Togo- Artistes et liberté d’expression : l’urgence d’un nouveau pacte social

L’art, depuis toujours, se déploie dans les marges du pouvoir et au cœur de la société. Les artistes sont porteurs d’une parole libre, souvent inconfortable, mais nécessaire. Ils ont pour habitude de se dresser, non comme des détenteurs de vérité, mais comme des éveilleurs de conscience. Leur langage : peinture, musique, théâtre, poésie ; permet d’exprimer l’indicible, de nommer les colères, les douleurs, les espoirs que beaucoup n’osent formuler.

Dans cette démarche, les artistes ont souvent fait preuve d’une grande solidarité, entre eux et envers les peuples. Une solidarité faite de soutien mutuel et d’engagement. Malheureusement, cette dynamique est aujourd’hui menacée par un marché de plus en plus étroit, par des formes de censure sourde et par l’autocensure née de la peur.

Le poids du marché et la tentation du silence

« Créer, c’est résister ; résister, c’est créer », écrivait Stéphane Hessel. Pourtant, à l’heure actuelle, nombreux sont les artistes qui hésitent à se prononcer sur les réalités sociales et politiques. Non pas par indifférence, mais par crainte : crainte de perdre leur visibilité, leurs partenariats, ou tout simplement leur liberté. Dans des contextes où le marché est restreint, la liberté d’expression artistique devient un luxe. Et pourtant, à l’ère des réseaux sociaux, les paroles franches, sincères, et courageuses ont un écho immédiat. Le public n’est plus passif ; il observe, relaie, débat. Les artistes doivent réapprendre à faire confiance à leur intuition, à leur capacité à toucher les consciences et à provoquer des changements réels.

Aamron, entre parole libre et stigmatisation

L’arrestation récente du rappeur togolais Aamron nous interpelle profondément. Accusé d’avoir usé d’une liberté d’expression jugée « excessive », il est aujourd’hui détenu. On lui prêterait même, dans certains cercles, des propos sur sa supposée folie. Une vieille méthode d’étouffement de la parole dissidente. Il faut rappeler que la folie n’est pas étrangère à l’art. Antonin Artaud écrivait : « Le poète est celui qui inspire bien plus que celui qui est inspiré. » Et parfois, cette inspiration dépasse les cadres rationnels. La douleur, la colère, l’injustice peuvent se transformer en cris, en délires poétiques, en formes exubérantes qui dérangent. Qualifier un artiste de fou pour avoir crié trop fort, c’est ignorer le rôle fondamental de l’art dans la société. « La colère est l’expression d’un espoir déçu », disait Aimé Césaire. L’artiste ne fait que renvoyer à la société l’image de ses propres contradictions.

Vers une écoute des artistes, non une répression

Ce n’est pas en muselant les artistes que l’on construit la paix sociale. C’est en les écoutants, en leur offrant des espaces sûrs pour s’exprimer, en reconnaissant leur rôle d’avant-garde. Les autorités publiques doivent prendre conscience que les artistes ne sont pas des ennemis de l’ordre, mais des révélateurs de désordre. Il faut encadrer, accompagner, soutenir ; pas réprimer.

Si l’expression artistique devient un danger pour l’ordre public, cela signifie que le dialogue entre gouvernants et gouvernés est rompu. Ce n’est pas l’artiste qu’il faut juger, c’est le silence imposé qui doit être interrogé.

Que chacun joue son rôle

Les artistes doivent retrouver leur audace. Les autorités doivent sortir de leur posture défensive. Et le public doit rester vigilant et solidaire. La liberté d’expression ne se négocie pas, elle se protège. Pour paraphraser Paul Éluard : « Il n’y a pas de liberté sans courage. »

Aujourd’hui, c’est Aamron. Demain, ce pourrait être n’importe quel autre. Soutenir un artiste, c’est soutenir notre capacité collective à imaginer, à dénoncer, à espérer. C’est défendre un bien commun : la parole vivante.

Richard Laté Lawson-Body

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *