Le recensement biométrique, projet phare du gouvernement togolais, inscrit dans le cadre du programme Wuri-Togo et soutenu par la Banque mondiale à hauteur de 72 millions de dollars, connaît un début tumultueux. Lancé dans la zone 1 dans les préfectures de Tone et Cinkassé au nord du Togo le 2 décembre 2024, il suscite déjà de vives tensions parmi les agents opérationnels d’enregistrement (OPE), acteurs centraux de cette initiative. Ces derniers dénoncent des pratiques qu’ils qualifient de « méprisantes » et « injustes » de la part de l’Institut National de la Statistique, des Études Économiques et Démographiques (INSEED). Entre contrats imposés, droits bafoués et menaces voilées, la situation pourrait gravement compromettre l’intégrité des données collectées.
Mobilisés dès le début de l’opération, les agents OPE ont été déployés sur le terrain avec un contrat d’une durée initiale d’un mois, renouvelable par tacite reconduction sur la base de résultats satisfaisants, pour une durée totale prévue de huit mois. Ce contrat prévoyait une rémunération mensuelle de 170 000 F CFA, incluant un salaire de base de 140 000 F et une indemnité de logement de 30 000 F. Malgré certaines réserves, les agents ont accepté ces termes, espérant un minimum de respect des engagements.
Toutefois, selon certains agents, le versement du premier salaire s’est avéré difficile, n’intervenant qu’après leur mobilisation sur une plateforme d’échange. De plus, les engagements relatifs à la planification des tâches et à l’établissement d’un calendrier de travail n’ont jamais été honorés. Les agents ont été informés, le 22 décembre 2024 , de la fin des opérations dans la zone 1, sans préavis. Alors qu’ils pensaient que leur contrat initial signé le 30 novembre se poursuivrait automatiquement, conformément au point 3 dudit contrat ( tacite reconduction ), ils ont été surpris de se voir imposer un nouveau document aux clauses nettement moins avantageuses.
Ce nouveau contrat prévoit notamment que la rémunération sera ajustée au prorata des jours effectivement travaillés, laissant place à des déductions arbitraires. « En cas de nombre de jours de travail (y compris les jours de repos) inférieurs à vingt-cinq (25) jours au cours d’un mois donné, l’OPE sera payé selon le nombre de jours effectivement travaillés à compter de la date de déploiement », stipule l’article 8. Paradoxalement, l’article 11 interdit toute autre activité professionnelle pendant la durée du contrat. Ces dispositions contradictoires obligent les agents à rester disponibles en permanence, sans aucune garantie de rémunération.
Face à cette situation, les agents ont tenté de s’organiser pour demander une audience avec le Directeur général par intérim de l’INSEED. Ces démarches se sont heurtées à un refus catégorique, accompagné de menaces voilées. « Un contrat est individuel. Quand l’employé n’est pas d’accord avec les termes, il ne le signe pas. Quand vous avez été sélectionnés pour la formation, personne ne connaissait l’autre. Ce n’est pas parce que vous avez été déployés en équipe que vous allez créer un syndicat. Ceux qui envoient des messages pour inciter les autres à ne pas signer, qu’ils partent ! Nous verrons s’il faut arrêter ou continuer le travail. Moi, je ne me cache pas, c’est le DG par intérim de l’INSEED qui vous parle. Chacun doit prendre ses responsabilités », déclare-t-il dans un message audio que nous avons reçu.
Malgré ces mises en garde, les agents n’ont pas signé le contrat et n’ont pas répondu à leur poste ce dimanche 19 janvier 2025.
La situation soulève de nombreuses interrogations : pourquoi ce changement soudain des termes contractuels ? Pourquoi l’absence de dialogue dans la gestion d’un projet aussi sensible ? Tandis que certains évoquent des motivations financières peu claires, les agents expriment un désarroi palpable. « Nous avons tout quitté pour nous engager dans ce projet national, mais aujourd’hui, nous sommes traités comme des mendiants. Ce contrat est un piège qui légalise l’arbitraire », déplore l’un d’entre eux.
Cette crise pourrait compromettre les ambitions du gouvernement, car la collecte de données biométriques impacte directement des secteurs cruciaux comme l’état civil, les élections et la sécurité sociale. Les pratiques dénoncées, combinées à l’absence de garanties contractuelles claires, pourraient entraîner des données inexactes ou manipulées, ternissant ainsi l’image de ce projet d’envergure.
Nos tentatives pour recueillir la version officielle de l’INSEED auprès du directeur général par intérim sont restées infructueuses. Nous apprenons que les autres agents de collecte des plaintes et distributeurs de cartes aussi victimes de la situation s’apprêteraient à rejoindre le mouvement.
Il est urgent que les autorités interviennent pour désamorcer cette crise, rétablir un climat de confiance et garantir des conditions de travail équitables. À défaut, c’est la crédibilité même de l’État et la confiance des citoyens qui risquent d’être irrémédiablement affectées.
Ricardo Agouzou