Niger- Les inconséquences de la CEDEAO et de la Communauté internationale

Plus qu’un mal isolé, les coups de force en Afrique de l’Ouest tendent à prendre des dimensions d’une épidémie. En trois ans, on note cinq pronunciamientos. Le dernier date du  26 juillet dernier. Il s’est produit au Niger, un pays déjà aux prises avec des bandes armées qui font parler la poudre et le canon.

En quelques heures, le régime de Mohamed Bazoum, en un revers de la main, a été balayé par des militaires frustrés par sa gouvernance. Les institutions régionales et internationales pour qui en réalité cette situation ne constitue pas une surprise au regard  des menaces auxquels le régime déchu était confronté, elles n’ont pu trouver d’autres arguments que de condamner le putsch mené par le nouvel homme fort du Niger, le général Abdourahmane Tchiani. La page de l’ex-patron de la diplomatie du pays propulsé à la tête de la haute charge de la gouvernance de la république par  son prédécesseur, Mahamadou Issoufou, semble irrévocablement tournée. Un nouveau jour paraît se lever sur le Niger sous les auspices de l’Armée visiblement bien déterminée à  relever les défis sécuritaires que les politiciens de tous bords  n’ont jusqu’alors parvenu à relever.

Le coup d’Etat qui vient de se produire dans cet immense espace sahélien constitue pourtant une opportunité pour les organisations sous-régionales, continentales ou internationales de se pencher sérieusement sur la récurrence des coups de force et surtout sur leurs véritables causes et les moyens de les circonscrire lorsqu’ils surviennent.

Il est facile de se lancer à corps perdu dans des vagues de condamnations suite à un putsch dans un pays. Il n’y a jamais, nulle part, de fumée sans feu, soutient la maxime. Les coups d’Etat, en Afrique principalement, ne sont que la conséquence logique d’un mal ayant prospéré dans un terreau fertile lié en général à la mal gouvernance.

La gestion de tout pays est soumise à une série de règles énoncées par la Constitution. Ne pouvant vivre en autarcie, toute nation, pour son développement, s’évertue à appartenir à une ou plusieurs organisations. Ces dernières sont régies par des chartes et des traités que chaque pays membres est tenu de respecter. Malheureusement, certains  font fi de ces textes et la suite est connue : des dérives autoritaires voient le jour et donnent l’occasion à la grande  muette de prendre ses responsabilités en renversant les gouvernants.

La Communauté Economique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Union africaine (UA) ont été parmi les premières institutions à fustiger le coup de force – d’ores et déjà consommé – au Niger. Pour autant, avant même la survenue du putsch qui à en croire plusieurs observateurs avisés était prévisible, celles-ci n’avaient pris aucune mesure préventive contre la situation ainsi née. D’autres organisations internationales sont logées à la même enseigne, notamment les Nations unies et l’Union européenne.

Des postures profondément regrettables de la part de ces structures qui passent pour des modèles de veille démocratique au risque de s’apparenter à des gendarmes du monde.

Avant d’en arriver à leurs fermes condamnations et aux éventuelles mesures coercitives, elles devraient chercher à voir si au temps de Bazoum,  les droits de l’homme et autres  principes régissant le processus démocratique, étaient respectés. Car, en vérité, l’ objectivité est que l’ex-chef de l’Etat n’aura pas été à la hauteur de sa mission, s’étant vite laisser prendre en otage par son propre parti dans un système auquel il devait tout, tant il savait lui-même que c’est à celui-ci et à lui seul, qu’il devait son fauteuil. Ce qui explique les convoitises grandissantes aussi bien des acteurs nationaux  que des partenaires face aux perspectives alléchantes offertes par les importantes ressources du pays dont l’uranium, l’or et le pétrole dont la production devrait quintupler très bientôt. C’est dire si la CEDEAO devrait mieux s’imprégner des réalités du pays plutôt que de se perdre en conjectures visant des scénarios dont les effets pourraient bien produire des résultats contraires à ceux recherchés. A titre illustratif, le Niger est le principal client du port de Cotonou désormais bien déserté. Aussi, au sujet des putschs, il faut craindre certes un effet domino dans la sous-région mais la CEDEAO et la communauté internationale seraient bien inspirées de faire d’abord leur propre mea culpa. Car des turpitudes, inconséquences et autres incohérences de la part de l’organisation sous-régionale, il y en a eu.

Faudrait-il rappeler le silence troublant et coupable de la CEDEAO lorsqu’elle avait fermé les yeux sur des coups d’Etat constitutionnels (Côte d’Ivoire et Guinée) et son cortège de morts par centaines ainsi que les évènements tout aussi tragiques au Sénégal suite aux velléités du régime de s’éterniser au pouvoir, au mépris des règles constitutionnelles ? Et puis, pourquoi, diantre, après les coups d’Etat au Mali, en Guinée et au Burkina-Faso, la CEDEAO n’avait-elle pas appliqué des sanctions aussi sévères et exigé le retour des Chefs d’Etat renversés ? L’ancien président nigérien Mohamed Bazoum lui-même avait sen son temps souligné avec force conviction que la fermeture des frontières ne lui paraissait pas conforme au Traité de la CEDEAO. Ce qu’il devrait, par principe et sans plus attendre, réitérer aujourd’hui que son pays en est victime. Il respecterait alors sa propre logique pour ainsi dire.

Plutôt donc que de ruer dans les brancards, la CEDEAO, qui se réunit à nouveau jeudi à Abuja et dont on peut aisément douter de la crédibilité,  devrait en définitive bien s’imprégner des réalités nigériennes et privilégier le dialogue avec Niamey comme semblent le prôner  au demeurant les Etats-Unis, plus pragmatiques et moins enclins au recours à la force bien que disposant au Niger de trois importantes bases militaires.

Parallèlement et fort du soutien populaire massif et spontané qu’il a reçu, le Conseil National pour la Restauration de la Patrie (CNSP) continue, lui, de capitaliser sur sa forte popularité  s’expliquant  par les engagements forts pris d’entrée de jeu par le général Tiani qui se veut inflexible face à la pression internationale. Lundi soir, il a ainsi nommé un premier ministre, Ali Mahamane Lamine Zeine, ancien ministre des finances et représentant de la BAD au Tchad, après la Côte d’Ivoire et le Gabon, connu pour sa grande probité et sa rigueur exemplaire. En attendant la formation prochaine du gouvernement, le général Tiani donne ainsi un signal fort de sa détermination à aller de l’avant, principalement dans la lutte implacable qu’il a promis de mener contre le péril djihadiste, l’impunité et le détournement des deniers publics,  domaines qui auront été des maillons faibles du régime défunt. Des engagements à concrétiser au plus vite car l’état de grace devrait être d’assez courte durée pour le CNSP qui devra vite montrer des gages de réussite.

Enfin, quant à la France qui exploite principalement  l’uranium -minerai hautement stratégique pour les centrales nucléaires françaises  qui assurent un tiers de ses besoins énergétiques- depuis l’indépendance du Niger en 1960,  elle semble avoir opté pour la politique de l’autruche en refusant de voir la réalité en face : après plus d’un demi – siècle d’aide au développement et d’appuis budgétaires systématiques au Niger, le pays reste toujours aussi pauvre qu’il ne l’était à sa naissance. Et c’est bien  là que réside le nœud du problème !

Dr Garba LOMPO

Ancien Président de la Commission Nationale Des Droits de L’homme et Des Libertés  Fondamentales  du Niger.

Ancien Garde Des Sceaux, Ministre de la Justice.

Ancien Représentant Permanent de la CEDEAO au Togo

One thought on “Niger- Les inconséquences de la CEDEAO et de la Communauté internationale

  1. Dr Garba Lompo et que dis-tu de la triple coup d’état constitutionnel de Fraude Gnassingbé ? Des hypocrites qui se disent intellectuels. L’autre n’a-t-il pas raison en les appelant tarés au Bénin ?

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