Au Togo, même des élèves sont addicts à la drogue

Autrefois, les substances psychoactives étaient principalement consommées par des personnes d’un certain âge. Mais aujourd’hui, cette addiction touche même les adolescents, et en particulier les élèves. Dans ce reportage signé par Isidore Kouwonou et Nicolas Agbossou pour la BBC, l’on dresse un panorama de la situation au Togo, particulièrement à Lomé, où des élèves, au lieu de suivre les cours, font l’école buissonnière en escaladant le mur leur établissement scolaire pour aller fumer du cannabis au cimetière. Lecture.

Consommation de la drogue : au Togo, « des élèves escaladent la clôture du cimetière pour aller fumer »

La consommation des substances psychoactives, surtout en milieu scolaire, est devenue un véritable problème de société au Togo. Sur une planche soutenue par deux briques, un jeune homme que nous appellerons Kokou dans ce reportage, a pris place, près des tas d’ordure au bord de la lagune de Bè, l’un des plus grands bidonvilles de la capitale togolaise Lomé. Les yeux mi-fermés, il est incapable de bouger.

Non loin de lui, dans les touffes d’herbes qui finissent leur rangée dans les eaux de cette lagune polluée, quatre autres jeunes hommes font circuler entre eux un papier blanc enroulé, dont le bout noir devient incandescent à chaque fois que l’un d’entre eux le porte à ses lèvres.

Dans ce quartier populaire de Bè-Kpota, des jeunes sont réputés consommateurs du cannabis. C’est en pleine action que nous débarquons dans le repaire de ces jeunes garçons. L’odeur étouffante de leur cibiche nous accueille quelques mètres au loin. Nous pouvons les approcher grâce à un guide qui a préparé le terrain et que les jeunes appellent « grand-frère » dans le quartier.

« Vous ne pouvez pas les approcher seul. S’ils ne vous ont jamais vu, vous constituez une menace pour eux. Ils peuvent vous agresser si vous vous approchez trop », explique notre guide, que nous appellerons Richard, pour raison de sécurité. C’est lui le grand-frère du quartier que les habitants appellent lorsque ces jeunes gens deviennent trop agressifs.

« Ne venez pas me déranger ici quand vous finissez de prendre vos merdes-là », lance soudainement une femme à quelques mètres de là où nous observons. Nos hôtes ne se soucient même pas de notre présence.

C’est une revendeuse de Kom, un plat à base de maïs très prisé au Togo, qui crie sur un garçon qui visiblement a faim.

Ce dernier vient demander de l’eau à boire, parce qu’il estime qu’il n’a pas les 25 FCFA nécessaires pour s’en procurer. « C’est toujours comme ça qu’ils font ici. Ils ont 100 FCFA pour venir se procurer de l’herbe, mais n’ont pas d’argent pour manger ni acheter de l’eau à boire », nous lance-t-elle.

Le jeune homme dont il s’agit c’est bien Kokou. La vingtaine à peine, élève au lycée de Bè-Kpota, lui qui a attiré notre attention lorsque nous étions arrivés sur les lieux. Il a réussi à quitter sa planche pour aller chercher à boire, en titubant.

“Il vient sûrement de fumer le cannabis.” Je suis sûr qu’il n’a même pas encore mangé. C’est pourquoi vous le trouvez comme ça. Après, il va débarquer chez lui menaçant sa maman, lui demandant à manger” confie Richard, notre guide, qui ajoute qu’ils sont nombreux dans le quartier à s’adonner à la drogue.

Selon lui, les filles et même les femmes mariées viennent s’approvisionner à cet endroit. « Il y en a qui fument sur place. D’autres rentrent chez eux avec ».

Nous avons eu une indication du lieu où se trouve le fournisseur du quartier. Nous avons tenté de nous rapprocher de lui dans le cadre de ce reportage, sans succès. Selon les témoignages, c’est quelqu’un de très discret qui se montre rarement.

« Je ne crois pas qu’il accepterait de vous parler, même s’il était là », chuchote la revendeuse de Kom, comme si elle avait peur que quelqu’un d’autre l’entende parler.

Sur place, le cannabis enroulé dans de petits sachets transparents ou dans du papier est disponible à partir de 100 FCFA. Pas besoin de les peser avant de les vendre. « Même les élèves, des jeunes de moins de 20 ans viennent s’en procurer ici», souligne notre guide.

Des « ghettos » visités par des jeunes dans de nombreux quartiers

Des endroits tels que celui que nous venons de visiter dans ce quartier, on en trouve un peu partout à Lomé, la capitale togolaise. D’ailleurs, chaque quartier a un nom de code pour désigner le cannabis que prennent ces jeunes.

Par exemple, à Bè-Kpota où nous sommes allés, les jeunes l’appellent en mina (langue la plus parlée dans la capitale) « anaké », ce qui signifie bois de chauffe. Dans le quartier Adakpamé, on l’appelle « éba » (la boue). Pour les jeunes d’Anfamé, c’est « fafavi » (fils de paix), etc.

D’autres quartiers surnomment le cannabis, « dotè » (gingembre), « ahonin zi » (l’œuf de pigeon). Tous ces noms sont donnés à cette drogue pour brouiller les pistes. « Seuls ceux qui sont dans ces milieux comprennent de quoi on parle. C’est le jargon et le message passe facilement entre eux », note Richard.

Malheureusement, beaucoup de jeunes scolaires visitent ces lieux « à la recherche de je ne sais quoi », selon Clarisse Mensah, enseignante au CEG Nyékonakpoé, un autre quartier de Lomé, réputé pour abriter ces lieux où les jeunes prennent du tabac, de la drogue ou ingurgitent des litres de boissons alcoolisées ou énergisantes.

Elle affirme que ces jeunes constituent un casse-tête pour les enseignants. Ceux-ci sont obligés de les « gérer », tout en essayant de leur inculquer des valeurs.

« Il nous arrive de voir des élèves escalader la clôture du cimetière pour aller fumer. On ne sait pas pourquoi ils choisissent le cimetière », témoigne le patron d’un atelier de mécanique auto, en face du cimetière municipal de Bè-Kpota.

Ce caveau se situe à quelques mètres seulement du lycée de Bè-Kpota, fréquenté par de nombreux adolescents des environs.

Le mécanicien précise que ces jeunes n’ont cure des interpellations. Ils fument même en tenue scolaire, sans aucune gêne.

Les jeunes, la drogue et l’école à Lomé

Selon Mme Touré Khadidja Cathérine, présidente de l’ONG Recherche, Action, Prévention et Accompagnement des Addictions (RAPAA), le phénomène de la consommation des substances psychoactives est un problème généralisé en Afrique de l’Ouest, notamment au Togo. C’est devenu un problème de société et de santé publique.

RAPAA intervient depuis 2013 au Togo dans le domaine des addictions aux substances psychoactives, que ce soient le tabac, l’alcool, la drogue, la consommation abusive des médicaments et autres.

Elle fait de la prévention pour limiter le nombre de nouveaux usagers de substance, la prise en charge et accompagnement pour ceux qui sont déjà dans l’addiction.

La consommation de ces psychoactives, souligne-t-elle, augmente parce que l’offre est disponible et les substances deviennent de moins en moins chères. « Les jeunes sont les plus touchés par ce phénomène de société », ajoute Touré Khadidja Cathérine.

« C’est dans les établissements scolaires surtout qu’il y a aujourd’hui cette consommation de la drogue ».

Les substances les plus consommées au Togo, selon elle, c’est d’abord le cannabis. « On voit également que les cracs et la cocaïne sont aussi consommés, avec les amphétamines, c’est-à-dire les médicaments détournés de leur usage normal », explique-t-elle.

Ces jeunes associent souvent ces substances parfois avec de l’alcool local (sodabi) et des boissons énergisantes.

Elle explique également qu’au Togo, il n’y a pas vraiment d’étude pour déterminer la proportion de jeunes ou de consommateurs de drogue. Mais un sondage mené par son ONG en 2020 a révélé que de plus en plus de jeunes scolaires surtout et des femmes consomment beaucoup l’alcool et des boissons énergisantes.

«On ne sait pas trop la composition de ces boissons. Mais pour les jeunes, c’est la recherche de la force physique et de la force sexuelle, et à travers ces boissons, ils pensent pouvoir trouver ce qu’ils recherchent alors qu’en vérité tout cela nuit à leur santé physique et mentale », déclare Mme Cathérine.

Cliquez pour lire la suite du reportage sur BBC Afrique

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