Mardi 07 janvier 2025, le Ghana a ouvert une nouvelle page de son histoire politique avec l’investiture de John Dramani Mahama, réélu président. Plusieurs chefs d’Etat et leaders africains ont assisté à la cérémonie signe de la vitalité de la démocratie du pays de Kwame Nkrumah. Dans leur rang, il y avait le Président togolais, Faure Gnassingbé. Bouclant cette année 20 ans à la tête du Togo, le doyen des chefs d’Etat de la sous-région ouest africaine qui a succédé à son père en 2005 ne montre aucun signe de libération du pouvoir.
John Mahama, déjà président de 2012 à 2017, a remporté les élections de décembre 2024 avec 56,6 % des voix, mettant fin à deux mandats consécutifs du New Patriotic Party (NPP) de Nana Akufo-Addo. Lors d’une cérémonie d’investiture grandiose sur la place de l’Indépendance à Accra, le nouveau président a affirmé que ce retour au pouvoir sous la bannière du National Democratic Congress (NDC) symbolise un nouveau départ pour le pays.
La cérémonie a attiré des leaders de toute l’Afrique, notamment Bola Tinubu du Nigeria, Félix Tshisekedi de la RDC, Paul Kagame du Rwanda , le Burkinabé Ibrahim Traoré. Ce soutien international témoigne de l’importance du Ghana comme modèle de démocratie stable, alternant pacifiquement entre le NPP et le NDC depuis 1992. Tout le contraire de son voisin de l’est, le Togo, à la tête duquel se trouve Faure Gnassingbé depuis 2005, après les 38 ans de son feu père, le Général Eyadema.
La démocratique tournée en bourrique
Ainsi, depuis plus d’un demi-siècle, les Togolais n’ont jamais connu ce que les frères ghanéens ont vécu encore mardi. En effet, selon un sondage d’Afrobarometre, plus de 3 Togolais sur 4 rejettent la dictature. Selon la même enquête, seulement un tiers des Togolais est satisfait de la manière dont la démocratie fonctionne dans le pays. Cette étude témoigne de la soif des Togolais de voir se réaliser une alternance à la tête du pays. Mais rien n’y fit.
Traité de tous les noms d’oiseaux et devenu infréquentable à certaines époques, le régime togolais est contraint aujourd’hui de se montrer plus rusé. Pour ce faire, il se déguise en démocratie sous Faure Gnassingbé. Il faut organiser les élections de manières régulières, mais avec une dose minimale de démocratie véritable.
En effet, sous l’échiquier international, l’heure, est à la démocratie. Le pouvoir de Lomé le sait très bien, il a donc changé de carapace. Le régime togolais est ce que l’on pourrait appeler une dictature à visage démocratique. En arrivant au pouvoir en 2005, Faure Gnassingbé a mis en sourdine ses ambitions. Aujourd’hui, il se dévoile. Tout doucement, l’on se dirige vers l’installation d’un pouvoir à vie.
En route pour un pouvoir à vie
En mars 2024, les Togolais et les opposants, KO debout, ont découvert, qu’ils vivaient désormais dans un nouvel Etat, régi par une nouvelle Constitution adoptée nuitamment par des députés dont le mandat a expiré. « En février prochain, un Sénat sera mis en place et dans les mois qui suivent la réforme constitutionnelle votée en 2024 entrera en vigueur. Le Togo deviendra alors une véritable démocratie parlementaire comme c’est le cas dans plusieurs grands pays, notamment l’Inde, l’Ile Maurice, le Royaume-Uni ou l’Allemagne, par exemple », a déclaré, le 31 décembre 2024, Faure Gnassingbé qui explique que cette réforme dénoncée par l’opposition « contribuera efficacement à la préparation de l’avenir du pays ».
Mais en réalité, ce changement de la constitution est un projet authentiquement renversant emballé dans du papier démocratique. En effet, le régime togolais est un grand créateur. Il est à la dictature ce qu’Yves Saint-Laurent était à la haute couture. La transformation de la démocratie, au contraire, par un changement de la constitution présenté comme démocratique, mais nourrit un projet qui n’a rien de républicain. Pour l’opposition, il s’agit tout simplement « d’un coup d’État constitutionnel » qui dénonce « une manœuvre politique visant à permettre au Chef de l’Etat actuel, Faure Gnassingbé, de se maintenir au pouvoir ad vitam æternam ». Malgré la contestation, le pouvoir de Lomé fonce en présentant cette constitution taillée sur mesure comme la voie royale de la démocratie.
Il faut dire que le pouvoir togolais manie le double langage à perfection et sait enrober son projet liberticide (les droits de l’homme n’ont plus leur place dans la constitution, ils sont indexés) dans une phraséologie prétendument démocratique.
La méthode du régime pour installer indéfiniment Faure Gnassingbé au pouvoir pourrait se résumer en trois points : jouer sur les contradictions de l’opposition ; soigner sa réputation démocratique ; injecter, dans les institutions, des militants qui les bloquent et empêchent toute alternance. De fait, après la réforme opérée en 2019, la nouvelle Constitution parachève le verrouillage, en installant un mode de scrutin très favorable au parti au pouvoir. De toute façon, depuis bien longtemps, les élections au Togo sont devenues plus une formalité qu’autre chose. Les élections au Togo ne permettent pas aux citoyens de changer de dirigeant, avait d’ailleurs souligné, à suffisance, le dernier rapport du département d’Etat des États-Unis sur les droits de l’homme au Togo.
Pendant que Faure Gnassingbé apprécie la vitalité de la démocratie ghanéenne, au Togo l’autoritarisme gagne du terrain en consacrant la violence politique, en réduisant l’espace civique et en muselant la presse critique. Une contradiction qui n’a rien d’étonnant venant d’un régime qui s’est bâti sur une forme hybride.
Lemy Egblongbeli
Source: Lecorrecteur.tg