Qui n’aimerait être celui qui vient annoncer une bonne nouvelle ? Qui n’aimerait venir donner de la couleur à une vie terne, à une vie qui apparemment ne débouche sur rien ? Il fut un temps où on a beaucoup reproché aux médias de ne communiquer que sur ce qui ne va pas : guerres, catastrophes naturelles, détresses diverses, crimes, etc. Cependant, on l’a rapidement constaté, de manière paradoxale, lorsqu’on essaie de ne publier que des bonnes nouvelles, on n’arrive pas à s’assurer une bonne audience, le public se lasse vite… Oui, les gens heureux n’ont pas d’histoire, le bonheur ne fait pas de tapage.
En fait, la vraie difficulté pour les médias, consiste à tenir les gens en haleine : montrer non pas la fin heureuse d’un processus mais en suivre le cours avec ses hauts et ses bas, ses nouveaux développements, etc., c’est tout l’art des feuilletons à la télévision. Mais voilà, lorsqu’on veut faire état de la réalité et non fabriquer une fiction, les choses ne se présentent pas toujours comme cela : la vie n’a pas toujours le même rythme et lorsque les choses « traînent » en un endroit, sur les médias un autre événement prend très rapidement la vedette.
C’est ainsi que même les situations négatives deviennent de moins en moins intéressantes si elles se prolongent. Voilà sans doute pourquoi, l’Afrique est souvent absente de la presse internationale : toujours les mêmes malheurs (la faim, les catastrophes naturelles, l’insuffisance des ressources financières) les mêmes conflits (Parle-t-on encore du Soudan, de la Libye ?) les mêmes soubresauts sans lendemain : lorsque les Algériens se mobilisaient chaque semaine pour le changement social, on parlait de leur lutte à chaque manifestation hebdomadaire contre le régime Bouteflika. De la vie quotidienne des Algériens, qui dit encore quelque chose aujourd’hui ?
Au fond les médias ne sont guère intéressés par le quotidien en raison de son poids de routine. De la même façon, d’un point de vue individuel lorsque notre vie s’apparente à une longue suite d’actes répétitifs, elle nous semble sans intérêt. Mais existe-t-il deux instants pareils dans une vie humaine ? Certainement pas, mais tout le défi consiste à saisir les nuances qui empêcheraient le gris de la routine de dominer dans notre perception du tableau de notre vie.
Le croyant ne pourrait-il aider pour cela, puisque pour lui, en principe, la foi donne toujours sens à sa vie ? Pourtant on entend parfois des déclarations qui ne vont pas dans ce sens. Ainsi en est-il des laïcs ayant vécu dans un internat qui affirment qu’ils ont fait leur plein de messes, comme si les messes étaient toujours pareilles. De fait, ils ont raison si on assimile la liturgie simplement à un ensemble de rituels, à un cérémonial. Or le Concile Vatican rappelle aux fidèles que la liturgie est le « culte public rendu à Dieu par l’assemblée des fidèles unie au Christ mystérieusement présent en son sein ». La liturgie ce sont donc des moments vécus avec Dieu lui-même et à ce titre elle ne saurait susciter l’ennui. En ce sens pour un chrétien le quotidien devient une liturgie, une série de rencontres avec son Dieu qui lui parle, qui chemine avec lui.
Comment vivre cela lorsqu’on doit porter un quotidien qui est lourd pour la plupart d’entre nous ? Peut-être pourrions-nous commencer par détacher notre attention du malheur, alors que médias et réseaux sociaux nous y invitent. Par exemple : oui il y a des catastrophes naturelles, mais il y a à cette occasion, non seulement des exemples de dévouement héroïque mais aussi des chaînes de solidarité qui se révèlent ; lors de la pandémie du Covid-19, les Africains ont fait montre d’une créativité à laquelle on ne s’attendait guère, etc.
Plus que cela, il s’agit de lire le présent comme essentiellement porteur de bonnes nouvelles en se disant que tout est question de perspective, bref il s’agit de scruter les signes des temps à la manière du saint pape Jean XXIII qui nous invitait à distinguer « au milieu des ténèbres épaisses de nombreux indices qui nous semblent annoncer des temps meilleurs pour l’Église et le genre humain » (Humanae salutis, 25 décembre 1961, numéro 4).
Je voudrais, en ce début d’année, m’attacher à cet exercice à propos de l’Afrique sans pour autant qu’on puisse assimiler cela à de la naïveté, à la foi du charbonnier.
Maryse Quashie
Maître de conférences en sciences de l’éducation à l’Université de Lomé