Il faut aimer l’histoire et l’écriture pour deux principales raisons: La première est que les deux forment un couple inséparable et la seconde est qu’ils restent intacts et pour toujours malgré le temps qui passe. On peut essayer de les réviser; le couple attend patiemment et se rétablit de lui-même le temps venu.
L’histoire du Togo des années 1990 est en train de se rectifier tout gentiment et les révisionnistes auront finalement fait beaucoup d’efforts pour rien.
Elle remet les véritables acteurs au centre du débat et l’un d’entre eux est Me Jean Yaovi DEGLI1 “le fils des Plateaux.”
Le questionnement de la lutte de libération de notre pays fait souvent oublier Jean. Il fait beaucoup parler de Paul, de Pierre, de Jean-Pierre de sorte que certains animateurs radio tiquent quand le nom de Jean est cité comme figure emblématique de la révolution hélas torpillée de 90.
Pourtant et revisitant les grandes séquences politiques historiques, il fait établir que Jean DEGLI est bel et bien le deuxième personnage révolutionnaire après bien évidemment le Président Sylvanus OLYMPIO.
La grandeur d’un peuple réside dans sa capacité à reconnaître ses héros, les citer, corriger leurs manquements et poursuivre leur action.
Ainsi, les Togolais ont-ils l’obligation de rétablir ce patriote dans ses droits historiques, celui du leader citoyen qui, ensemble avec ses camarades d’APED notamment Me Djovi GALLY et Me Zeus AJAVON2 ont pensé, déclenché et conduit les mouvements pacifiques de 90 et qui ont conduit à la Conférence nationale souveraine.
Jean Yaovi DEGLI se démarque des autres pour avoir essayé toutes les formes de révolution politique : populaire pacifique et armée.
Aucun autre Togolais hier et aujourd’hui ne peut lever le petit doigt et dire qu’il avait été ou est à tous les fronts, mieux que lui.
À lui tout seul, DEGLI est un échantillon, une bibliothèque vivante à feuilleter quand il s’agit de connaître les causes du non-aboutissement de la lutte des droits et devoirs partagés au Togo.
Si ses camarades et lui n’ont pas pu libérer le Togo d’un système de gouvernance hybride « de type colonial »
(KPOGLI, Moltra), c’est parce qu’ils ont été, selon Philippe David, désavoués et croulés sous le coup des partis politiques.
En effet, c’est sous la houlette de DEGLI qu’une poignée de jeunes ont lancé la révolution populaire de 1990.
Sous la bannière citoyenne de FAR chemin faisant, ils «ont arraché au pouvoir, les accords fondamentaux du 18 mars. Mais puisque d’autres leaders de l’opposition, déjà tout à leurs jeux politiciens et égoïstes, lui dénient toute légitimité pour poursuivre sa tâche, Me AGBOYIBOR prend le 23 avril, la douloureuse décision de le dissoudre et passe le relais aux partis qui la contestent.” (David, 2015)
Le journal Atopani mesurait déjà à l’époque les conséquences irréversibles de l’intrusion des partis politiques sur le devant de la scène et annonçait le déluge en ces termes:
“Trente-neuf jours durant le pouvoir… a tremblé sur ses bases (…) Sans nier les faiblesses du FAR, force est de reconnaître que grâce à son intervention, l’État a concédé, beaucoup qu’il n’aurait jamais envisagé de lui-même. Le 23 avril le FAR s’est sabordé pour passer le relais aux partis politiques. Ce suicide brutal ne fut pas une très bonne initiative.” Peine perdue !
Les partis politiques qui poussent rapidement comme des champignons, la CDPA en tête attaquent le FAR :
« Il a rédigé une charte des partis politiques dépassant les attributions des associations(…) les acquis du FAR sont une imposture politique(…) Le FAR n’est pas une opposition politique (…) les membres du FAR sont les chevaliers blancs du régime (…) Collaborer avec Eyadema et puis se mettre à l’écart après coup pour lui critiquer, ce n’est pas faire de la politique. » (David, 2015)
C’est donc logiquement le chef de la CDPA qui, après avoir tué et enterré le FAR (qui ne constituait d’ailleurs à ses yeux qu’« un front d’associations »), prend la tête du fameux FOD.
Les mouvements citoyens qui avaient pourtant pensé, déclenché et conduit la révolution sont définitivement écartés pour laisser place à une bouillabaisse composée de partis politiques et de leurs nombreux relais associatifs dont chacun avait un agenda caché.
L’échec de la révolution s’annonce ainsi cuisant jusqu’à son constat total aujourd’hui avec l’assise de la présidence à vie du père, du fils et bientôt du petit-fils.
Bientôt, le peuple togolais sera obligé de dire “Amen” à ce type de régime.
Malgré cette réalité amère autour du déculotté populaire des années 1990 , l’histoire retiendra que DEGLI a été ce leader qui a gardé une ligne simple et claire : la révolution politique populaire n’aboutit que quand il est conduit par des mouvements citoyens, en dehors de l’emprise des partis politiques, dans un dialogue sincère qui est soutenu par la pression populaire et de la pédagogie.
Voilà d’ailleurs pourquoi ce compatriote extrêmement rigoureux et qui aime profondément le Togo, n’a jamais créé ni adhéré à un parti politique.
Pour ce qui est de notre posture citoyen, nous n’avons pas attendu l’expérience collective incarnée par Me DEGLI pour biffer l’euphorie messianique autour des chefs de partis politiques dans la liste des solutions à la lutte de libération de notre pays.
Aussi, les cris de masse « Detia Kpoe leyi ; Yovevia » par exemple, n’ont jamais bien sonné à nos oreilles.
Nous avons toujours appelé les Togolais à mettre soigneusement les partis politiques au placard, car ces groupuscules sont source de division, de querelles, de sabotage, de traîtrise et donc finalement nuisibles à la libération de notre peuple.
L’appel qui était à l’époque considéré comme celui d’un fou, est aujourd’hui repris en cœur par activistes, leaders d’opinion et même chefs de parti politique.
En somme, les partis politiques institutionnels de l’opposition sont les seuls responsables de la débandade collective face au système qui nous domine.
Cette responsabilité s’aggrave quand certains des chefs tiennent des discours politiques extrêmement irresponsables de « responsabilité partagée entre le peuple, les activistes alternatifs et eux.»
Les responsables de partis politique de l’opposition togolaise savent-ils donc au moins qu’un leader, c’est celui qui « a l’idée pour diriger, pour emmener vers ?» (Degli, 1998)
Savent-ils donc au moins ce qu’est un responsable politique, une responsabilité politique?
Savent-ils donc au moins ce qu’est un peuple, c’est-à-dire des personnes au départ dispersées, qui sont ensuite rassemblées, formées et enfin dirigées, orientées vers une action commune par des leaders?
Savent-ils donc au moins que le peuple est à l’image de ses responsables?
Dans tous les cas, il revient à un leadership alternatif de revenir en arrière, revisiter les années 90, identifier les stratégies qui ont fonctionné, recommencer la lutte de manière très disciplinée, non populiste, réaliste, complètement à l’écart de l’irresponsabilité des partis politiques et conduire le peuple à bon port.
S’ils ne le font pas maintenant, vite et bien, alors ce sera pour le Togolais lésé dans son épanouissement, d’éternelles larmes, de cris de détresse et des grincements de dents.
Sa seule récompense ne sera que la réalisation de la prophétie des « cent ans en arrière. »
Se Osagyefo Togoata ASAFO
1 https://www.youtube.com/watch?v=vq_wD0Fd6jg
2 https://www.youtube.com/watch?v=FbNIU9yWjws&t=4890s
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