Emmanuel Shéyi Adebayor, ex-capitaine des Éperviers prend sa retraite à 39 ans. Et Théo Ananissoh, écrivain , de rendre hommage au natif de Kodjoviakopé qu’il considère comme « L’homme » qui qualifia le Togo pour sa première Coupe du monde, Allemagne 2006.
“Emmanuel Adebayor prend sa retraite sportive. Adebayor… A ce jour, la plus grande et peut-être unique vraie carrière sportive internationale de notre histoire. L’homme qui mena le Togo à la phase finale d’une coupe du monde. Je ne m’intéresse guère au foot ; mais il se trouve qu’en 2006, j’habitais déjà en Allemagne. Et un voisin allemand jovial et amateur de foot a en quelque sorte exigé que nous voyions ensemble les trois matchs en phase de poules où l’équipe du Togo affrontait celles, je crois, de la Suisse, de la France et de je ne sais plus quel autre pays. Je ne me souviens plus des scores mais mon sentiment de soulagement à chaque fois fut certain : les Togolais n’ont pas été médiocres, bien au contraire. Adebayor, à titre personnel, jouait contre des adversaires dont il était l’égal, et même auxquels il était supérieur en performance. Mon voisin me fit observer la frustration agacée des Français qui ne parvenaient pas à marquer un but pendant toute la première mi-temps.
Cette participation de l’équipe du Togo à la coupe du monde en Allemagne fut marquée, disons entachée par une sombre affaire de primes non versées ou non promises. C’est comme cela que je lis la carrière d’Adebayor. Un grand talent issu d’un État défaillant. Dans tous les domaines d’activités humaines, il est fréquent que des individus soient supérieurs, extrêmement supérieurs à leur milieu d’origine, à la collectivité politique dans laquelle ils sont nés. L’histoire de l’Afrique dans les temps modernes, en vérité, n’est que ça. Sous la colonisation puis dans les temps postcoloniaux, des talents sont sans cesse contraints à l’exil salvateur.
Il n’y a pas de talents humains en dehors d’une société organisée. Dans une île, dans un désert, ou dans une jungle, il faut des qualités et des capacités individuelles certes pour survivre, mais des talents comme celui d’un Adebayor sont des talents sociaux. On ne joue pas au foot, on ne fait pas de l’art, on ne fait pas de la musique ou de la science hors d’une société organisée. Ce sont des occupations sociales, donc politiques, et non de pure survie biologique. Le nom d’Adebayor pour moi est synonyme d’un État déficitaire par rapport au talent humain dès qu’il dépasse un peu le niveau moyen. Adebayor fut plus que ce que le Togo en tant qu’État pouvait offrir sur le plan sportif. Qu’aurait été la carrière d’Adebayor s’il n’était pas parti pour l’Europe ? Ce n’est pas une particularité de notre pays, bien sûr. C’est tellement habituel sur le continent que nous ne ressentons même pas l’étrangeté de la chose. Ça va tellement de soi de partir s’accomplir et s’épanouir là où d’autres freinent leurs caprices et organisent mieux leur société…
Une anecdote personnelle au sujet d’Adebayor, si j’ose dire. En 2008, je suis invité au Maroc pour une sorte de tournée littéraire. A Rabat, on me conseille vivement de visiter le palais royal. Je loue un taxi pour l’après-midi qui me promène à travers la ville, la Kasbah, le front de mer, etc., puis nous arrivons devant l’entrée du palais – la partie du palais qui est accessible aux touristes. Le chauffeur du taxi prend mon passeport et va voir le garde dans sa guérite. De l’intérieur de la voiture, je vois l’homme en uniforme étudier mon passeport sans se décider à faire la réponse entendue. Je pense à un pourboire. Le garde adresse un regard appuyé dans ma direction. Les deux Marocains échangent des mots. Puis le taxi revient vers moi d’un air ennuyé. « Il veut vous parler. » Je descends du véhicule. Agitant mon passeport allemand d’un air peu favorable, le garde fait : « Vous venez de quel pays ? » J’appréhende une question piège, désigne le document qu’il tient et réponds : « D’Allemagne. » «Non ! Avant, avant d’aller en Allemagne, vous venez d’où ? » « Ah ! Du Togo. » « Le Togo ?! » « Oui… » « Adebayor ? » Je réponds « oui » sans savoir à quoi. Il me rend mon passeport et nous fait un grand geste d’autorisation d’entrer.
Le talent renommé d’un grand compatriote fait partie de nos atouts à travers le monde”.
Théo Ananissoh, écrivain togolais