Gabon: des ex-persécuteurs persécutés

Lorsque les dirigeants autoritaires et violents, déchus, se retrouvent, à leur tour, victimes d’injustices, ils n’ont souvent, pour s’intéresser à leur cas, que les défenseurs des droits de l’homme et autres journalistes, qu’ils combattaient naguère…

Au Gabon, les conditions de détention de l’épouse et du fils du président Ali Bongo, renversé, fin août, ont pris, cette semaine, une tournure nouvelle. Polémique, certes, mais qui semble laisser les Gabonais de marbre. Comment comprendre cette indifférence générale, alors que les faits dénoncés par leurs avocats constituent une violation flagrante des droits de Sylvia et Noureddin Bongo ?

Si les maltraitances révélées par leurs conseils sont avérées, alors, il faudra, en effet, convenir qu’il y a violation des droits de l’ex-famille présidentielle, et c’est digne d’intérêt. Car, quelle que soit la nature de leurs éventuels crimes, quels qu’aient été leurs travers ou excès personnels, Noureddin et Sylvia Bongo mériteraient d’être défendus, selon cette vieille formule, dont l’origine se perd dans le serment de l’avocat, au Moyen Âge. Peu importe qu’ils aient ou pas respecté les droits de leurs propres victimes. Peu importe s’il se trouve, dans la société, beaucoup pour estimer ne pas avoir à verser de larmes sur le sort d’Al Capone. Toute communauté s’améliore, lorsqu’elle sait reconnaître à chacun ses droits. Y compris au tyran.

Les Bongo n’étaient probablement que de petits tyrans. Mais, alors, que de similitudes entre les conditions de détention dont ils se plaignent aujourd’hui et celles qu’eux-mêmes infligeaient à Brice Laccruche Alihanga, dans cette même cellule qu’occuperait aujourd’hui Noureddin ! Limogé pendant que le président, diminué par un AVC, était absent, le directeur de cabinet d’Ali Bongo aurait été « enterré » dans cette cellule par la volonté d’une Sylvia Bongo consumée par le désir ardent d’installer son fils dans le fauteuil présidentiel. « Isolement total, privation de lumière, de paillasse et de tout contact ou visite, y compris de ses conseils et de ses proches », dira Laccruche Alihanga. Aurait-on donc oublié la relève des geôliers ?

N’est-ce pas de la vengeance que de les traiter comme ils ont traité les autres ?

Absolument ! Même si ce n’est pas Laccruche Alihanga qui les a fait incarcérer, il faut traiter correctement les Bongo. Cela n’équivaudrait nullement à une absolution pour le mal qu’ils ont pu faire au Gabon et aux Gabonais, pas plus qu’à une reconnaissance de leur innocence, au regard de ce que pourrait leur reprocher la justice. Il n’est même pas question de rédemption ici, puisque, pour eux, la messe est dite.

Si leçon il y a, elle devrait servir à tous ceux qui, au Gabon ou ailleurs, exercent encore le pouvoir, ou pourraient avoir à l’exercer dans le futur. Il n’y a pas loin, du Capitole à la roche Tarpéienne. Les honneurs et la célébrité ne vous prémunissent ni de la déchéance ni de la chute. Bien traiter les autres, lorsque vous êtes tout-puissant et au faîte de la gloire, ne fait que renforcer l’État de droit, préférable à l’institutionnalisation des abus, qui, demain, pourraient se retourner contre vous. Tout comme est contre-productif le discrédit qu’aiment jeter certains pouvoirs sur ceux qui les critiquent, et dont ils peuvent, pourtant, dans le futur, avoir besoin.

Qui sont donc ces défenseurs à ne pas discréditer ?

Les défenseurs des droits de l’homme et les journalistes, par exemple. Ils vous critiquent, lorsque, au pouvoir, vous portez atteinte aux droits de plus faibles. De la même façon, demain, ils pourraient vous défendre. D’où la nécessité de ne pas ruiner leur réputation.

Du temps où ils étaient aux affaires, les Bongo Ali et Sylvia aimaient larguer leurs thuriféraires à l’assaut de tous ceux qui osaient critiquer leurs méthodes. Ce pouvoir n’hésitait pourtant pas à faire mitrailler les sièges de télévisions privées, à tirer sur les manifestants et autres opposants politiques. À présent qu’ils s’estiment victimes, les seuls à même de leur sauver la mise, aujourd’hui, sont ces journalistes et défenseurs des droits de l’homme qu’ils abhorraient. Et s’ils trouvent encore quelques voix pour plaider leur cause contre l’injustice, c’est juste parce que les défenseurs des droits de l’homme ne sont pas rancuniers, et que les journalistes à peu près honnêtes sont, par vocation, rétifs à toutes les injustices.

Chronique de Jean-Baptiste du 23 mars 2024

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