La récente déclaration du ministre des Affaires étrangères, Robert Dussey, sur une éventuelle adhésion du Togo à l’Alliance des États du Sahel (AES) a suscité un débat intense. Lors d’un entretien, il a affirmé : « Si vous demandez aux Togolais s’ils veulent l’entrée du Togo dans l’AES, ils vous diront oui. » Une phrase qui, bien que succincte, soulève des interrogations sur la place réelle du peuple dans les prises de décisions stratégiques.
En suggérant une consultation populaire sur l’entrée du Togo dans l’AES, le ministre semble reconnaître que le peuple détient la souveraineté ultime pour valider les grandes orientations nationales. Ce rappel, teinté de populisme, résonne dans un contexte où le panafricanisme galvanise les peuples africains, épris de justice et de souveraineté. Pourtant, cette déclaration met en lumière une contradiction évidente. Pourquoi invoquer la souveraineté populaire sur l’AES alors que des décisions majeures, comme la révision constitutionnelle qui prive les citoyens du droit d’élire directement leur dirigeant, ont été imposées sans leur aval ?
Le Togo, marqué par des décennies de gouvernance centralisée, n’offre que peu d’exemples où la voix des citoyens a réellement influé sur les décisions étatiques. Cette déclaration, bien qu’attrayante, pourrait ainsi être perçue comme une tentative de détourner l’attention des problématiques internes tout en capitalisant sur la montée du sentiment panafricaniste.
La référence à l’avis des citoyens coïncide avec un climat où le panafricanisme est devenu un étendard pour les populations africaines. Toutefois, ce mouvement dépasse le cadre des discours.Il incarne une volonté profonde de rupture avec les systèmes corrompus, les ingérences extérieures et l’exploitation des ressources du continent.
En surfant sur cette vague, le ministre semble s’aligner avec les attentes populaires. Mais cela suffira-t-il à convaincre une population de plus en plus critique à l’égard des paroles sans actes ? Car au-delà des déclarations, les Togolais réclament des réformes courageuses qui placent l’intérêt public et la transparence au cœur de la gouvernance.
La sortie du ministre relance le débat essentiel; celui de la place du peuple dans le fonctionnement de l’État et la prise des décisions majeures. Si l’avis des citoyens est requis pour l’entrée dans l’AES, pourquoi ce principe de souveraineté populaire n’est-il pas appliqué à d’autres enjeux cruciaux ? La lutte contre la corruption, la gestion des ressources naturelles, le choix des dirigeants ou encore les réformes électorales méritent tout autant sinon plus d’être soumises à la consultation populaire.
Ce rappel à la souveraineté populaire apparaît, dans ce contexte, comme une occasion pour le gouvernement de réconcilier discours et actes. La reconnaissance du rôle central du peuple ne peut être limitée à des mots, elle doit se traduire par des mécanismes concrets de participation démocratique.
La déclaration du ministre Dussey sur l’entrée du Togo dans l’AES interpelle autant qu’elle suscite l’espoir. Elle met en lumière une ambiguïté flagrante : d’un côté, la reconnaissance de la souveraineté populaire ; de l’autre, une tendance récurrente à contourner cette souveraineté lorsque cela sert les intérêts des dirigeants.
Dans un continent où les aspirations populaires se concentrent sur la justice et l’équité, le gouvernement togolais est désormais face à un choix crucial : transformer les mots en actions concrètes. Car ce n’est pas le terme « panafricanisme » qui mobilise les citoyens, mais la promesse crédible d’un avenir où le peuple sera réellement au cœur des décisions.
Ricardo Agouzou