En ce 8 mars 2025, journée internationale des droits des femmes, il est essentiel de mettre en lumière une réalité souvent ignorée : l’exploitation des femmes dans les milieux religieux au Togo. Si la religion est une source d’espoir et de repères pour des millions de croyants, elle peut aussi devenir un instrument de manipulation et d’abus. Derrière les promesses de miracles, de prospérité ou de guérison, certaines structures religieuses exploitent la vulnérabilité des femmes, que ce soit à travers des pressions financières, des abus psychologiques ou des agressions sexuelles.
Pourquoi les femmes sont-elles plus attirées par les groupes religieux ?
Les femmes sont majoritaires dans les congrégations religieuses, qu’il s’agisse des églises chrétiennes classiques, des mouvements évangéliques, des sectes émergentes ou des confréries islamiques. Plusieurs raisons expliquent cet attrait :
1. Une quête de réconfort et de solutions
Face aux difficultés sociales, économiques et familiales, les femmes recherchent un soutien moral et spirituel. Beaucoup d’églises et de groupes religieux promettent des solutions miraculeuses : guérison, mariage, prospérité financière ou protection contre le “mauvais sort”.
2. Le poids des traditions et des rôles sociaux
Dans de nombreuses cultures africaines, l’éducation des femmes est souvent marquée par la soumission aux autorités spirituelles et familiales. La réussite d’une femme est parfois perçue uniquement à travers le mariage et la maternité, ce qui les rend vulnérables aux discours religieux qui exploitent ces aspirations.
3. L’influence des “prophètes” et leaders spirituels
Avec l’essor des églises dites “de réveil” et des nouveaux courants religieux, de nombreuses figures charismatiques émergent, attirant des milliers de fidèles, dont une majorité de femmes. Ces leaders développent des stratégies psychologiques puissantes pour asseoir leur autorité et contrôler leurs adeptes.
Quand la foi devient un outil de manipulation et d’abus
Dans ce climat de dévotion, certains leaders religieux abusent de la confiance de leurs fidèles, particulièrement des femmes. Ces abus prennent plusieurs formes :
1. Exploitation financière
Les dîmes et offrandes se transforment parfois en taxes déguisées. Convaincues qu’un “sacrifice financier” leur apportera des bénédictions, certaines femmes versent des sommes considérables à des pasteurs ou guides religieux vivant dans l’opulence, tandis que leurs fidèles s’appauvrissent.
“Parfois, même quand tu n’as pas envie de donner, tu es obligée de le faire, soit par honte, soit parce que le pasteur insiste en donnant des messages qui te semblent directement destinés,” témoigne Débora Adjiwonou, 50 ans, fidèle d’une église très populaire au Togo.
2. Abus sexuels sous couvert de spiritualité
Les agressions sexuelles dans les milieux religieux restent souvent tuées. Certaines victimes sont forcées à des “rituels de purification” ou manipulées par des leaders prétendant accomplir une mission divine.
Pas plus tard qu’en janvier dernier, un prêtre condamné en France pour agression sexuelle sur une paroissienne en juillet 2023 aurait fui vers le Togo, son pays d’origine, pour échapper à la justice. Condamné à un an de prison par le tribunal correctionnel de Belfort, un mandat d’arrêt a été émis contre lui pour « agression sexuelle par personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ».
Un rapport du cabinet GCPS Consulting pour les Missions Étrangères de Paris (MEP) révèle qu’« entre 1950 et 2024, 63 cas de violences sexuelles ont été recensés dans 14 pays, impliquant 46 prêtres sur les 1 491 ayant exercé sur cette période. »
3. Endoctrinement et rupture sociale
Certaines femmes, sous l’influence de leur groupe religieux, abandonnent famille, travail ou études pour se consacrer entièrement à leur “appel divin”. Cet isolement peut avoir des conséquences dramatiques sur leur autonomie et leur équilibre psychologique.
Une question taboue et difficile à résoudre
Pourquoi ces abus persistent-ils sans véritable réaction de la société togolaise ?
La peur de la critique religieuse : Dans une société profondément croyante, remettre en question les pratiques religieuses est perçu comme une attaque contre la foi.
L’absence de régulation des groupes religieux : Bien que certaines églises soient enregistrées, de nombreuses sectes opèrent sans aucun contrôle.
Le silence des victimes : La honte, la peur d’être rejetées ou la pression sociale empêchent de nombreuses femmes de dénoncer les abus.
Le Dr Isabelle Chartier-Siben, psychothérapeute et victimologue, explique : « Il y a encore quelques années, ces phénomènes étaient “inaudibles” au sein de l’Église. Le prêtre était couvert d’une aura, et les familles, même au courant des abus, préféraient se taire pour ne pas salir l’institution. »
Quel chemin vers une prise de conscience ?
Si l’émancipation des femmes passe par l’éducation et l’autonomie économique, elle nécessite aussi une sensibilisation aux dérives religieuses. Des actions concrètes pourraient être mises en place :
Renforcer l’éducation religieuse et critique : Apprendre aux jeunes filles à analyser les discours religieux avec recul et discernement.
Encadrer les pratiques religieuses : Imposer un cadre légal plus strict pour éviter l’exploitation des fidèles.
Encourager les témoignages et les dénonciations : Créer des plateformes de soutien pour que les femmes osent parler sans crainte de représailles.
Sœur Mary Lembo, religieuse togolaise et psychothérapeute, a mené une enquête dans cinq pays pour comprendre les mécanismes d’emprise religieuse. Elle propose des formations pour aider les femmes à se libérer de dépendances perverses.
Il existe de nombreuses organisations engagées dans la lutte contre les abus au sein des milieux religieux, mais il reste rare de trouver celles qui abordent toutes les formes d’exploitation, notamment les abus financiers ou les ruptures sociales que ces pratiques peuvent engendrer. Ces lacunes révèlent un besoin pressant de renforcer l’accompagnement des victimes dans toutes les dimensions de l’abus.
En 2025, la question des abus religieux reste un défi majeur, d’autant plus complexe qu’elle touche à une sphère intime et sensible. Tant que la foi sera instrumentalisée au détriment des femmes, leur véritable émancipation restera incomplète. L’heure est peut-être venue d’ouvrir un débat longtemps évité.