Le 15 décembre dernier, Komlanvi Issifou Agbam a soutenu avec succès sa thèse de doctorat intitulée «L’imprévision dans le droit des contrats en Afrique francophone au sud du Sahara: une approche relationnelle», portant sur la question de l’adaptation du contrat en cas de changement imprévisible des circonstances.
Cette thèse apporte une contribution originale et pertinente au débat sur la modernisation du droit des contrats en Afrique francophone au sud du Sahara. Elle ouvre des perspectives intéressantes pour le développement d’un droit des contrats adapté aux réalités et aux valeurs des sociétés africaines. La direction facultaire salue les efforts déployés par monsieur Agbam et lui offre toutes ses félicitations!
Membres du jury
Codirecteur: Reza Moradinejad, Université Laval
Codirecteur: Charles-Édouard Bucher, Nantes Université
Codirecteur: François H. Kuassi Deckon, Université de Lomé
Examinatrice: Marie Leveneur-Azémar, Université de la Réunion
Examinatrice: Magalie Jaouen, CY Cergy Paris Université
Examinateur: André Bélanger, Université d’Ottawa
Examinateur: Benjamin Lehaire, Université TÉLUQ
Invité: Frédéric Levesque, Université Laval
Résumé de la thèse
À rebours des droits originellement africains, les droits modernes africains au sens positif du terme, tel qu’ils ont été hérités de la colonisation, peinent à satisfaire l’aspiration des sociétés africaines contemporaines à un minimum de normativisation des relations sociales. Le refus du juge d’adapter le contrat déséquilibré en cas de changement de circonstances imprévisible en droit civil des pays francophones d’Afrique au sud du Sahara résultant du mimétisme du Code civil français de 1804 en témoigne. Par son refus obstiné, le juge poursuit une politique coloniale en dépit de l’indépendance des pays concernés. Le Code civil français de 1804 qui s’applique presque intégralement dans les pays francophones d’Afrique au sud du Sahara (à droit civil non codifié) et qui a fortement influencé la rédaction du Code civil des pays francophones d’Afrique au sud du Sahara à droit civil codifié, a été profondément réformé en 2016. Il s’est ainsi créé un fossé considérable entre le droit contractuel africain resté fidèle au Code civil français de 1804 et un droit des obligations français en modernisation et en adéquation avec les pratiques contractuelles de la société française et européenne. À la différence du nouveau droit français des contrats, les systèmes juridiques des pays francophones d’Afrique au sud du Sahara, exception faite de la République de Guinée qui l’admet depuis une récente réforme du Code civil de 2019, ne reconnaissent pas le pouvoir au juge d’adapter le contrat surpris par le fait imprévisible. Or, en Afrique traditionnelle tout comme moderne, il ne fait aucun doute que le contrat remplit une fonction sociale et obéit à une logique relationnelle et moins individualiste. L’esprit de collaboration, de solidarité et de fraternité innerve les relations contractuelles. Les rapports sont généralement envisagés dans une perspective de réciprocité plutôt que dans celle de recherche d’un profit individualiste.
Au Québec, la réforme du Code civil en 1994 a marqué une avancée de la justice contractuelle sur la stabilité contractuelle à travers l’attribution au juge de divers pouvoirs de contrôle et surtout, la prise en considération de la bonne foi et l’équité dans les relations contractuelles. Cependant, tout comme le Code civil du Bas-Canada dont la rédaction a été influencée par le Code civil français de 1804, le Code civil du Québec ne prend pas en considération la théorie de l’imprévision malgré le fait que l’Office de révision du Code civil ait recommandé une disposition, notamment l’article 75 du Rapport sur le Code civil du Québec qui permet au juge québécois de réviser le contrat surpris par le fait imprévisible. Sur ce point, le Code civil du Québec a peut-être reculé un tout petit peu sur le terrain de la modernité.
Cette étude vise à démontrer d’une part, que le refus de l’imprévision dans le droit civil africain résulte du mimétisme du Code civil français de 1804, traversé par l’individualisme juridique et contrarie l’approche solidariste qui prévaut dans les sociétés africaines. Le droit des contrats français tel qu’il résulte du Code civil de 1804 est imprégné d’une philosophie individualiste et du libéralisme économique. Ce n’est pas la philosophie qui imprègne les sociétés africaines tournées vers une vision socialiste, collectiviste, voire coopérative du contrat. Cette étude vise à démontrer d’autre part que la prise en considération de la théorie de l’imprévision dans les sociétés africaines, par le biais de la théorie relationnelle du contrat proposée par Ian Macneil, est en harmonie avec les pratiques contractuelles traditionnelles tout comme modernes des populations d’Afrique francophone au sud du Sahara. L’imprévision mérite ainsi, d’être prise en considération par le législateur ou consacrée par la jurisprudence.