Un mois après la répression brutale des manifestations pacifiques des 5, 6, 26, 27 et 28 juin à Lomé, un collectif de seize avocats africains, membres du Groupe d’Intervention Judiciaire SOS-Torture en Afrique (GIJ), a annoncé, mercredi, l’ouverture de poursuites judiciaires nationales et internationales contre les responsables présumés d’actes de torture, d’arrestations arbitraires et de traitements inhumains.
« Le Togo ne saurait aspirer à jouer un rôle central de médiateur sur le continent tout en fermant les yeux sur la torture perpétrée sur son territoire », ont-ils affirmé dans une déclaration ferme transmise à la presse.
Le GIJ, une initiative du Collectif des Associations Contre l’Impunité au Togo (CACIT) et de l’Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT), accuse les autorités togolaises d’avoir mobilisé illégalement l’armée et des unités spéciales telles que la Brigade Antigang, l’USIG, la BAC ou encore le GIPN pour réprimer des manifestations largement pacifiques dans des quartiers ciblés de la capitale, notamment Bè, Adakpamé, Bè-Kpota, Akodessewa ou encore Atikpodji.
Tortures documentées et arrestations arbitraires
Le GIJ affirme avoir documenté 21 cas de torture avérée, avec des violences allant des flagellations et coups graves, à des souffrances intentionnelles comme le ramassage de braises à mains nues, l’isolement, la mise à nu, et l’empêchement d’aller aux toilettes. Certaines victimes ont été menacées d’exécution ou contraintes de signer des documents sous la menace, parfois pour renoncer à leur droit de manifester.
« Ces actes ont été perpétrés en l’absence de toute menace grave à l’ordre public. Ils relèvent d’un usage illégal de la force d’État », dénonce le groupe.
Plus de 105 arrestations ont été recensées, « dont une grande majorité qualifiée d’arbitraire », précisent les avocats. Des mineurs, femmes, journalistes et professionnels de santé figurent parmi les personnes interpellées, souvent de nuit et sans mandat, par des agents cagoulés.
« Le refus de communiquer les lieux de détention aux familles constitue, au regard de la jurisprudence du comité contre les disparitions forcées, des disparitions forcées de courte durée », insiste le GIJ.
Des morts dans la lagune et le 4e lac
Le rapport met également en lumière des cas de morts suspectes. Le 26 juin, à Bè, trois jeunes non armés, poursuivis par les forces de sécurité, ont sauté dans la lagune. Deux d’entre eux ont été retrouvés morts, le troisième aurait été abattu selon des témoins. « Ces faits soulèvent de sérieuses préoccupations quant à de possibles violations du droit à la vie à cause d’une mise en danger délibérée », notent les signataires.
Le lendemain, les corps de deux frères ont été repêchés dans le 4e lac, en pleine période de manifestations, renforçant les soupçons de dérives sécuritaires.
Des preuves médicales accablantes
Des certificats médicaux confirment les lésions graves infligées aux détenus, dont des traumatismes crâniens, oculaires et psychiques. Plusieurs actes de torture auraient eu lieu dans les locaux de la brigade antigang de Djidjolé.
« La torture se nourrit de l’impunité. Le silence judiciaire, lui, est une forme de complicité », martèle le collectif.
La justice internationale sollicitée
Rappelant que le Togo a déjà été condamné six fois entre 2021 et 2025 par la Cour de Justice de la CEDEAO pour des faits similaires, les avocats du GIJ affirment : « Nous nous tenons à la disposition du procureur de la République pour contribuer à l’ouverture rapide d’enquêtes judiciaires, y compris devant le tribunal militaire ».
Ils menacent : « Des plaintes seront de nouveau déposées devant ces instances si rien n’est fait afin d’établir les responsabilités individuelles ».
Parmi les personnes visées : les chefs d’unité, commandants opérationnels et décideurs politiques ayant autorisé, toléré ou couvert les actes de répression.
Recommandations aux autorités togolaises
Le GIJ adresse une série de recommandations claires au gouvernement togolais :
- Mettre fin à l’impunité et garantir des enquêtes indépendantes ;
- Cesser tout recours à l’armée et aux milices dans la gestion des manifestations ;
- Libérer immédiatement toutes les personnes détenues arbitrairement ;
- Respecter le droit à la manifestation pacifique, garanti par la Constitution togolaise ;
- Garantir la justice et la réparation pour les victimes ;
- Prendre en charge les citoyens blessés dans un esprit d’apaisement national.
Une mobilisation continentale
Les signataires de cette déclaration sont issus de 13 pays africains : Tchad, Côte d’Ivoire, Algérie, RDC, Cameroun, Tunisie, Burkina Faso, Bénin, Niger, Burundi, Congo, et Togo. Ils affirment que ce combat n’est pas uniquement togolais mais reflète un engagement africain commun contre la torture et pour la justice.
« Il est temps que la justice prenne le relais là où l’impunité a trop longtemps prévalu », conclut la déclaration.
Voici la liste des avocats du Groupe d’Intervention Judiciaire SOS-Torture en Afrique (GIJ)
Maitre Djerandi Laguerre Dionro, Bâtonnier de l’Ordre des Avocats du Tchad
Maitre AMAZOHOUN Ferdinand, Collectif des associations contre l’impunité au Togo (CACIT)/Togo
Maitre AMEGAN Claude, Collectif des associations contre l’impunité au Togo (CACIT)/Togo
Maitre DOUMBIA Yacouba, Mouvement Ivoirien des Droits de l’Homme (MIDH)/ Cote d’Ivoire
Maitre RAHMOUNE Aissa, Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADH)/ Algérie
Christian LOUBASSOU, Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT-Congo) / République du Congo
Maître NKONGHO Felix, Center for Human Rights and Democracy in Africa (CHRDA)/ Cameroun
Maitre WEMBOLUA Henri, Alliance pour l’Universalité des Droits Fondamentaux (AUDF)/ RDC
Maitre Annie MASENGO, Réseau des Défenseurs des Droits de l’Homme (RDDH)/ RDC
Maitre NODJITOLOUM Salomon, Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT/TCHAD)
Maitre NIYONGERE Armel, SOS-Torture Burundi/ Burundi
Maitre ZANINYANA Jeanne d’Arc, Collectif des Avocats pour la Défense des Victimes de Crimes de Droit International commis au Burundi (CAVIB)/ Burundi
Maitre KADIDIATOU Hamadou, Association pour la Défense et la Protection et l’Enfant et de la Femme (ADEPE-F/ESPOIR) / Niger
Maitre Chantal LENGA, Association des Femmes Juristes du Burkina Faso / Burkina Faso
Maitre NKONGME Dorcas Mirette, Center For Human Rights and Democracy in Africa (CHRDA)
Maitre SOUILAH Mohsen, Centres SANAD/ Tunisie
Maitre KWAMBA TSIHINGEJ Frédéric, AFIA MAMA / RDC
Alexandrine TCHEKESSI, Directrice exécutive, Changement Social Bénin