Dans l’esprit de l’ancien Premier ministre Idrissa Seck, qui a connu la prison sous Abdou Diouf puis sous son mentor Abdoulaye Wade, les charges de l’opposant Ousmane Sonko contre le système politique sénégalais discréditeraient inutilement une démocratie qui a, malgré tout, le mérite de générer des occasions d’alternance.
Alors que la tension semble retomber, à Dakar et ailleurs dans le pays, l’opinion africaine s’interroge, plus que jamais, sur ce que les manifestations meurtrières de ce mois de juin disent de la démocratie, au Sénégal. Ce pays est-il encore une des démocraties les plus crédibles du continent ?
Ce qui arrive actuellement aux Sénégalais rappelle les désillusions de peuples qui se nourrissent de slogans tirés de la bravoure de lointains prédécesseurs, sans être toujours eux-mêmes à la hauteur des sacrifices de leurs glorieux devanciers : « berceau de la démocratie », « pays des droits de l’homme », etc.
Du milieu des années 60 à la fin de la décennie 80, le Sénégal a prospéré sur une réputation de paradis démocratique, en raison, essentiellement, de la prédominance du parti unique dans la plupart des Etats africains. Mais, du point de vue des facteurs qui concourent à la consistance d’une démocratie, le Cap-Vert voisin supplante, littéralement, le modèle tant vanté du Sénégal, dont l’image de champion de la démocratie en Afrique francophone revêt un désespérant côté cyclique.
Les grands moments de cette démocratie se résument, en réalité, à deux dates, que nombre de peuples d’Afrique francophone envieraient, certes, aux Sénégalais, mais, ils demeurent insuffisants. Le premier a été la reconnaissance, le 20 mars 2000, de sa défaite par le président Abdou Diouf, marquant la première alternance, avec l’arrivée au pouvoir de l’opposant historique, Abdoulaye Wade, qui aura, deux décennies durant, vécu plus de persécutions, de condamnations et d’emprisonnements que n’en connaîtra sans doute jamais Ousmane Sonko.
Les deux mandats d’Abdoulaye Wade seront marqués par un relatif ronronnement de cette démocratie, et quelques épisodes peu glorieux, faits de persécutions et d’emprisonnements d’opposants, mais aussi d’alliés ou de partisans peu dociles, ou suspectés d’ambitions présidentielles. Ainsi d’ Idrissa Seck, que l’on a entendu, au micro de Christophe Boisbouvier, ce jeudi. Même Macky Sall sera brutalement destitué du perchoir, pour crime de lèse-héritier. Douze années durant, cette démocratie ira, se banalisant, jusqu’à ce que Abdoulaye Wade, subitement, lui redonne du lustre, en reconnaissant sa défaite, face à Macky Sall, le 25 mars 2012.
Mais, ces onze dernières années, d’autres opposants et adversaires politiques n’ont cessé de se plaindre, à leur tour, de persécutions, de la part du président Macky Sall…
Oui, comme un éternel recommencement. De Léopold Sédar Senghor à Macky Sall, en passant par Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, les pouvoirs ne font pas de cadeaux aux adversaires, au Sénégal. La renommée de cette démocratie ne repose, finalement, que sur le panache des sortants à sortir avec élégance : Senghor, Diouf, Wade… En attendant la suite. Et cela rend le Sénégal enviable, aux yeux de nombreux peuples africains.
Est-ce pour cela que Idrissa Seck charge autant Ousmane Sonko ?
D’aucuns diraient qu’il plaide pour sa propre mosquée. Il n’empêche qu’il sait que ce genre de persécution fait partie du jeu politique, au Sénégal. Idrissa Seck signifiait, à mots couverts, à Ousmane Sonko qu’il est le premier à devoir répondre de choses qui relèvent de sa vie privée, alors que les opposants d’antan étaient harcelés par rapport à leurs activités en lien avec la politique.
C’est peut-être au nom de tous les « persécutés » qui acceptaient de répondre à la justice et d’assumer la prison que l’ancien Premier ministre ose, aussi clairement, reprocher à Ousmane Sonko de recourir à des jeunes gens comme boucliers humains, pour échapper à la justice. Ce faisant, Sonko, dans son esprit, discréditerait cette démocratie capable de générer une alternance, ce qui n’est pas peu, au regard des systèmes verrouillés, ailleurs, dans lesquels le pouvoir est confisqué par un parti, un clan, une famille, à la faveur de ce qu’un ancien ministre ivoirien qualifiait, naguère, de technologie électorale.
Jean-Baptiste Placca