Quel que soit le nom que lui donnent les uns et les autres, ces arrestations constituent la pire distraction pour le peuple burkinabè, invité à s’inventer, dans une logique de division et de stigmatisation, des ennemis internes, plus vulnérables que les jihadistes et autres groupes terroristes.
Au Burkina Faso, Guy Hervé Kam vient d’intégrer, ce 24 janvier, la liste des acteurs politiques et activistes de la société civile interpelés, ces derniers mois, dans des conditions mystérieuses, par des individus masqués, se réclamant des forces de sécurité. Comment comprendre cette façon d’appréhender des figures connues, dans ce pays confronté à une forte insécurité ?
Dans la période qui a précédé leur interpellation, toutes les personnalités qui ont eu à goûter aux délices de ces arrestations spectaculaires se sont distinguées par leurs attaques verbales plus ou moins véhémentes contre le pouvoir du capitaine Ibrahim Traoré. Comme si ceux qui les appréhendent ainsi assumaient le rôle que joue, dans certains régimes, la police politique. Et puisqu’aucun de ceux qui ont été arrêtés de la sorte n’a encore jamais été présenté devant la justice, l’on pourrait penser qu’ils sont de ceux que les organisations de défense des droits de l’homme assimilent d’ordinaire à des détenus politiques. Certes, plus aucun régime, aujourd’hui, n’admet détenir des individus pour des motifs politiques. Mais, par quelle meilleure expression les désigner ?
Pour se persuader d’être d’authentiques démocraties, certains régimes préfèrent parfois accabler ces détenus politiques de délits de droit commun. Le plus simple, pour eux, serait de se proclamer révolutionnaires, avec le droit, inaliénable, de traquer les contre-révolutionnaires, et cela siérait bien au Burkina, où ces pratiques rappellent à certains les années d’arbitraire, sous Blaise Compaoré. Et à d’autres, les excès de la révolution sankariste, bien que tous raillent, sous cape, les discours des nouveaux maîtres du Faso comme autant de pâles imitations des envolées d’antan de Thomas Sankara. Thomas Sankara lui-même, avant d’être assassiné, mettait ces dérives au compte des erreurs qu’il regrettait sincèrement, telle l’affaire dite des sept suppliciés. Il reste à savoir si de véritables héritiers de Sankara devraient récidiver dans des dérives qu’ils pourraient, ensuite, regretter.
L’État n’a-t-il pas, après tout, le droit d’interpeller les individus suspects de crimes ou de délits ?
Certes. Mais, pour sa crédibilité, l’État se doit de respecter scrupuleusement ses propres procédures. Du temps de Thomas Sankara, la plupart des dérives arbitraires étaient imputées à un noyau de faucons, dont le zèle avait fini par lasser la population, et exaspérer les camarades. Comme ces interpellations intempestives, que certains opposants assimilent à du kidnapping renforcent l’impression qu’il en est, autour du capitaine Traoré, qui se prennent pour les durs du régime.
Enlever des concitoyens, kidnapper des opposants, surtout dans le contexte d’insécurité que vit déjà la population avec le terrorisme, n’est pas de la meilleure inspiration. Car, si au nom de l’État, des hommes encagoulés peuvent, sans mandat, enlever impunément qui ils veulent, le traîner vers une destination inconnue, alors, le pire devient certain !
Terroristes et malfaiteurs en tous genres pourraient, eux aussi, se faire passer pour des forces de l’ordre, enlever, kidnapper à volonté, puis disparaître avec leurs otages, dans des repaires que l’on n’ose même pas imaginer. Comme il vaut mieux ne pas imaginer les effets pervers d’un usage que de dangereux faussaires pourraient faire de ces méthodes nouvelles, peu orthodoxes, initiées par des forces régulières.
On imagine que les autorités de Ouagadougou demeurent vigilantes, malgré tout !
La vigilance, dans un pays fragilisé par le terrorisme, consiste à éviter de donner des idées à des faussaires à l’affût de toute possibilité de transgression. En tout début d’année, Zéphirin Diabré, leader politique d’envergure, déplorait une logique de division, entretenue par des discours de haine, de stigmatisation, qui traitent d’apatrides tous ceux qui osent critiquer le pouvoir en place, en les opposant aux patriotes qui, eux, soutiennent sans réserve ce pouvoir. Avec une telle logique, le peuple burkinabè s’inventerait, à foison, des ennemis internes faciles à interpeller, à kidnapper et à vaincre, contrairement aux jihadistes et autres groupes terroristes. Voilà pourquoi cette logique de division et de stigmatisation est, pour les Burkinabè, une distraction, propre à les détourner de l’essentiel.
Chronique de Jean-Baptiste Placca du 27 janvier 2024