Togo – Le soulèvement ne faiblit pas : « Ce calme bruyant n’est que la première phase », selon Madi Djabakaté

Alors que les rues de Lomé semblent être revenues à la normale, certains observateurs hâtifs pourraient conclure que la contestation populaire contre le régime en place s’est encore éteinte. Une lecture que ne partage nullement Madi Djabakaté, politologue togolais, pour qui les mouvements citoyens engagés depuis le 6 juin dernier ne sont ni finis, ni essoufflés.

« Pour ma part, et connaissant mon pays, je pense que le processus est en cours. C’est un processus continu », a affirmé l’analyste au micro d’Enjeu d’Afrique ( sur YouTube).

Contrairement aux précédentes vagues de contestation, souvent portées par des partis d’opposition ou des figures politiques classiques, le mouvement actuel se caractérise par sa forme décentralisée, incarnée par une pluralité de citoyens, souvent jeunes, dont les méthodes d’action contournent les canaux habituels du militantisme. Pour Djabakaté, c’est justement cette mutation dans la nature de l’engagement qui rend le mouvement plus résilient.

« La particularité du mouvement actuel, c’est qu’il n’est pas incarné par un seul individu ou un seul parti politique. Il est incarné par plusieurs citoyens qui, chacun à son niveau, contribuent à la chose », a-t-il souligné.

Alors que certains évoquaient déjà, après les manifestations d’août 2017, la fin d’une époque protestataire, le politologue rappelle que même après la fermeture de l’espace civique, la répression des partis d’opposition, et les multiples réformes restrictives sur le droit de manifester, la contestation a su se reconfigurer, sans pour autant disparaître.

« Des gens ont dit au lendemain d’août 2017 qu’il n’y aurait plus jamais de manifestation au Togo. Ils ont fermé l’espace civique, ils ont revu la loi sur les manifestations publiques, ils ont traqué les opposants… Mais aujourd’hui, on réalise qu’il peut toujours y avoir des manifestations au Togo avec d’autres acteurs. »

Ces nouveaux acteurs – pour la plupart issus de la diaspora ou connectés à des réseaux numériques – développent une approche méthodique, moins visible mais efficace, centrée sur le boycott, la mobilisation virtuelle, l’éducation politique, et la dénonciation continue des abus de gouvernance.

« Ce qui se joue aujourd’hui au Togo, c’est libérer la voix. C’est permettre aux gens de s’exprimer. Et je pense qu’aujourd’hui, c’est assez clair. Cela se passe très simplement. Ça continue, les gens s’expriment. Donc c’est déjà la première phase. Et les autres phases vont suivre forcément. »

Autrement dit, le silence des rues n’est pas synonyme de résignation. Au contraire, il traduit l’adoption de stratégies nouvelles, évitant les confrontations directes avec un pouvoir accusé de répression violente. Pour Madi Djabakaté, ce qu’on observe en ce moment relève d’un « calme bruyant », une accalmie de surface qui dissimule une fermentation souterraine de la colère sociale.

« Il y a ce qu’on appelle un calme bruyant. Il ne faut pas voir seulement des mouvements dans la rue, une armée qui sort, des miliciens qui tirent sur des gens pour dire que ça ne va pas. Les gens ne sont pas prêts à rentrer dans le jeu de la violence que le gouvernement veut mettre en place. »

Et ce n’est pas l’essoufflement que certains imaginent, mais une évolution stratégique vers une lutte de longue haleine. Le politologue estime que la colère sociale reste intacte et que les engagements économiques pris par le pouvoir vis-à-vis des bailleurs de fonds, notamment le Fonds monétaire international (FMI), pourraient à tout moment rallumer la flamme de la protestation.

« Attendez-vous : si Faure Gnassingbé s’amuse à augmenter le prix de l’électricité, ça va péter. S’il s’amuse à augmenter les produits… Parce que tout ça, c’est déjà dans les recommandations et accords avec le FMI. Les Togolais les attendent là-dessus, et c’est là que tout va se jouer. »

Un peuple asphyxié

Au cœur du ressentiment populaire, Madi Djabakaté pointe une asphyxie économique, amplifiée par un SMIG à 35 000 francs CFA, jugé dérisoire face à la flambée des prix et aux conditions de vie. Il dénonce en parallèle les signes extérieurs de richesse affichés par certains hauts fonctionnaires, en contradiction flagrante avec la pauvreté ambiante.

« Le Togolais, quoi qu’on dise, est asphyxié fiscalement, il est asphyxié économiquement. Personne n’arrive à s’en sortir. […] Et quand vous voyez qu’au même moment certains peuvent s’offrir des villas en Europe, au Canada, à Dubaï avec l’argent des deniers publics, il n’y a pas de doute là-dessus. C’est normal que la patience ait des limites. »

À rebours d’un schéma classique de soulèvement, la situation togolaise actuelle repose sur une recomposition lente mais profonde de la contestation. Le régime en place semble jouer sur la durée et le contrôle de l’image, mais du côté citoyen, le mot d’ordre est stratégie, patience, détermination.

« La lutte, selon les principaux coordinateurs, continue. Et chaque jour, l’information circule. […] C’est une suite logique et un processus graduel », conclut Djabakaté.

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