«La comparution des prisonniers politiques militants de la C14 devant une cour d’assises les 3 et 4 février 2025 est une violation inacceptable du principe de “l’autorité de la chose jugée”, une disposition générale du droit pénal et qui est aussi consacrée par les instruments internationaux. L’ASVITTO dénonce un procès arbitraire avec des condamnations iniques et exige à cet effet l’application de l’arrêt N°158/20 du 18/11/2020 de la chambre d’accusation de la cour d’appel de Lomé demandant l’ouverture d’une enquête sur les allégations de tortures, et l’application de la décision N°ECW/CCJ/JUD/45/2023 du 30/11/2023 de la Cour de justice de la CEDEAO ordonnant la libération et la réparation de toutes ces victimes de torture.»(ASVITO, le 4 février 2025)
Une association de la société civile comme ASVITTO (Association des Victimes de Torture au Togo) dont nous avons cité la déclaration condamnant un «procès arbitraire avec des condamnations iniques», fait partie de ces associations des droits de l´homme qui, depuis plusieurs années, ne font que dénoncer jour après jour, des arrestations arbitraires, la détention de ces citoyens devenus malgré eux des prisonniers politiques. Oui des citoyens détenus, après avoir été arrêtés, pour la plupart, sans raison apparente. À travers la presse et à l´aide d´autres supports le cas de ces prisonniers politiques, dont beaucoup ne comprennent pas pourquoi ils sont là, fut régulièrement thématisé, et le cas des détenus malades comme Aziz Goma avait fini par être connu presque par coeur par tous ceux qui s´intéressent de près ou de loin à leur situation. ASVITTO et d´autres associations-partenaires ont toujours réclamé, ni plus ni moins leur libération. Aujourd´hui nous pouvons dire que tous ces appels de toutes ces associations, luttant pour la protection et la promotion des droits humains, sont tombés, comme c´est le cas régulièrement au Togo, dans les oreilles de sourds. Le chien aboie, la caravane passe, pourrait-on dire.
En effet, après presque 7 ans de détention, car arrêtés en 2018, 14 malheureux viennent d´être condamnés à de lourdes peines de prison; précisément à 10 ans et à 20 ans pour les «accusés» supposés en fuite. Adam Latif, Djobo Boukari, l´emblématique Aziz Goma et 11 autres n´avaient aucune chance; le piège qu´on leur avait tendu en 2018, après les manifestations de la C14 (un regroupement de l´opposition), après que Tikpi Atchadam du Parti National Panafricain (PNP) ait appelé «le grand-frère» Jean-Pierre Fabre de l´ANC (Alliance Nationale pour le Changement) à une plus grande mobilisation, s´est refermé sur eux. À l´époque des manifestations monstres, comme c´est le cas depuis 1990 pour tenter de mettre fin au régime de dictature, le pouvoir autour de Faure Gnassingbé était paniqué et avait pris peur. Il fallait donc réactiver la stratégie de la terreur, cette arme favorite qui eut malheureusement raison de plusieurs opposants, pas des moindres, depuis la fin de la conférence nationale, en juillet et août 1991. Il fallait donc inventer, dans les sinitres laboratoires du tristement célèbre RPT-UNIR, des histoires à dormir debout, pour pièger et neutraliser pour longtemps, des jeunes Togolais chauds, proches des partis politiques de l´opposition, et surtout proches du PNP. Il fallait alors accuser son chien de rage pour pouvoir le noyer.
Et certains des prisonniers politiques encore en détention que nous avons contactés nous ont affirmé qu´ils ne savaient pas, jusqu´à ce jour, pourquoi on les avait arrêtés. Pour faire peur en décourageant beaucoup de Togolais, surtout jeunes, de suivre les mots d´ordre de l´opposition, la formule était simple: des habits sont d´abord cousus dans les laboratoires bleus et il fallait ensuite chercher au sein des populations, dans les quartiers pro-opposition des potentiels meneurs ou manifestants pour arrêter et mettre dans ces accoutrements déjà préparés, qui s´appellent Tigre-révolution, Tchoboé for freedom etc…Le Parti National Panafricain (PNP) est une formation politique légalement constituée qui avait pris soin de se désolidariser très tôt des groupements radicaux de jeunes opposants au Togo ou dans la diaspora. Il était donc difficile d´accuser le PNP, pour éventuellement prononcer une interdiction du parti. À beaucoup de ceux qui étaient arrêtés en 2018 il fut régulièrement demandé d´après le lieu où se trouverait Salifou Tikpi Atchadam, parti en exil. Des arrestations ou rafles dans les quartiers chauds de Lomé, à Sokodé et dans le village natal du premier responsable du PNP, Kparatao, furent opérées un peu par hasard. C´est pourquoi aujourd´hui une bonne partie des détenus, condamnés ou encore en détention sans procès, portent des noms qui renvoient à une certaine ethnie.
Les 14 Togolais condamnés il y a trois jours étaient poursuivis pour «complot contre la sécurité de l´état, groupement de malfaiteurs, troubles aggravés à l´ordre public et destructions volontaires…» Des expressions toutes faites habituées à être utilisées contre des opposants dans les républiques bananières comme au Togo. Comme ASVITTO le précise et le condamne dans sa déclaration, il n´y a jamais eu, du début, c´est-à-dire depuis les vagues d´arrestatons arbitraires de 2018, jusqu´à aujourd´hui aucun début de preuves. «L’enquête a mis en lumière l’existence d’un réseau d’activistes basé en Europe et militant sous la bannière du mouvement « Tsoboé for Freedom », présenté par l’accusation comme un groupe cherchant à organiser une insurrection au Togo.
Selon l’avocat général, ce mouvement aurait tenu plusieurs réunions en Allemagne et en Italie, sous la direction d’un certain Affoh, épaulé par un dénommé Nouredine, résidant en Italie. Lors de ces rencontres, Aziz Goma, Togolais naturalisé irlandais et vivant à Manchester (Royaume-Uni), aurait participé à l’élaboration d’un plan visant à recruter des mercenaires et à financer des opérations de sabotage.» Tous les accusés auraient rejeté en bloc toutes ces accusations graves qui ne tiennent sur aucun socle solide; des accusations fallacieuses qui ont contribué à détruire des vies d´honnêtes citoyens et disloquer des familles pour toujours. Les services de renseignement du régime togolais, déjà phlétoriques et coûteux pour le trésor, pouvaient continuer à avoir à l´oeil de telles associations, si elles existent vraiment, au lieu de faire des montages pour embastiller des pères de familles qui ont également droit à la liberté d´aller et venir comme tous les autres citoyens. La cour de justice de la CEDEAO, des institutions des droits de l´homme sur le plan international avaient déjà fait constater, à plusieurs reprises, le caractère vide des dossiers et demandé purement et simplement la libération sans conditions de tous les prisonniers politiques.
Quant au procès lui-même, ou plutôt, quant au semblant de procès lui-même, les verdicts semblent avoir déjà été décidés ailleurs. Depuis leurs arrestations aux allures d´enlèvements, les pauvres citoyens n´avaient aucune chance, dans un pays de dictature dont le programme de gouvernement consiste à broyer de l´opposant pour ne jamais quitter le pouvoir. Un pouvoir qui a réussi à faire en sorte qu´une justice instrumentalisée et aux ordres soit aux affaires pour dire le non-droit. À cause de cette justice à deux vitesses au Togo qui est sans pitié, même sans preuves, pour les opposants au régime de Faure Gnassingbé, et qui ferme les yeux sur les nombreuses agressions ou assassinats d´opposants, dont les enquêtes ne prennent jamais fin, beaucoup de Togolais se demandent s´il vaut encore la peine de continuer à étudier le droit dans ce pays, où juges, procureurs et autres sont devenus des instruments du régime de dictature pour persécuter tous ceux qui pensent autrement.
Plusieurs dizaines de prisonniers politiques croupissent encore dans des conditions lamentables, et surtout dans une totale incertitude quant au sort qui leur est réservé. Nous continuons, les associations des droits de l´homme, comme ASVITTO, continuent de dénoncer les abus et l´arbitraire du régime togolais sur de paisibles citoyens, et demandent purement et simplement qu´ils soient libérés sans conditions.
Samari Tchadjobo
Allemagne