Se réformer ou disparaître – CEDEAO à la croisée des chemins
La Communauté Economique des Etat de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a pris des positions extrêmes, jusqu’à menacer, surtout publiquement, le Niger d’une intervention militaire pour rétablir le président Mohamed Bazoum dans ses fonctions, après le coup d’Etat du 26 juillet dernier. Déjà, en ne mettant pas en exécution sa menace, la CEDEAO s’est davantage affaiblie. En dehors de la sortie de la Mauritanie il y a vingt-quatre ans, c’est une première de voir trois pays quitter simultanément l’organisation. Surtout que cela se passe au moment où le Sahel fait face au défi sécuritaire qui s’étant désormais aux pays côtiers pendant que les grandes puissances accentuent leurs convoitises dans la sous-région.
Déjà, la CEDEAO n’avait plus beaucoup de crédit au sein de l’opinion publique, particulièrement la jeunesse. Et pour cause. Les acquis économiques de la CEDEAO datent de quelques décennies. C’est le cas de la libre circulation des personnes et des biens, le passeport unique, par exemple. Or, depuis qu’elle a amorcé une dimension politique il y a vingt ans, il n’y a pratiquement eu aucun acquis significatif, en dehors de son implication dans la résolution des crises au Libéria et en Sierra Léone. Au contraire, cette jeunesse constate que les promesses de la démocratie ne sont pas tenues, alors que les modifications de Constitution pour se maintenir au pouvoir se succèdent et les coups d’Etat se multiplient. Pour la jeunesse, les seules retombées de la démocratisation, ce sont donc les coups d’Etat, au point que certains jeunes rejettent aujourd’hui la démocratie. Parallèlement, l’emploi se fait rare et l’avenir est bouché pour les jeunes, y compris pour les plus diplômés.
Bien que l’organisation ait pris conscience de la nécessité d’évoluer sur le plan politique, d’où l’adoption du protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance en 2001, les Etats les plus rétifs à la démocratie ont malheureusement freiné l’élan qu’elle avait pris. Ainsi, l’organisation n’a jamais réussi à adopter la limitation des mandats présidentiels à deux. Et, au lieu que la CEDEAO lutte pour faire aboutir ce projet, elle a préféré se dresser contre des coups d’Etat militaires accueillis pourtant dans les pays concernés par une foule en liesse. Elle donne ainsi l’image d’une organisation où les chefs d’Etat se soutiennent au détriment de la population.
En fait, les dérives politiques de la CEDEAO ont véritablement démarré en 2005, lorsque Faure Gnassingbé a pris le pouvoir de manière dynastique au Togo, après la mort de son père, en faisant un coup d’Etat, et que l’organisation sous-régionale a validé la manœuvre. Par la suite, elle a fermé les yeux sur les manipulations de la Constitution par plusieurs chefs d’Etat, dans le but de se maintenir au pouvoir en violation de la loi fondamentale.
La combinaison de cette rupture au sein de l’organisation, de la compétition des grandes puissances et de la pression de plus en plus forte exercée par la jeunesse sur les dirigeants, impactera considérablement la région pendant les prochaines années, avec des risques élevés d’instabilité.
En termes de conséquences économiques, la fermeture des frontières après les coups d’Etat a gravement impacté les économies du Burkina Faso, du Mali et du Niger. Cela a été pire pour le Mali qui a subi des sanctions monétaires, avec la fermeture des succursales de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), tout comme pour le Niger qui continue de souffrir de ces sanctions, pourtant non prévues par les textes de la CEDEAO. Mais, avec l’imbrication des économies, ce sont tous pays de la sous-région qui sont impactés.
Ces sanctions pénalisent la libre circulation des personnes et des biens, ce qui entrave l’intégration, et donc les fondamentaux mêmes de la CEDEAO. Cela va créer un frein à l’investissement. On voit bien que tout le monde est perdant. L’organisation s’est tirée une balle dans le pied.
Et au-delà des investissements privés, les Etats eux-mêmes seront plus frileux à investir dans des projets communs. Si du jour au lendemain une sanction peut priver un pays d’électricité, pourquoi ferait-il un projet d’électrification commun avec un autre ?
Toutefois, il est trop tôt pour penser que l’Alliance des Etats du Sahel (AES), formée par le Burkina Faso, le Mali et le Niger, puisse remplacer la CEDEAO. La création de l’AES découle des sanctions, d’une préoccupation sécuritaire propre aux 3 pays et de la menace d’intervention militaire de la CEDEAO au Niger. Ensuite, les trois pays ont décidé d’aller plus loin en devenant officiellement une confédération. L’objectif de l’AES va donc bien au-delà de l’intégration économique que poursuit la CEDEAO. Les dirigeants des trois Etats mettent habilement en avant la défense de la souveraineté de leur pays et la fin de l’intervention avérée des puissances extérieures dans leurs affaires intérieures.
Bien entendu, si la CEDEAO restait figée, il n’est pas exclu que d’autres pays de l’organisation soient séduits par le projet de l’AES. D’ailleurs, la grande proximité du Togo avec ces trois pays, et l’appel du pied fait par l’AES au Tchad, interrogent.
Après avoir adressé une correspondance à la CEDEAO pour formaliser leur décision de sortie, suivi de discours de fermeté, il semble difficile que les trois pays retournent dans l’organisation à moyen terme. Avant tout, il faudrait que la CEDEAO fasse de profondes mutations, pour cela elle doit dès maintenant donner des signaux clairs et fermes qui vont dans ce sens. Qu’elle devienne véritablement une CEDEAO des peuples et non un syndicat de chefs d’Etat qui se serrent les coudes en ignorant royalement les attentes des citoyens. Par ailleurs, la CEDEAO devrait évoluer dans ses relations avec les puissances extérieures. Aujourd’hui, une partie de l’opinion publique pense que la CEDEAO prend ses décisions sous la pression des grandes puissances. Enfin, la CEDEAO doit revisiter les mécanismes et les types de sanctions, dans le but de les adapter aux objectifs d’intégration et aux réalités de la sous-région, sans affecter ses fondamentaux.
Aujourd’hui, l’AES est assurément en position de force relative. A défaut de pouvoir éviter la sortie des trois pays, la CEDEAO devra donc trouver des accords et des conditions de retrait qui préservent, autant que possible, les intérêts de tous les peuples de l’Afrique de l’Ouest.
Gamesu
Nathaniel Olympio
Président du Cercle Kekeli
Cercle des Etudes Stratégiques
Sur l’Afrique de l’Ouest