Les autorités ghanéennes ont failli à respecter et protéger les droits humains de centaines de victimes d’accusations de sorcellerie et d’attaques rituelles contraintes de fuir leurs communautés par peur pour leur vie, a déclaré Amnesty International dans un nouveau rapport.
« Marquées à vie : comment les accusations de sorcellerie entraînent des violations des droits humains de centaines de femmes dans le nord du Ghana » documente la situation dans quatre camps informels où les personnes accusées, principalement des femmes âgées, vivent actuellement avec un accès insuffisant aux services de santé, à l’alimentation, à un logement sûr, à l’eau propre et à des opportunités économiques. Lors des visites d’Amnesty International en novembre 2023 et avril 2024, plus de 500 personnes résidaient dans ces camps.
« Les accusations de sorcellerie et les abus qui en découlent portent atteinte au droit à la vie, à la sécurité et à la non-discrimination. Cette pratique profondément enracinée et répandue est à l’origine de souffrances et de violences indicibles. Si la croyance en la sorcellerie est protégée par le droit international, les pratiques néfastes qui en découlent ne le sont pas et les personnes affectées ont besoin de protection et de réparation », a déclaré Michèle Eken, chercheuse senior à Amnesty International.
« Il ne veut pas de moi [dans la communauté], c’est pourquoi il m’a accusée »
Les accusations, qui peuvent mener à des menaces, des agressions physiques et même la mort, trouvent généralement leur origine au sein de la famille ou de la communauté à la suite d’un événement tragique comme une maladie ou un décès. Les femmes âgées vivant dans la pauvreté, avec un handicap ou souffrant d’une maladie sont les plus exposées, de même que les femmes qui ne se conforment pas aux stéréotypes de genre.
Dans certains cas, les accusateurs se fondent sur un cauchemar qu’ils ont fait à propos d’une personne.
« Mon voisin a dit qu’il avait rêvé […] que j’essayais de le tuer. Il ne veut pas de moi [dans la communauté], c’est pourquoi il m’a accusée », a déclaré Fawza*, résidente du camp de Gnani. « J’ai refusé que le chef [du village] épouse une de mes filles. Un jour, un enfant est tombé malade dans la communauté et le chef m’a accusée », a déclaré Fatma*, résidente du camp de Kukuo.
Une autre résidente du camp de Kukuo âgée d’une soixantaine d’années a déclaré : « ils s’arrangent toujours pour porter des accusations contre vous, surtout si vous travaillez dur, si vous restez forte et si vous vous débrouillez bien en tant que femme ».
Les autorités échouent à garantir des conditions de vie décentes dans les camps
Les femmes accusées de sorcellerie n’ont aucun endroit sûr où se réfugier hormis les camps supervisés par des leaders religieux dans les régions du nord et du nord-est du Ghana, qui ont maintenant plus d’un siècle d’existence.
Bien que les camps leur offrent un abri, les conditions de vie y sont inadéquates. Alimata* a des difficultés à se loger : « j’ai ma propre chambre ici, mais il faut refaire le toit. L’eau traverse le toit quand il pleut ». Une résidente du camp de Kukuo, âgée de 80 ans, ne parvient pas à subvenir à ses besoins depuis qu’elle a fui son village : « beaucoup de choses me manquent [de ma maison]. J’avais tout. Je récoltais des noix de karité. Maintenant, s’il n’y avait personne pour me nourrir, comment pourrais-je manger ? »
Le gouvernement a échoué à garantir l’accès à une alimentation adéquate, à un logement sûr et à l’eau propre dans les camps. Les services de santé sont également inadéquats pour les femmes qui ont des problèmes de santé graves ou chroniques. Les moyens de subsistance sont limités et il n’existe pas de programme gouvernemental pour soutenir les victimes d’accusations de sorcellerie.
« Étant donné que les résident·e·s des camps ne sont pas en mesure de subvenir à leurs besoins, les autorités ont le devoir de les protéger et de les soutenir. Or, jusqu’à présent, elles échouent à le faire », a déclaré Marceau Sivieude, directeur régional par intérim d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale.
Les accusations de sorcellerie et les attaques rituelles doivent être criminalisées
Les témoignages soulignent l’incapacité de l’État à créer un environnement propice aux enquêtes criminelles et aux poursuites judiciaires des attaques liées à la sorcellerie. Cette situation contribue à la récurrence de ces accusations et des abus qui en découlent.
En ne mettant pas en place un cadre juridique spécifique pour lutter contre cette pratique néfaste, les autorités ghanéennes ont manqué à leur devoir de protection des victimes.
« Les autorités doivent adopter une législation qui criminalise spécifiquement les accusations de sorcellerie et les attaques rituelles et prévoie des mesures de protection pour les victimes potentielles », a déclaré Genevieve Partington, directrice nationale d’Amnesty International Ghana et membre de la Coalition contre les accusations de sorcellerie, une association créée à la suite du lynchage d’une femme âgée de 90 ans en juillet 2020.
Il faut également s’attaquer aux causes profondes
La croyance en la sorcellerie est ancrée dans plusieurs communautés. La criminalisation des accusations de sorcellerie ne suffira pas à résoudre le problème. Bien que certaines initiatives de sensibilisation soient menées par des ONG et au niveau du gouvernement local, elles ne suffisent pas à combattre tous les stéréotypes liés aux accusations de sorcellerie.
« Nous demandons instamment l’adoption d’une approche holistique qui s’attaque aux causes profondes de ces abus, notamment à travers des programmes de réintégration sociale et économique, ainsi que la protection et des réparations pour les personnes qui ont subi des abus à la suite d’accusations », a déclaré Genevieve Partington.
« Le gouvernement devrait mettre en place une campagne nationale de sensibilisation sur le long terme dotée de ressources suffisantes pour lutter contre les pratiques culturelles et sociales discriminatoires à l’égard des femmes et des personnes âgées, y compris les accusations de sorcellerie. »
Source: Amnesty International