Outre l’esprit sportif, le fairplay qui fait accepter la défaite, la politique en Afrique pourrait tirer de précieuses leçons de la nécessité, pour le coach (le leader), de mettre le meilleur à chaque poste, sans népotisme ni favoritisme. Ainsi se constituent les équipes victorieuses.
Dans l’ouvrage qu’il consacre à Samuel Eto’o, le journaliste Jean-Bruno Tagne évoque les ambitions présidentielles que prêtait la rumeur publique à l’ancien attaquant, à l’époque où ce dernier menait campagne pour la présidence de la Fédération camerounaise de football, il y a deux ans. Ce 28 décembre 2023, sur RFI, l’auteur, bien que très dur à l’égard d’Eto’o, estime qu’une telle ambition ne devrait pas être criminalisée. Faut-il comprendre que, pour un footballeur, vouloir devenir chef d’État n’a rien d’illégitime ?
Pourquoi le serait-ce ? Et comment dénier à un ex-footballeur de talent un droit que s’octroient, par ailleurs, sans même passer par le suffrage universel, tant de militaires quelconques ? La jurisprudence est, en quelque sorte, établie, depuis que George Weah, premier Ballon d’or d’origine africaine (depuis Eusébio) est devenu, en janvier 2018, président du Liberia. Les vocations avaient alors surgi de partout, et certains s’étaient même précipités à Monrovia, pour son investiture.
Au pouvoir, Weah n’a, certes, pas opéré des miracles, et il vient d’échouer à se faire réélire. Mais, la reconnaissance de sa défaite, en novembre dernier, a conforté dans l’opinion l’idée que les sportifs pouvaient être mieux disposés que les politiciens professionnels pour admettre une défaite électorale. Et l’on se surprend à rêver de voir, dans quelques pays d’Afrique, les politiciens subitement gagnés par la vertu, à la faveur d’une simple initiation à l’esprit sportif. Comme ce serait merveilleux, s’il suffisait de si peu, pour ramener un peu de salubrité dans la vie politique de certains États !
Après tout, si les Africains aiment tant le football, c’est aussi parce que la pelouse verte est un espace de vérité, où les talents peuvent se juger directement, sans filtre, par le public, loin des arrangements d’arrière-salle qui dépossèderaient les plus méritants de leur victoire. Et, lorsqu’il perd, c’est cette même transparence qui fait accepter au perdant sa défaite, avec fairplay.
La réticence à accepter la défaite, en politique, s’expliquerait-elle donc par l’absence de transparence ?
Lorsque les règles sont claires et qu’elles sont respectées, lorsque des chiffres bizarres, sortis de nulle part, ne viennent pas contrarier la vérité des urnes, les perdants ont peu de motifs de contestation. Hélas ! Tous les anciens excellents footballeurs rêvant de pouvoir politique ne s’appellent pas George Weah. Tout comme le Samuel Eto’o que décrit Jean-Bruno Tagne ne concentre pas toutes les qualités et l’humilité prêtées à Weah. Connaître la défaite avant et après la victoire, et savoir l’accepter, pour s’éclipser, après l’échec, ne sont pas des qualités innées à tous les as du football. C’est en cela que le geste de très grande classe de « Mister George » est juste un merveilleux cadeau, offert à l’Afrique, en cette fin d’année 2023.
Il n’empêche. George Weah a fait naître bien des vocations, au Cameroun, en Côte d’Ivoire, et ailleurs…
Les électeurs ne sont pas tous des supporters inconditionnels qui suivraient aveuglément les stars du ballon rond. Au-delà de l’ambition, il y a la capacité réelle et le travail. Pour accéder à la magistrature suprême, il a fallu à George Weah douze années de travail et de persévérance. Certains imputent déjà les insuffisances de ce mandat unique, peu reluisant pour son pays comme pour ses concitoyens, aux supposées limites du footballeur inculte. Mais, la conduite d’un État n’est pas qu’une affaire de diplômes universitaires. Des dirigeants surdiplômés ont échoué, là où des cheminots, des instituteurs ou des employés des postes ne s’étaient pas déshonorés. Diriger un peuple, une nation, implique aussi une certaine intelligence du terroir. Et, au-delà du fairplay, le véritable intérêt du football pour la politique réside dans le fait que c’est une discipline collective, dans laquelle, pour gagner, le coach doit savoir placer à chaque poste le meilleur de ses éléments, sans népotisme ni favoritisme.
Chronique de Jean-Baptiste Placca du 30 décembre 2023