Directrice régionale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Dr Matshidoso Moeti, déplore que le nombre de consommateurs de tabac diminue dans le monde alors qu’il augmente en Afrique.
MESSAGE DE LA DRE MOETI, DIRECTRICE RÉGIONALE DE L’OMS POUR L’AFRIQUE, À L’OCCASION DE LA JOURNÉE MONDIALE SANS TABAC, LE 31 MAI 2023
Thème : Cultivons des aliments, pas du tabac
L’épidémie de tabagisme est l’un des plus grands défis de santé publique de tous les temps, entraînant chaque année plus de huit millions de décès. Si le nombre de consommateurs des produits du tabac diminue dans d’autres régions du monde, il convient de noter que dans la Région africaine, ce nombre ne cesse d’augmenter. Par exemple, le nombre de consommateurs de tabac dans la Région africaine de l’OMS est passé d’environ 64 millions d’utilisateurs adultes en 2000 à 73 millions d’utilisateurs adultes en 2018. Cette augmentation est due en partie à une production plus importante de produits du tabac et à une commercialisation agressive de la part de l’industrie du tabac.
Ce 31 mai 2023, l’Organisation mondiale de la Santé se joint au reste de la communauté internationale pour commémorer la Journée mondiale sans tabac. Cette journée nous offre l’occasion de mettre en lumière les dangers associés à la consommation de tabac et à l’exposition à la fumée du tabac. C’est aussi l’occasion de renouveler notre engagement en faveur de l’adoption de politiques efficaces pour mettre fin non seulement à l’épidémie de tabagisme, mais aussi à son impact sur les individus, sur les sociétés et sur les nations.
Le thème retenu pour l’édition de cette année, à savoir : « Cultivons des aliments, pas du tabac », vise à sensibiliser les cultivateurs de tabac aux diverses possibilités de production et de commercialisation de cultures alternatives et à les encourager à cultiver des cultures durables et nutritives. Ce thème vise en outre à exposer les procédés mis en place par l’industrie du tabac pour entraver les tentatives de substitution de la culture du tabac par des cultures durables, contribuant ainsi à exacerber la crise alimentaire mondiale. Nous sommes tous invités à veiller à ce que les politiques alimentaires et agricoles existantes soient axées sur la production d’aliments nutritifs adéquats et sur la promotion de régimes alimentaires sains tout en réduisant la production de tabac.
La culture et la production de tabac menacent la nutrition et l’insécurité alimentaire. La culture du tabac détruit les écosystèmes, appauvrit les sols, souille les eaux et pollue l’environnement. Les éventuels profits tirés du commerce du tabac ne sauraient compenser les dommages causés à la production alimentaire durable dans les pays à revenu faible ou intermédiaire.
À l’échelle planétaire, près de 828 millions de personnes souffrent de la faim. Environ 278 millions de ces personnes, soit 20 % de leur nombre total, vivent en Afrique . De plus, 57,9 % de la population africaine souffre d’une insécurité alimentaire modérée à grave. Ce sont autant d’éléments qui compromettent la réalisation de l’objectif 2 de développement durable dans la Région. Cet objectif vise principalement à éliminer la faim, à assurer la sécurité alimentaire, à améliorer la nutrition et à promouvoir une agriculture durable. L’intensification des principaux facteurs à l’origine des tendances récentes en matière d’insécurité alimentaire et de malnutrition, particulièrement les conflits, les événements climatiques extrêmes et les chocs économiques, vient aggraver la situation. Par conséquent, nos actions concertées sont essentielles pour que chaque individu dispose de ressources alimentaires suffisantes.
La culture croissante du tabac dans la Région africaine constitue pour nous un défi majeur en matière de sécurité alimentaire et nutritionnelle. Les données les plus récentes révèlent que si la superficie consacrée à la culture du tabac a diminué de 15,7 % au niveau mondial, elle a en revanche augmenté de 3,4 % en Afrique entre 2012 et 2018. Au cours de cette période, bien que la production de feuilles de tabac a baissé de 13,9 % à l’échelle mondiale, elle a augmenté de 10,6 % en Afrique. Ces dernières années, la culture du tabac a progressé en Afrique en raison de l’existence d’un cadre réglementaire plus favorable aux activités de l’industrie du tabac et de l’augmentation de la demande de tabac.
L’OMS collabore avec les États Membres et d’autres partenaires pour aider les agriculteurs à passer de la culture du tabac à d’autres cultures. Une initiative menée au Kenya ces deux dernières années a permis à plus de 2000 cultivateurs de tabac de se tourner vers d’autres cultures. Il s’agit là d’une initiative qui a permis de renforcer la sécurité alimentaire et nutritionnelle, d’augmenter les revenus des agriculteurs, d’assainir les activités agricoles et de préserver l’environnement. La mise en œuvre de cette initiative est déjà en cours en Ouganda et en Zambie, et devrait être envisagée dans tous les pays producteurs de tabac en Afrique.
J’encourage les gouvernements à soutenir les cultivateurs de tabac dans la transition vers des cultures alternatives. Pour cela, il convient de supprimer les subventions accordées à la culture du tabac et de consacrer les fonds alors épargnés à des programmes de substitution de cultures visant à améliorer la sécurité alimentaire et la nutrition. La substitution de la culture du tabac par la culture de cultures vivrières nutritives donne la possibilité de nourrir des millions de familles et d’améliorer les moyens de subsistance des communautés agricoles en Afrique.
De telles initiatives permettent également de lutter contre la désertification et la dégradation de l’environnement, de sensibiliser les communautés de cultivateurs de tabac aux avantages de la culture durable et de mettre en évidence les efforts entrepris par les producteurs de tabac pour empêcher la mise en place de moyens de subsistance durables dans la Région africaine.
Enfin, nous exhortons les pays producteurs de tabac de la Région africaine à accélérer la mise en œuvre des articles 17 et 18 de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac. À cet effet, ces pays doivent non seulement adopter une réglementation, élaborer et mettre en œuvre des politiques et des stratégies appropriées mais aussi créer des conditions favorables à la reconversion des producteurs de tabac vers des cultures de subsistance. Cette transition leur garantirait, à eux-mêmes ainsi qu’à leurs familles, une vie plus saine, sans pour autant nuire à l’environnement et à la santé des populations.
Cette démarche permettra de cultiver les denrées alimentaires, indispensables aux populations, plutôt que du tabac.