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Togo-Martin Gbenouga : Roman togolais et questionnements sur la spiritualité

« Roman togolais et questionnements sur la spiritualité », c’est un essai de l’écrivain togolais Martin Dossou Gbenouga, publié aux Éditions Awoudy, Lomé, Togo et 2015. L’universitaire Togoata Apedo-Amah propose ici une critique littéraire de cet ouvrage. Lisez plutôt !

Martin Dossou Gbenouga : Roman togolais et questionnements sur la spiritualité

Ayayi Togoata APEDO-AMAH

INTRODUCTION

Roman togolais et questionnements sur la spiritualité est un essai de Martin Dossou Gbenouga qui fait le point sur la perception de la spiritualité dans les œuvres de quelques romanciers togolais.

D’entrée de jeu, l’auteur définit la spiritualité, pour éviter toute équivoque, comme tout ce qui a trait à la croyance au numineux à travers les religions. Cette croyance débouche sur une certaine vision du monde. Dans l’univers romanesque des auteurs étudiés, le lecteur se trouve en présence de deux formes de religiosité : l’animisme et le christianisme. Ces deux religiosités sont à la fois antagonistes et complémentaires du fait que celle imposée par le colonialisme affiche ouvertement son hostilité envers l’animisme, en l’occurrence le vodu, qui est un pilier fondamental de la culture nationale et de l’identité des populations du Sud-Togo.

L’objectif affiché par l’auteur consiste :

« A mettre l’accent sur l’approche que les écrivains proposent de ces formes de spiritualité. Le regard que chaque écrivain pose sur les formes de spiritualité se note très aisément dans la manipulation de l’écriture. L’œuvre littéraire devient une manière de lire et de comprendre la société dans son fonctionnement, dans ses motivations. »

L’ouvrage est structuré en deux parties. La première partie est consacrée aux formes de spiritualité dans le roman togolais, et la seconde partie à l’univers religieux et spirituel.

Les deux parties sont très disproportionnées puisque la première est comprise entre les pages 25 et 87, soit 62 pages ; et la seconde va de la page 91 à la page 296, soit 205 pages. Pour faciliter la lisibilité de l’ouvrage, il eût été préférable de scinder la seconde partie en deux à partir du grand chapitre « Des axes secondaires » qui commence à la page 231 et s’achève à la page 296.  Cet ouvrage qui est une entreprise de vulgarisation d’une thèse de doctorat, a dû poser, pensons-nous, de sérieux problèmes de restructuration à l’auteur.

Quant au corpus des romans étudiés, une quinzaine en tout, sa pertinence se justifie, car leur publication s’étend de 1929 avec L’Esclave de Félix Couchoro à 1996 avec La Fille de nana-benz d’Edwige Edorh. Le choix des romans est représentatif de cette période de 67 années.

1. LES FORMES DE SPIRITUALITE DANS LE ROMAN TOGOLAIS

Dès le départ, l’auteur a tenu à donner les limites géographiques de son corpus qui ne concerne que la partie Sud du Togo, car l’une des spiritualités, l’animisme, est la croyance vodu.

Pour les deux pionniers que sont Félix Couchoro et David Ananou, la vision du christianisme est apologétique et est brandie comme une lumière qui s’oppose aux ténèbres, c’est-à-dire à l’animisme vodu qui est systématiquement dénigré dans l’esprit du discours colonialiste qu’ils reprennent à leur compte sans vergogne. Quand Ananou s’exprime sur le sujet, on croirait entendre un  colon raciste :

« Nous avons trop dormi à l’ombre de la mort. Maintenant que partout s’impose impérieusement le problème de l’évolution, il importe avant tout de faire acquérir à nos âmes la taille de leur âge afin qu’elles puissent combattre le bon combat. A l’exemple du Fils du fétiche devenu fils du Dieu vivant, opérons une profonde transformation en nous et autour de nous. Purifions nos mœurs. Allégeons-les en supprimant tout ce qu’elles ont de superflu et d’idolâtre. » 

La réception de ces deux spiritualités obligées de cohabiter, est perçue chez Ananou et Couchoro comme une confrontation, un choix de civilisation devant lequel le colonisé est sommé de choisir entre l’arriération (sa culture nationale) et le salut (le colonialisme européen).

A la posture très aliénée des pionniers, s’oppose la position plus pragmatique des romanciers de la seconde vague, celle d’après l’année 1960, que Gbenouga appelle les « jeunes romanciers » par opposition à leurs aînés. Je préfère personnellement la seconde vague ou la seconde génération à « jeunes romanciers » qui peut prêter à confusion dans une approche diachronique en raison de la succession des générations.

Les romanciers d’après les indépendances, sont moins sensibles au discours colonialiste. Le christianisme y est parfois tourné en dérision et montré comme une mystification dont l’impact sur la société togolaise est comparé à un vernis. C’est ce que nous fait lire Koffi Gomez dans Opération marigot à travers l’intrusion de la culture occidentale dans le village de Tonou. L’échec du christianisme devant l’animisme s’explique par le mépris des Blancs envers les Africains. La seconde vague de romanciers met en concurrence les deux formes de spiritualité dans le même espace comme chez Edwige Edorh dans La Fille de nana-benz. Le christianisme, à travers les échecs des personnages qui s’en revendiquent, apparaît comme une mystification, une superstition où l’on voit le père Paul s’échiner à exorciser l’envoûtement de Mme Redoh.

Dans Le Bonheur à l’arraché, Julien Guénou fait le constat d’une société spirituellement syncrétique dans laquelle son héros évolue sans heurt dans les deux spiritualités. Mais cela n’empêche pas le regard critique :

« Il fallait nous inculquer une croyance en la nouvelle religion chrétienne, romaine apostolique. Mais c’était une croyance imposée dans la souffrance des coups de bâton, en la parole de ce Dieu supposé unique, et supérieur à tous nos dieux païens.

On faisait de nous, de véritables chiens de Pavlov, pour le progrès du prosélytisme nouveau, qui faisait de la répétition de certains gestes ou de la mémorisation de certaines incantations, la preuve irréfutable de notre conversion à la nouvelle religion monothéiste. » 

Dépassant le discours idéologique, Gbenouga, dans la deuxième partie, s’adonne à une approche symbolique et ethnologique.

2. UNIVERS RELIGIEUX ET SPIRITUEL

Dans cette partie de l’ouvrage, Gbenouga, à travers les liens tissés par les personnages avec la divinité, nous montre qu’il s’agit d’une spiritualité pleine et entière et riche d’une multitude de divinités et de pratiques rituels et symboliques qui sont l’expression d’une culture et d’une vision du monde.

 Dans Tourbillons, face à la sécheresse, un désordre de la nature, Médétognon-Bénissan nous incite à penser qu’il s’agit de la volonté des dieux. Il faut donc s’adresser à eux pour rétablir l’ordre des choses :

« La cérémonie regroupa beaucoup de personnes : hommes, femmes et enfants torse nu. Avec ferveur, le grand prêtre fit des invocations puis immola un bélier blanc et quelques poulets sur un tas de cailloux au pied du grand fromager. Tout ceci s’alimenta de formules cabalistiques nombreuses et variées que la foule écoutait à genoux, le front baissé, les mains jointes humblement, les yeux fermés à demi… »

Outre les dieux invoqués, certains types de personnages apparaissent abondamment dans les romans : les guérisseurs, les sorciers et les charlatans. Ce sont ces personnages qui jouent le rôle d’intercesseurs entre les humains et les dieux. Autant les guérisseurs et les féticheurs sont perçus positivement, autant les charlatans et les sorciers font l’objet d’une peinture dépréciative. C’est ainsi qu’ils apparaissent dans Le Fils du fétiche d’Ananou, La Fille de nana-benz d’Edorh, Le Bonheur à l’arraché de Guénou, Tourbillons de Médétognon-Bénissan, Opération marigot de Gomez, L’Esclave  de Couchoro et Sacrilège à Mandali d’Adotévi.

Dans les romans étudiés, les symboles culturels, expressions d’une vision du monde, sont analysés par Gbenouga. L’eau, le feu, la terre, le pacte de sang, l’initiation, la sexualité, la mort, la dation du nom, etc. Tous ces éléments relèvent d’une représentation mythique qui attribue une place à l’être humain au sein de la nature dont il fait partie dans un ordre transcendant dont l’ordonnancement et la préservation sont liés au strict respect de certains rituels.

C’est ainsi que le fleuve Mono est décrit dans Opération marigot de Gomez, Aube nouvelle d’Agokla, Le Fils du fétiche d’Ananou, L’Héritage, cette peste de Couchoro et Tourbillons de Médétognon-Bénissan. Il s’agit d’une conception animiste qui attribue un esprit aux éléments de la nature. Ce fleuve est à la fois matériel et spirituel. A propos de Couchoro, Gbenouga déclare :

« Le dynamisme des villages riverains du fleuve s’appuie sur les richesses mises par lui à la disposition des différentes contrées. Couchoro ne perçoit pas simplement le Mono comme une réalité physique. Il en présente une acception culturelle. Pour lui, ce fleuve, par ses richesses et sa force, possède une dynamique spirituelle ; il est le reflet d’un dieu. Il est dieu et il accorde ses faveurs, ses grâces aux villages irrigués selon leurs comportements » (p. 14).

Par leur approche des phénomènes abordés, les auteurs pourraient être accusés de n’avoir pas échappé à la tentation anthropologique qui caractérisait les premiers écrivains africains, sommés explicitement ou implicitement de se conformer aux clichés sur l’Afrique et les Africains qui faisaient fantasmer les colons européens avides d’exotisme. En réalité, il n’en est rien en ce qui concerne les écrivains d’après l’indépendance. Ils se contentent de montrer les gens tels qu’ils vivent dans leur milieu à travers leurs pratiques profanes et sacrées. Il n’y a là aucun effet d’étrangeté comme dans l’exotisme qui consiste à nourrir la curiosité des lecteurs étrangers aux milieux décrits.

Cependant, il y a lieu de s’interroger sur le titre de l’essai de Gbenouga.

3. POUR LE RENVERSEMENT DU TITRE DE L’ESSAI

La spiritualité dans les romans togolais du corpus étudié, s’affiche comme une dualité. Cette dualité est surtout antagoniste et accessoirement complémentaire. L’espace territoriale, dans lequel évoluent les personnages, est marqué au sceau de la colonisation qui signifie destruction ou substitution.

Les pionniers de la littérature togolaise francophone ont adhéré au projet destructeur de la religion vodu. Ceux d’après 1960, date de l’indépendance, ont, eux, au contraire, défendu la religion autochtone aux dépens de la religion coloniale des envahisseurs.

Cet aspect se remarque dans le travail de recherche de Gbenouga puisque le christianisme a presque totalement disparu dans sa deuxième partie où il n’est question que du vodu dans l’intrigue des romans. Ce choix a été imposé au chercheur par la place disproportionnée accordée au vodu au détriment du christianisme dans les fictions étudiées.

Cela se comprend dans la mesure où le christianisme, cette spiritualité allogène, ne s’est pas encore véritablement greffée sur la culture des peuples de l’aire ajatado du Sud-Togo. C’est l’échec relatif du lavage de cerveau que les idéologues de la colonisation ont imaginé pour détruire les croyances africaines en vue de les  remplacer par le christianisme et ses dieux blancs. L’homme blanc étant imposé par la propagande comme le modèle de l’homme civilisé et supérieur que le Nègre doit servir selon la volonté divine d’une religion intolérante vis-à-vis des autres cultes.

Après lecture de l’ouvrage, son titre nous interpelle : Roman togolais et questionnements sur la spiritualité. En effet, questionnement signifie le fait de s’interroger sur un problème. Tel que formulé, le titre semble indiquer que l’interrogation concerne les romanciers ; or Gbenouga affirme dès son introduction que :

« L’attitude des romanciers togolais se remarque soit par leur imprégnation, soit par leur distance vis-à-vis de telle ou telle autre forme de spiritualité. Les romanciers togolais s’inscrivent dans deux logiques différentes. Il y a ceux qui rejettent de façon violente une forme de spiritualité en mettant en relief les éléments accidentels qui rendent son approche futile, puisque ne répondant pas aux espérances des hommes. Le comportement du second groupe consiste à mettre ensemble les deux formes de spiritualité pour attirer l’attention du lecteur sur les aspects convergents et les questions que soulève leur évocation dans l’espace romanesque. » (p. 15).

Pour ma part, j’estime que le questionnement ne préoccupe pas les écrivains outre mesure dès lors que chacun campe sur une position claire qui véhicule son message. Il y aurait questionnement de leur part si leurs personnages s’égaraient dans un dilemme mystique aboutissant à un échec, une incapacité de choisir.

Si le questionnement ne concerne pas les écrivains, il concerne à bon droit le chercheur et c’est ce qui justifie son travail dont l’intérêt littéraire est indiscutable. C’est le premier ouvrage, à ma connaissance, consacré à ce thème dans la littérature togolaise. Fort de ce constat, le titre du livre, pensons-nous, devrait être renversé : Questionnements sur la spiritualité dans le roman togolais.

CONCLUSION

Nous tenons à souligner l’importance de cet essai pour la connaissance et la compréhension de la littérature togolaise qui nous offre très peu d’essais dans la production éditoriale. Faut-il rappeler que la richesse d’une littérature s’appuie aussi sur une riche production critique qui sert de repère aux écrivains et suscite de nouvelles vocations chez ceux qui découvrent les mécanismes de la création littéraire dans les essais critiques ?

Gbenouga, un critique important du champ littéraire togolais, a effectué un travail de fourmi en collant constamment aux textes par des citations qui illustrent ses analyses à bon escient. Le problème des citations, dans les essais, est leur pertinence qui permet aux lecteurs de découvrir un résumé orienté des œuvres étudiées en fonction de la thématique abordée. Gbenouga a très bien réussi cette épreuve fastidieuse des citations à laquelle est confronté tout chercheur. Elles sont pertinentes et illustrent bien sa démarche intellectuelle.

Puisqu’il est question de citations, nous allons terminer notre conclusion par une citation de Julien Guénou dans Le Bonheur à l’arraché qui est aussi la position de l’essayiste :

« Nous les enfants d’un panthéon ouvert à tous les dieux, nous, les adeptes d’une religion, qui considérait toutes les autres comme semblables et égales, et qui prônait la tolérance, jusqu’à accorder à toute divinité étrangère ou inconnue, la place d’honneur sur ses propres divinités, nous voici embrigadés dans une communauté qui prêchait la fraternité et l’amour du prochain, mais pratiquait une intolérance et un intégrisme absolus, jusqu’à accepter toute violation de ses règles au nom de Dieu. »

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