Togo-Il faut en finir avec ce système qui tue les Togolais à petit feu

Un nouveau coup de massue sur la tête de la presse togolaise. C’est ce qu’il se passe avec la condamnation de deux journalistes à la prison ferme ce 15 mars 2023. Ferdinand Ayité, directeur de publication et Isidore Kouwonou, rédacteur en chef, deux dirigeants du bihebdomadaire « L’Alternative », sont frappés par une décision de justice leur ouvrant les portes de la prison pour 36 mois.

Le troisième journaliste concerné par cette affaire, Joël Egah, est décédé (paix à son âme) peu après sa sortie de prison préventive, séjour de quelques semaines qu’il a partagé à la prison de Lomé avec Ferdinand Ayité, en décembre 2021.

Une condamnation qui fait suite à une plainte déposée par deux ministres. On reproche aux journalistes la participation à une émission de Web TV occasionnant « outrage à l’autorité », « diffamation » et « incitation à la haine de l’autorité ».
L’absence des deux journalistes à l’audience leur épargne d’être arrêtés aussitôt et de subir les affres des tristement célèbres prisons togolaises, particulièrement celle de Lomé.

La conséquence immédiate de cette condamnation pour la presse est la cessation de parution du journal « L’Alternative » qui perd ses deux premiers responsables, mettant de facto des journalistes sans ressources financières, pour leur vie et pour celle de leur famille. Un recul pour la liberté de la presse, et surtout un coup dur pour la presse indépendante, avec les drames humains qui en découlent.

Ce journal est l’un de ceux qui engagent un gros travail d’investigation permettant aux Togolais d’être informés des dérives de la gouvernance. Les journalistes de ce bihebdomadaire mettent un accent particulier à dénoncer les défaillances du régime en matière de corruption, d’absence d’Etat de droit et de mise à mal des droits humains. Leurs publications agacent et dérangent. Ce qui leur vaut toutes les pressions et répressions, intimidations et menaces, au point de les pousser à se mettre à « l’abri du danger », comme l’écrit Ferdinand pour donner un « signe de vie », après sa décision de se mettre à l’abri ayant inquiété un grand nombre de Togolais.
Cet épisode est une nouvelle rupture démocratique.

Il y a peu, c’était le quotidien « Liberté » de Zeus Aziadouvo qui était soumis à 3 mois de suspension de parution par la Haute autorité de l’audiovisuelle et de la communication (HAAC). Décision rapportée de justesse par la Cour suprême début mars. Certaines institutions commencent timidement à ouvrir les yeux, par le courage naissant de ceux qui les animent.

Ces tristes séquences renvoient les Togolais face à la lutte qu’ils mènent pour la démocratie, l’Etat de droit et les droits humains.

La politique des petits pas privilégiée depuis 30 ans et qui consiste à lutter pour obtenir des acquis démocratiques étape par étape n’est pas efficace. Ce qui est obtenu comme avancée un jour, grâce à un combat acharné, est systématiquement remis en cause plus tard par le régime, ramenant à la situation antérieure, voire pire. Cela est une vérité que l’on ne peut ignorer.

C’est le cas avec la limitation de mandats présidentiels acquise en 1992 et supprimée en 2002. C’est aussi la même expérience avec la loi sur les manifestations publiques obtenue en 2011 et traficotée en 2019 pour interdire de fait les manifestations publiques pacifiques. C’est la même pratique que la loi sur la liberté de la presse a subie pour le retour de la criminalisation des délits de presse.

Tous ces acquis, conquis de haute lutte, ont été détricotés par le régime les uns après les autres, et les situations sont ramenées à l’état antérieur. Ce qui fait de la lutte pour la démocratie au Togo, un véritable travail de Sisyphe, l’éternel recommencement d’un travail difficile.

Même quand des institutions sont mises en place pour améliorer l’architecture institutionnelle et que des lois sont votées pour marquer une évolution positive, la réalité du fonctionnement pratique n’apporte aucune amélioration au bénéfice des citoyens.

C’est particulièrement ce qu’il se passe avec le système judiciaire qui demeure un instrument de rétorsion entre les mains de l’Exécutif, malgré les réformes faites avec des sommes considérables englouties. C’est aussi le cas de la corruption qui persiste, et s’empire même, malgré les institutions mises en place pour lutter contre ce fléau.
L’épisode de la condamnation des deux journalistes ce 15 mars et le scandale révélé en février dernier par le rapport de la Cour des comptes sur la gestion des fonds destinés à la riposte contre la pandémie Covid-19, viennent cruellement rappeler à la population cette triste réalité.

Difficile dans ces conditions de ne pas se rendre compte de la supercherie et de la duperie continuellement exercées par le régime.

Il ne faut pas se leurrer. Le mal, politique et social, qui ronge le Togo est systémique. C’est ce qui explique aussi qu’il perdure autant. Il faut donc être lucide et lutter pour changer le système politique dans son ensemble. Pour cela, il faut sortir du rêve de pouvoir changer les choses de l’intérieur. Ceux qui l’ont essayé ce sont casser les dents. La prise en compte de cette réalité commande également d’éviter de s’accommoder du régime, même de loin, dans une collaboration politique indirecte qui repose sur l’acceptation et l’adhésion systématique aux initiatives du régime.

On ne peut pas, au motif d’être républicain, dans un contexte de dictature avérée et dénoncée par tous, adouber des mécanismes de conservation illégale et illégitime du pouvoir, enrobés dans un dispositif institutionnel. C’est le cas des dialogues qui n’ont jamais rien donné de positif durablement. C’est aussi le cas avec les élections qui agitent périodiquement l’espace public, maintenant l’illusion d’une compétition qui régulerait la vie politique, sans jamais offrir la moindre opportunité d’évolution, de changement.

On n’adoube pas une duperie !

Les Togolais doivent réinventer leur combat pour la rendre plus efficace. La lutte citoyenne est une voie qui peut permettre de sortir des querelles partisanes qui déchirent, émiettent et affaiblissent douloureusement les forces pro-démocratie. Tout le monde a parfaitement conscience de cette pénible réalité. Sa réalisation est-elle si compliquée ?

Tout cela est bien laborieux, mais nous devons ensemble trouver le chemin de relance effective d’une lutte efficace, pour en finir avec un système qui tue les Togolais à petit feu. C’est à notre portée. C’est ma conviction.

Gamesu
Nathaniel Olympio
Président du Parti des Togolais

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