«… Quand un président est en exercice, il lui est pratiquement interdit de toucher à la constitution, quel que soit le motif, parce qu´on le soupçonne de placer une virgule et de décréter que c’est une nouvelle constitution ou une nouvelle république, pour remettre les compteurs à zéro, les compteurs de décompte des mandats. Donc depuis 2019 nous avons éspéré avoir réglé définitivement cette question-là au Bénin; et à mon initiative nous avons précisé dans la constitution que nul ne peut de sa vie exercer plus de deux mandats. Que la constitution soit nouvelle, qu’il s´agisse d’une nouvelle république, qu´il s´agisse de quoi que ce soit, aucun vivant au Bénin ne peut faire plus de deux mandats en qualité de président de la république. Et nous avons tous pensé qu´une fois que cela est inscrit dans notre constitution, ou bien toutes les fois que cette phrase reviendra dans n´importe quelle constitution, qu´elle soit nouvelle, qu´elle soit modifiée ou non, toutes les fois que cette phrase figurera dans la constitution, il n´y aura plus aucune raison de soupçonner un président en exercice de vouloir faire un troisième mandat… Puis la fin s´annonçant, on revient encore sur cette question comme si cet acquis, cette phrase qui est dans la constitution, comme si on s´apprête à l´évacuer, à la sortir de la constitution, même si elle demeure dans la constitution, elle n´est plus suffisante pour nous apaiser sur cette question-là. C´est malheureux…» (Patrice Talon, président de la république du Bénin, en janvier 2025)
Le président Patrice Talon du Bénin revenait dans cette intervention pour mettre les points sur les «i» quant à son intention de ne pas briguer un troisième mandat, comme annoncé, et surtout comme le stipule la constitution de son pays: «nul ne peut de sa vie exercer plus de deux mandats». Il trouve malheureux le fait que, bien que cette phrase-fétiche soit inscrite dans la constitution du Bénin, il y ait encore encore des doutes sur son avenir politique, si oui ou non il partirait à la fin de son deuxième mandat. Au-délà du Bénin, cette problématique de troisième mandat, ou de mandat supplémentaire dans beaucoup de pays africains, où des présidents sont en fin de mandat, est bien réelle dans un continent où l´inconscience, la méchanceté, l´égoïsme et le mépris des autres citoyens font malheureusement partie des programmes de gouvernements de beaucoup d´hommes politiques, parvenus au pouvoir d´une façon ou d´une autre. Arriver au pouvoir, commettre la violation des droits de l´homme, encourager la corruption, piller les richesses du pays, s´enrichir et enrichir ses proches, tout ça dans une impunité totale, et chercher par tous les subterfuges possibles pour ne plus partir. Voilà le profil de beaucoup de soi-disant dirigeants africains qui, malgré les richesses naturelles dont regorge notre continent, ne font qu´enfoncer les populations de plus en plus dans la pauvreté.
Un triste profil auquel des dirigeants, soucieux du fait que le pays soit un bien commun, soucieux du bonheur de leurs peuples, essaient de plus en plus d´échapper, en permettant l´installation d´institutions fiables, synonymes de bonne gouvernance et de démocratie. C´est le cas aujourd´hui dans beaucoup de pays en Afrique Occidentale, comme au Bénin, au Ghana, au Nigeria ou au Sénégal, où la démocratie et l´alternance au sommet de l´état sont devenues une réalité. Au Bénin, il y eut la conférence nationale souveraine en 1990, la première en Afrique, qui dressa le bilan négatif des années de dictature militaire de Mathieu Kérékou. L´ex-dictateur en accepta les conclusions et sera même élu de 1991 à 2006 (deux mandats) comme deuxième président de l´ère démocratique après Nicéphore Soglo qui était le premier à être démocratiquement élu au sortir des assises nationales, et qui régna pendant un mandat de 1991 à 1996. Et personne aujourd´hui ne peut parler de la situation politique de la sous-région ouest-africaine, et surtout du Bénin, sans penser au drame politique et surtout humain qui se joue depuis plus d´un demi-siècle, à quelques kilomètres à l´ouest. Oui, le Togo et le Bénin sont deux petits pays frères et voisins mais dont le destin a voulu qu´ils aient un parcours différent depuis les indépendances en 1960. Nous disons souvent que les Béninois devraient être à jamais reconnaissants envers la mémoire de Mathieu Kérékou qui laissa faire la conférence nationale en 1990, comme nous l´évoquions un peu plus haut; un véritable tribunal contre son régime qui tint Bénin d´une main de fer pendant presque deux décennies de 1972 à 1990. Il était militaire et pouvait faire ce que Gnassingbé Éyadéma fit au Togo en lançant ses tueurs aux trousses des opposants aux mains nues. Qui a oublié ce 03 décembre 1991 quand Éyadéma décida d´attaquer la primature à coups d´obus pour déloger le premier ministre d´alors, Joseph Kokou Koffigoh? Une attaque que certains medias togolais et étrangers n´avaient pas hésité à qualifier de «piteuse guerre d´Éyadéma contre la primature». Aujourd´hui, comparer le Bénin et le Togo sur le plan des situations politiques, ressemble à comparer le jour et la nuit.
Au Bénin Patrice Talon partira du pouvoir dans un an, en 2026, à la fin de son deuxième mandat. La démocratie se porte bien dans ce pays voisin à l´est du Togo, car l´alternance au sommet de l´état y est possible depuis plus de trois décennies. Les dirigeants là-bas ne sont pas obligés de se livrer à des contorsions constitutionnelles ou à des calculs malsains pour ne pas quitter le pouvoir, et ont donc tout le temps pour s´occuper du développement de leur pays, comme au Sénégal, au Ghana et partout où la démocratie est entrée dans les habitudes. Les Togolais sont donc aujourd´hui le seul peuple de la sous-région à ne pas jouir des délices de la démocratie. Le Togo reste le seul îlot de dictature faite encore de violations de toutes sortes: enlèvements et agressions contre des opposants ou des militants de la société civile sont encore d´actualité. Qui a oublié la sauvage agression contre la personne de Guy Mario Sagna, député sénégalais au parlement de la CEDEAO? C´etait le 29 septembre 2024 au siège de la CDPA à Lomé, lors d´une réunion avec les responsables d´un groupe de partis politiques togolais, la DMP (Dynamique pour la Majorité du Peuple). Qui a oublié l´enlèvement en pleine rue par des policiers en civil, après qu´il ait été sauvagement molesté, de l´activiste togolais Honoré Sokpor le 12 janvier 2025? Il sera envoyé quelques jours plus tard en prison. Son tort: avoir publié sur sa page facebook un poème qui ne serait pas du goût des activistes de l´ombre payés par le pouvoir de dictature controlé par Faure Gnassingbé.
En dehors de ces violations des droits humains et des libertés publiques qui comprennent l´embastillement des dizaines de prisonniers politiques depuis plusieurs années, dont le propre frère du président de fait de notre pays, dont une femme alllaitante, Léila, qu´on refuse de libérer, il y a surtout la gabégie financière, la corruption, presqu´institutionnalisées et bénies depuis le sommet de l´état. C´est pratiquement d´un pillage organisé des richesses du Togo par ceux qui prétendent le diriger qu´il s´agit. Le front «Touche Pas À Ma Constitution», mercredi 22 janvier 2025, lors d´un point de presse, avait tenu à faire part de son indignation quant aux nombreuses malversations qui plombent l´économie togolaise et contribuent à une paupérisation de plus en plus croissante au sein des populations. En se penchant sur la reddition des comptes et en portant un regard analytique sur l´exécution du budget 2022, le front autour de Nathaniel Olympio ne put que rester bouche bée devant tant de scandales: «Il faut entamer un audit général de toutes les sociétés d’Etat ou les entreprises dans lesquelles il y a une participation, parce que ce qu’ on observe est simplement inacceptable pour les Togolais. C’est pour ça on constate que les Togolais vivent dans la précarité, avec du riz avarié, parce que leurs richesses nationales rentrent dans les poches… Sur les 46 sociétés d’Etat recensées en 2020, seules 20 figurent en 2022 « sans aucune explication officielle ». Pire, 26 sociétés n’apparaissent pas, pendant que d’autres ne versent que des recettes dérisoires.» Et comme pour parfaire le profil d´un état voyou, il existe des ministères qui refusent carrément de coopérer. Les ministères du plan et de la coopération n´auraient pas fourni leurs documents à la cour des comptes pendant deux ans.
Voilà le triste tableau du pays du «médiateur en chef», de «l´homme du dialogue et de la paix», du «démocrate» Faure Gnassingbé. Un homme qui, avec son régime, font voir de toutes les couleurs aux Togolais sur tous les plans depuis 2005, après les 38 années de terreur de son père Éyadéma. Un homme qui veut inventer sa propre démocratie pour ne jamais quitter le pouvoir, bien que l´environnement sous-régional, africain et international ne s´y prête plus. Alors pour échapper à toutes ces contraintes liées à la bonne gouvernance et à la démocratie, et méprisant la volonté de son peuple, Faure Gnassingbé souhaite rejoindre, avec armes et bagages, les trois pays «en vogue» du moment constitués en AES (Alliance des États du Sahel), qui sont le Burkina-Faso, le Mali et le Niger; alors que la majorité des Togolais lui demande de quitter le pouvoir s´il est incapable, lui et son régime, de démocratiser le pays, comme c´est le cas dans notre voisinage immédiat. Pour le moment, après que Robert Dussey ait tâté le terrain en trahissant les intentions de son chef, et après les réactions négatives des uns et des autres au sein de la population, de la classe politique de l´opposition, des sociétés civiles togolaise et burkinabè et de la presse, le projet AES semble avoir du plomb dans l´aile. Quel subterfuge reste-t-il alors à Faure Gnassingbé pour continuer à résister à l´air du temps? Va-t-il continuer à risquer le tout pour le tout avec sa prétendue 5e république? Et que feront les Togolais pour l´arrêter dans sa course folle?
Samari Tchadjobo
Allemagne