernière pièce de théâtre éditée : “Hangbè” (Saint-Chéron, Éditions Unicité, 2022). Il s’agit d’une pièce de théâtre sous forme de monologue et qui exploite le personnage de Hangbè, la jumelle du roi Akaba. Cette reine assuma la régence au décès de son frère dans le royaume du Danhomé au 18 ème siècle.
Notre conversation s’est basée, on s’en doute, sur l’exploitation de l’histoire dans une fiction par un écrivain. J’ai personnellement exploité l’histoire dans deux pièces de théâtre (“La Guerre civile des aputaga” (Lomé, Awoudy, 2015; “Les Trônes sacrés jumeaux”, Lomé, Awoudy, 2015). Pourquoi exploiter l’histoire ? Quelles leçons l’écrivain en tire pour le présent ?
POURQUOI EXPLOITER L’HISTOIRE ?
Il s’avère que l’histoire, pour nous, les Africains, est un sujet d’énormes frustrations, car les bouts d’histoire qui nous ont été enseignés ou nous sont parvenus, d’abord par le biais des colons, ensuite par le truchement de nos régimes néocoloniaux, sont l’histoire controuvée du vainqueur, le colon. C’est pourquoi la recherche historique demeure un immense champ d’exploration pour nos historiens. L’histoire vue du côté du vaincu, tend progressivement à succéder aux falsifications historiques exigées par l’idéologie coloniale criminelle. Un constat s’impose : les Africains ne connaissent pas leur histoire ou si peu. D’où vient que le passé n’arrive pas à nous servir de référence, de socle pour exister dans le présent, un présent mystificateur fait de mythes et de mensonges pour servir les desseins malhonnêtes de certains pouvoirs et groupes d’intérêts mafieux que dérange la vérité historique. L’histoire n’est que le récit de notre passé, et ce passé est aussi l’expression d’une culture. Dans le cas de la colonisation, il s’agit d’une culture saccagée ayant échappé en partie au génocide culturel des puissances européennes qui ont soumis nos peuples. C’est dire que la démarche de l’écrivain vise à sortir de l’ombre, à mettre en exergue un pan de notre histoire pour le faire connaître au public. Cette histoire revisitée, n’est pas un cours ou un essai d’histoire, puisque l’écrivain y a introduit de la fiction. Il n’est donc pas un historien. On ne peut donc lui faire un procès de déformation de l’actualité du passé de nos ancêtres. C’est un créateur qui crée à partir de l’histoire pour interpeller ses contemporains à travers une réflexion intellectuelle.
LES LEÇONS POUR LE PRÉSENT
En soulevant des polémiques, des pans d’ombres ou des faits avérés du passé, l’écrivain africain se sert du passé pour parler au présent, surtout dans nos sociétés dominées où la politique bégaye et tourne en rond. Après les indépendances truquées, dans les décennies 1960-1970, les dramaturges africains ont beaucoup utilisé l’histoire pour contourner la censure des dictatures traîtresses qui ont succédé au colonialisme. De nos jours encore, nos dirigeants politiques, faute d’imagination et de projets de libération nationale, commettent toujours les mêmes erreurs qui affermissent davantage nos chaînes mentales de l’esclavage et des complexes d’infériorité. Que les sceptiques lisent attentivement l’histoire de nos peuples ; il s’agit d’un éternel recommencement. Quelle est la leçon principale ? Tout simplement une invite pressante à tirer les leçons du passé pour construire le présent et préparer l’avenir. L’axe temporel passé, présent, futur est un axe concomitant à notre vécu. Ignorer le temps, est une erreur dès lors que le temps se moque de tous les projets humains qui ne le prennent pas en compte.
Dans notre Afrique colonisée, spoliée et gravement aliénée, l’écrivain invite les lecteurs à une prise de conscience, à la libération d’un imaginaire piégé par une altérité destructrice qui arrache l’être africain à ses propres racines rendues suspectes voire diaboliques par le discours de l’oppresseur.
Il est si fréquent, de nos jours, de voir des Africains fraîchement convertis aux religions étrangères totalitaires, rejeter véhémentement les cultures et religions nationales en les qualifiant de sataniques au prétexte qu’ils se sont convertis. Nul n’est obligé de croire ce qu’ il ne veut pas ou plus croire. Mais des pratiques de nos cultures traditionnelles qui n’engagent pas la foi, peuvent-elles être qualifiées de démoniaques à cause du crétinisme et de la zombification de quelques zozos mal convertis qui font du zèle de prosélytes ? De surcroît, le sieur Satan, n’existant pas dans nos cultures, celles-ci ne peuvent, en aucun cas, être traitées de sataniques. Par contre, ces tarés, lorsqu’il s’agit de partager des terrains, des maisons, l’argent, l’héritage des parents animistes, n’y voient rien de satanique. Ils se battent même, le couteau entre les dents, pour leur part d’héritage. Comme quoi, leur satanisme est à usage purement opportuniste. S’ils connaissaient l’histoire de leur peuple, ils auraient une autre attitude que celle qui consiste à relayer le discours haineux du colonisateur contre leur peuple.
C’est ainsi, entre autres, que l’histoire peut être exploitée par les écrivains dont l’œuvre est une création fictionnelle. Les racines les plus puissantes qui ont résisté à l’anéantissement colonial sont nos cultures et nos langues, lesquelles sont aujourd’hui les cibles privilégiées de nos pires ennemis.
L’histoire, quand on la connaît, peut être une source de prise de conscience et de résistance aux discours impérialistes et zombificateurs.
Ayayi Togoata APEDO-AMAH
Merci beaucoup Professeur!
C’est un vaste sujet que cette non-existence de Satan dans nos cultures.Je me demande même si le mal existe dans nos cultures! Et le bien pourquoi pas!
A vrai dire, c’est un point de rupture – cette non-existence de Satan dans nos cultures-,un point de rupture entre nos cultures et le prétendu héritage reçu de l’Égypte ancienne au dire des égyptologues Nègres et autres Kamits. En effet, ces derniers savent que Satan existe puisque le personnage et le concept de cela sont tirés de Seth, divinité antagoniste du panthéon égyptien ancien.
Bref, il y a un problème entre nos cultures nègres et l’Égypte ancienne. Évidemment, ce n’est pas le problème soulevé par Prof. Ayayi Togoata!