Cité au quotidien : DU PAIN ET DES JEUX

« Du pain et des jeux » : cette locution est une traduction de l’expression Panem et circenses, littéralement « du pain et des jeux du cirque » forgée dans la Rome antique. Cette expression dénonçait le fait que les Romains se préoccupaient essentiellement de leur estomac et de leurs loisirs, du fait de la distribution de pain et l’organisation de jeux du cirque par les empereurs dans le but de s’attirer la bienveillance du peuple. Pourquoi ressusciter l’expression ? Parce qu’on ne peut s’empêcher d’y penser en regardant ce qui s’est passé autour de Doha au QATAR à l’occasion de la coupe du monde de football de cette année 2022.

En effet, combien d’organisateurs, en particulier la FIFA, de pays participants, de joueurs et de supporters, ne se bouchent-ils pas les yeux et les oreilles sur les problèmes politiques et éthiques soulevés par cette coupe du monde ? Comme dans la Rome antique ne peut-on pas dire des fans du football si nombreux sur notre planète qu’ils sont en quelque sorte les victimes consentantes des pouvoirs qui exploitent la tendance des uns et des autres à se contenter de se nourrir et de se divertir sans se soucier des défis et enjeux importants de l’heure ?

Il est vrai que dans l’Antiquité on distribuait du pain aux citoyens en plus de l’organisation des jeux de cirque. On ne le fait certainement pas directement aujourd’hui mais que dire des supporters financés pour assister aux matchs ? Doit-on accepter de l’argent de n’importe quelles mains au nom de l’amour du sport ? En effet, le QATAR si généreux pour les supporters désireux de venir assister aux rencontres ne pouvait-il pas l’être pour les ouvriers qui ont tant souffert pour la construction des infrastructures nécessaires pour l’organisation de la coupe du monde ? Pour l’heure on ne dispose d’aucun bilan chiffré fiable mais on sait que se comptent par centaines et peut-être par milliers les morts à cause des conditions de travail inhumaines (horaires sans limites, des températures frôlant les 50°sur des chantiers, manque d’eau, etc.) pour construire des stades, des routes et des hôtels de luxe, un aéroport, et même une île au large de Doha. Sur les 156 milliards d’euros que l’émirat aurait investis ne pouvait-on pas tirer suffisamment pour améliorer les conditions de vie des travailleurs ? Mais surtout ne s’est-on pas plutôt servi de l’argent pour fermer la bouche aux éventuels critiques ?

Nous pouvons le dire nous qui, en Afrique, sommes bien placés pour connaître le rôle que joue l’argent comme moyen de chantage du côté des fédérations et des autorités politiques comme des joueurs.

Pour aller plus loin, alors que la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique (COP 27) s’achevait le 20 novembre 2022, jour même de l’ouverture de cette coupe du monde, alors qu’on venait d’y débattre avec ferveur de l’avenir de la planète et des dangers du réchauffement climatique, a-t-on évoqué le bilan carbone de cette grande messe du football mondial ?

En effet, n’y avait-il pas beaucoup à dire des systèmes de climatisation très énergivores utilisés dans des stades à ciel ouvert, en plus de l’empreinte carbone de la construction des infrastructures, des milliers de vols aériens ? Cela tout le monde le sait mais ce qu’on sait le moins, ce dont on parle le moins, c’est que les populations du Qatar font partie des victimes du réchauffement climatique. Ainsi, selon un récent rapport du laboratoire de recherche de Greenpeace International et du bureau de Greenpeace Moyen Orient et Afrique du Nord (MENA), “Living on the Edge”, cette région du monde fait face à une flambée des températures, à une pénurie d’eau ainsi qu’à l’insécurité alimentaire, des conséquences directes du changement climatique. “La région MENA, dit le rapport, se réchauffe presque deux fois plus vite que la moyenne mondiale et est particulièrement vulnérable aux effets et à l’impact du changement climatique, y compris la rareté extrême de l’eau”.

Les Qataris si fiers de l’organisation de la coupe du monde dans leur pays, sont-ils conscients de cela alors qu’on leur montre surtout les hôtels de luxe, les magnifiques installations sportives, les voies de communication et les événements festifs ?

Cependant, qu’on ne s’y trompe pas, notre point de vue n’est pas de promouvoir, par exemple, le boycott des rencontres sportives alors que pour des centaines de milliers d’habitants de notre planète, le sport et spécialement le football constitue une des rares sources de joie. Ce serait aussi insensé que l’action des militants écologistes qui ont dégradé des œuvres d’art dans des musées au nom de leur combat.

Non, ce que nous voulons, c’est que les citoyens prennent conscience de ce que les pouvoirs économiques et politiques peuvent faire avec le sport : tenter de détourner l’attention des citoyens de l’essentiel. Le sport est indispensable et existera toujours mais on n’a pas besoin de faire croire qu’il est un domaine préservé de débats politiques. L’exclusion de la Russie de la coupe du monde pour cause de guerre en Ukraine n’est-elle pas une illustration de la politique dans le sport ? La politique s’invite dans le sport et est dans les stades.

Ainsi de même que les exploits de l’Afro-américain, Jesse OWENS aux jeux olympiques de 1936 (quatre médailles d’or), ruinèrent la démonstration de la supériorité des athlètes « aryens » sur les autres « races » que voulait faire croire Hitler, de la même façon, le silence des footballeurs iraniens lors de l’exécution de leur hymne national a été aussi parlant que le combat de leurs compatriotes pour les Droits de l’Homme en terre iranienne.

Les citoyens peuvent communier aux exploits (ou aux déboires) de leur pays en matière sportive mais remporter une coupe du monde ne peut en aucun cas effacer une gouvernance qui favorise les inégalités ou les discriminations. Ces inégalités se manifestent d’ailleurs même au niveau du sport. C’est ce qui explique le développement du handisport avec l’objectif de lutter contre la marginalisation des personnes handicapées dans le domaine sportif. Et ne serait-il pas temps que les athlètes féminines soient plus valorisées et autant rémunérées que les hommes ?

Pourquoi, les citoyens d’origine africaine, en Europe comme aux États-Unis ne peuvent-ils sortir de l’ombre que s’ils accomplissent des exploits dans le domaine sportif ? Pourquoi les joueurs africains sont-ils obligés de s’expatrier ? Pourquoi des insultes racistes dans les stades en Europe ? Tant de questions demandent réponse et devraient être traitées au cours d’un débat de fond sur les relations entre politique et sport.

Le sport devrait constituer une occasion pour se poser des questions fondamentales du vivre-ensemble : de communautés différentes dans un même pays à la diversité au plan planétaire. Le sport, en tant qu’activité humaine, ne peut pas échapper à la dimension politique de l’être humain. Le sport tout comme l’économie relève du politique et ils doivent être questionnés dans ce qu’ils apportent à la recherche du bien vivre-ensemble.

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Lomé, le 2 décembre 202

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