Le 10 décembre 1984, la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants était adoptée, marquant un tournant majeur dans la lutte mondiale pour les droits de l’homme. Quarante ans plus tard, ce texte demeure un pilier incontournable dans la lutte contre l’une des violations les plus graves de la dignité humaine. Dans cette tribune, Bruno Haden, secrétaire général de l’ACAT-Togo, invite à une réévaluation des progrès accomplis et des défis persistants dans la lutte contre la torture. Il souligne la nécessité de renforcer l’engagement mondial face aux formes contemporaines de torture, souvent invisibles mais tout aussi destructrices. Haden rend hommage aux efforts des organisations et des défenseurs des droits humains tout en insistant sur l’importance de la vigilance continue pour éradiquer cette pratique.
Par Bruno HADEN, Secrétaire Général de l’ACAT TOGO, Consultant en surveillance, documentation et rapportage des violations des droits de l’homme.
1984-2024 : 40 ANS DE LA CONVENTION DES NATIONS UNIES CONTRE LA TORTURE, DE L’OMBRE A LA LUMIERE, UN COMBAT QUI SE POURSUIT
De l’ACAT TOGO à l’OMCT, en passant par la FIACAT, l’APT, l’IRCT, REDRESS et OMEGA, de nombreuses organisations à travers le monde se mobilisent pour commémorer les 40 ans de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Le 10 décembre 1984, l’Assemblée générale des Nations Unies adoptait la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. L’entrée en vigueur de ce texte historique en 1987 constitue un pilier des droits humains, affirmant l’interdiction absolue de la torture sous toutes ses formes.
Quarante ans plus tard, la Convention des Nations Unies contre la torture demeure un instrument juridique fondamental pour lutter contre l’une des pires atteintes à la dignité humaine.
Ladite Convention, reste une référence majeure pour les défenseurs des droits humains et les survivants de la torture mais elle souligne également un combat inachevé : celui de l’éradication totale de la torture, souvent sous des formes modernes et insidieuses.
Nous rendons hommage au travail des organisations, des défenseurs des droits humains et des survivants qui travaillent pour faire respecter cette interdiction universelle.
Alors que nous commémorons cet anniversaire, il est primordial de réévaluer les progrès accomplis, d’identifier les défis persistants et de renouveler notre engagement collectif pour éradiquer la torture à l’échelle mondiale.
Un cadre juridique international
La Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants est souvent désignée par l’acronyme CAT, établit un cadre juridique international solide visant à prévenir et à réprimer la torture sous toutes ses formes. Elle définit la torture comme « tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit, lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Ce terme ne s’étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles. » (Article 1)
La Convention contre la torture impose des obligations précises et contraignantes aux Etats parties. Parmi celles-ci, on peut citer l’obligation de mettre en place des mesures législatives, administratives, judiciaires et autres mesures efficaces afin de prévenir les actes de torture dans tout territoire sous leur juridiction. Les Etats doivent veiller et garantir à ce que tous les actes de torture soient inscrits dans leur législation pénale et que des sanctions appropriées soient prévues. En outre, la Convention interdit explicitement l’expulsion, le refoulement ou l’extradition d’une personne vers un autre Etat où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être torturée.
Pour veiller à l’application effective de la Convention, un mécanisme de surveillance a été mise en place : le Comité contre la torture. Ce comité, composé d’experts indépendants, examine les rapports soumis par les États membres et formule des recommandations pour améliorer la mise en œuvre de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est également capable de recevoir et d’examiner des communications individuelles et interétatiques concernant des violations présumées de la Convention.
De plus, la Convention des Nations Unies contre la torture a donné lieu à l’élaboration de plusieurs instruments juridiques régionaux et internationaux complémentaires, tels que le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, qui prévoit des mécanismes de visite préventives des lieux de détention. Ces instruments ont pour effet de renforcer le cadre global de protection contre la torture et de favoriser une approche plus holistique et intégrée de la prévention et de la répression de cette pratique odieuse.
Un cadre juridique régional
En Afrique, la lutte contre la torture est soumise à un cadre juridique régional solide, complémentaire à la Convention des Nations Unies contre la torture. La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, adoptée en 1981 et entrée en vigueur en 1986, est l’un des instruments les plus importants. Cette Charte, communément connue sous le nom de la Charte de Banjul, consacre des droits fondamentaux et des libertés, y compris l’interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants.
L’article 5 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples dispose que : « tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne humaine et à la reconnaissance de sa personnalité juridique. Toutes formes d’exploitation et d’avilissement de l’homme, notamment l’esclavage, la traite des personnes, la torture physique ou morale et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants sont interdites. » Cettedisposition établit une base juridique évidente pour la protection contre la torture sur le continent africain.
Toutefois la question demeure : où en sommes-nous, 40 ans après la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ?
Des progrès significatifs
Depuis 1984, des progrès considérables ont été constatés dans la lutte contre la torture. En 2024, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants compte une ratification quasi-universelle avec 174 Etats parties, dont 52 des 55 pays africains, témoignant d’un large consensus international contre cette pratique inhumaine.
Les dispositions de la Convention ont été intégrées dans la législation nationale de nombreux Etats, renforçant ainsi les mécanismes de prévention de la torture. L’organe de surveillance de la Convention des Nations Unies contre la torture, le Comité contre la torture, a joué un rôle important dans l’examen des rapports des Etats parties et en formulant des recommandations pour améliorer la mise en œuvre de ladite Convention. Les organisations non gouvernementales (ONG) et les défenseurs des droits humains ont été des acteurs indispensables dans ce combat. Ils ont documenté des cas de torture, ont plaidé pour la justice et la réparation des victimes, et ont sensibilisé l’opinion publique aux enjeux de la torture. Les mesures de prévention ont été renforcées par des initiatives telles que le Protocole facultatif à la Convention des Nations Unies contre la torture. (OPCAT).
Le Protocole facultatif à la Convention des Nations Unies contre la torture (OPCAT) est un instrument international qui établit le Sous-Comité pour la prévention de la torture (SPT) et qui confie à des organismes nationaux – les mécanismes nationaux de prévention (MNP) – un rôle de suivi dans la mise en œuvre de la Convention, en tant qu’organes de monitoring.
Les MNP ont pour mandat de visiter régulièrement dans leurs pays les lieux de privation de liberté : commissariats de police, prisons et autres centres de détention, hôpitaux psychiatriques et autres lieux où les individus ne peuvent pas sortir volontairement.
En 2024, 94 États sont signataires du Protocole facultatif à la Convention contre la torture (OPCAT), qui affirme leur engagement en faveur de la prévention proactive des actes de torture grâce à des mécanismes de surveillance indépendants.
Les défis actuels et émergents
En dépit de ces progrès, la torture est une réalité dans de nombreuses régions du monde. Les conflits armés, les régimes autoritaires et les pratiques policières abusives continuent à entraîner cette violation des droits de humains.
La torture persiste sous diverses formes :
Dans les centres de détention, où les mauvais traitements sont utilisés pour extorquer des aveux.
A l’encontre des militants, journalistes et opposants politiques, qui sont ciblés pour leur engagement en faveur des libertés fondamentales.
Dans les conflits armés, où elle devient une arme de guerre destinée à terroriser les populations civiles.
Les victimes de torture sont souvent confrontées à des obstacles pour obtenir justice, et les auteurs de ces actes jouissent souvent de l’impunité.
Les mécanismes internationaux, bien que précieux, souffrent de manque de moyens et d’une dépendance à la coopération des États.
L’utilisation de nouvelles technologies pour faire des tortures est une préoccupation croissante dans le domaine des droits humains. Les progrès technologiques ont malheureusement donné de nouvelles méthodes pour infliger de la souffrance psychologique et physique.
Les défis sont également relevés par la persistance de pratiques de torture dans des contextes de contre-terrorisme et de sécurité nationale, où les droits humains sont parfois sacrifiés au nom de la sécurité.
Un combat qui se poursuit
La célébration du 40ème anniversaire de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants nous permet de réaffirmer notre engagement à abolir la torture. Les États doivent renforcer leurs mécanismes de prévention, et les organisations internationales doivent continuer à soutenir les efforts nationaux. La société civile doit, en effet, rester vigilante et continuer à dénoncer les abus.
Vers un monde sans torture
Afin que la vision d’un monde sans torture devienne réalité, il est primordial de promouvoir une culture de respect des droits humains. L’éducation, la sensibilisation et la formation des agents de l’État sont des éléments indispensables pour prévenir la torture. En outre, il est important de garantir l’accès à la justice et à la réparation des victimes, ainsi que de lutter contre l’impunité des auteurs.
40 ans après l’entrée en vigueur de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, nous avons pu faire des progrès considérables, mais le combat est loin d’être terminé. Nous devons continuer à œuvrer pour que la torture soit reléguée aux pages sombres de l’histoire et que la lumière de la justice et des droits humains brille pour tous.
Un appel est adressé à la communauté internationale, aux États et à la société civile pour unir leurs efforts et transformer l’aspiration à un monde sans torture en une réalité concrète et durable.
Source: societecivilemedias.com