De son vivant, durant quatre bonnes décennies, Gnassingbé Eyadema mobilisait chaque année, aux mois de janvier et de juillet, un beau monde, à Lomé, la capitale, et à Kara, dans la partie septentrionale du pays où étaient célébrés successivement et avec faste le 13 janvier, « fête de la libération nationale », et les Evala, les luttes traditionnelles en pays Kabyé, qui s’étendaient sur plusieurs jours. Avec Eyadema, le spectacle était toujours haut en couleur. D’illustres personnalités mais aussi de menus fretins trônaient aux côtés de l’hôte de marque pour ces festivités qui avaient pour vocation de ceindre de lauriers le front de l’ancien chef d’Etat du Togo. Oui, le « Baobab » n’avait pas son pareil pour attirer la lie et les malhonnêtes.
Des chefs d’Etat, des personnalités venues de divers horizons, des députés européens, mais aussi des ambassadeurs ACP, des têtes couronnées du vieux continent, mais aussi des chefs tribaux parés de leurs plus beaux atours, etc., personne ne voulait se faire conter ces rendez-vous de l’histoire. D’autant plus qu’on y trouvait toujours son compte à aller rendre visite à Eyadema connu pour sa magnanimité légendaire. Chaque année donc, et durant 38 ans, Lomé et Kara ne désemplissaient pas. Tout un aéropage de VIPs mais aussi de griots et autres troubadours au service de la dictature débarquait à Lomé et à Pya, le village natal de Gnassingbé Eyadema pour prendre part à ces cérémonials à la gloire du maître du céans.
Deux décennies après son décès, le fantôme du général Eyadema continue de planer sur le Togo. Puisque la semaine dernière, Kara avait grouillé de monde. Tout le conglomérat au pouvoir s’était transporté dans le septentrion pour…célébrer le vingtième anniversaire du décès de l’ancien président togolais, qui coïncidait aussi aux 20 ans d’accession au pouvoir de son fils. Même si le régime a feint d’occulter cet autre anniversaire. Pour les opposants de Faure Gnassingbé, il ne fait l’ombre d’un doute, celui-ci a instrumentalisé les 20 ans de décès de son père pour célébrer son propre pouvoir.
Pour Nathaniel Olympio, porte-parole du front « Touche Pas A Ma Constitution », l’actuel chef d’Etat s’est caché derrière cette commémoration ostensible et coûteuse, pour sa célébrer sa prise de pouvoir par un coup d’Etat. « En mobilisant, de manière impérative et hors de tout cadre légal, toutes les ressources de l’Etat, les religieux, les chefs traditionnels, les fonctionnaires et les universités pour cette célébration festive de sa prise de pouvoir, le régime provoque encore une fois le peuple togolais. Cette provocation est d’autant plus inacceptable que les Togolais n’ont jamais été aussi miséreux que ces dernières années où la gouvernance les prive de plusieurs services sociaux de base, avec un coût de la vie exorbitant qui ne leur permet même pas de se nourrir correctement », a fustigé l’opposant.
En effet, pour ce double anniversaire, toute la vie politique s’était concentrée dans la partie septentrionale du pays. Lomé avait l’air d’une ville déserte. L’éclat de la cérémonie a été rehaussé par la présence très remarquée de quelques anciens chefs d’Etat, notamment Nicéphore Soglo et Thomas Boni Yayi du Bénin, Mahamadou Issoufou du Niger, Alpha Oumar Konaré du Mali, Goukouni Oueddei du Tchad, de quoi conférer à cette cérémonie un illustre indéniable.
Aucun dirigeant en exercice n’a répondu à l’invitation de Faure Gnassingbé, même si certains à l’instar du Ghanéen John Dramani Mahama auraient souhaité être logés à bonne place à cette cérémonie. Mais sa présence au nord Togo aurait fait désordre. Il s’est donc abstenu. Tout comme son prédécesseur Nana Akufo-Addo qui n’a pas bonne presse auprès de ses concitoyens après deux mandats passés à la tête du Ghana.
La présence de ces anciens chefs d’Etat dont certains à l’instar de Nicéphore Soglo et Goukouni Oueddei ont été élevés à la dignité de Grand-Croix de l’ordre du mérite, une distinction qui traduirait la « reconnaissance de leur engagement et leur confiance inébranlable aux initiatives unificatrices du Président Eyadema, comme un bon père de famille », est un soutien sans faille au régime de Faure Gnassingbé, la plus vieille dictature familiale en Afrique.
Le Togo, tous le savent, est une curiosité, une incongruité politique en Afrique. C’est le seul Etat dans qui semble figé dans le temps. La République est devenue héréditaire. L’alternance démocratique dont jouit tout le voisinage est quasi impossible. Pour preuve, cela fait 58 ans que la dynastie Gnassingbé règne sans fin sur ce petit pays cloîtré entre le Bénin et le Ghana qui sont des modèles de démocratie connus sur le continent.
Le père, Gnassingbé Eyadema, qui avait pris le pouvoir à l’issue d’un coup d’Etat en 1967, a dirigé le Togo d’une main de fer pendant 38 ans jusqu’à sa mort en février 2005 où le fils, Faure Gnassingbé, lui a succédé dans des conditions rocambolesques. Après 20 ans de règne sans partage, Faure Gnassingbé qui nourrit l’ambition de mourir au pouvoir comme son père, a fait changer, en avril 2024, unilatéralement la Constitution, et supprimer les élections présidentielles afin de rester indéfiniment aux commandes du pays.
Alors que ces anciens présidents devraient prendre de conscience de la souffrance qu’endurent les Togolais depuis 60 ans et œuvrer pour permettre à la démocratie de s’enraciner au Togo, ils ont préféré apporter leur soutien à la plus vieille dictature de type monarchiste en Afrique.
On se rappelle, début octobre 2019, avait eu lieu à Niamey, au Niger, au moment où Mahamadou Issoufou était encore aux affaires, un sommet sur le constitutionnalisme et la limitation des mandats présidentiels, avec la participation d’anciens chefs d’État et de gouvernement africains, de chercheurs et de praticiens du droit constitutionnel. A l’occasion, le président nigérien avait tenu un discours qui avait émerveillé tout le continent.
« L’usure du pouvoir peut conduire au despotisme, au clanisme et à l’inefficacité, affirmait-il. Il est évident que les détenteurs du pouvoir sont portés à en abuser et cela se vérifie d’autant plus que leur présence au pouvoir est longue. Le peuple aspire au changement de manière périodique et la limitation de mandats lui offre cette opportunité ».
Bien avant, après avoir exprimé à maintes reprises, son désir le plus ardent de passer le pouvoir à un successeur démocratiquement élu, il a fait une déclaration devenue culte : « J’ai beau chercher, je ne trouve aucun argument qui justifierait que je me sente irremplaçable ou providentiel. Nous sommes 22 millions de Nigériens, pourquoi aurais-je l’arrogance de croire que nul ne peut me remplacer ? »
Mais aujourd’hui, Mahamadou Issoufou est devenu méconnaissable, en soutenant au Togo le contraire de ce qu’il affirmait hier quand il était encore au pouvoir. L’inconstance de certaines personnalités est assez incroyable.
On se rappelle aussi le cas d’Alpha Oumar Konaré, alors président de la Commission de l’Union Africaine qui s’était montré très virulent et hostile à la dévolution monarchique orchestré au pouvoir en 2005 au Togo, à la suite du décès de Gnassingbé Eyadema. Furieux, il avait dénié toute légitimité à Faure Gnassingbé qui était parvenu au pouvoir après un triple coup d’Etat militaire, constitutionnel et électoral. « L’acte du 5 février est irresponsable », avait-il fustigé, affirmant au passage qu’on ne pouvait pas faire confiance à Faure Gnassingbé.
Voilà les mêmes chefs d’Etat qui adoubent aujourd’hui Faure Gnassingbé qui s’est durablement installé au pouvoir après avoir pris la place de son père et qui ne rêve que d’une chose : mourir au trône comme son géniteur.
On dit souvent que la vieillesse est synonyme de sagesse, mais manifestement chez ces anciens dirigeants, la vieillesse est un naufrage.
M.A.
Source: libertetogo.tg