Alors que le Togo traverse une crise multidimensionnelle marquée par des atteintes graves aux droits humains, à la Constitution et aux libertés fondamentales, le front « Touche Pas À Ma Constitution » dénonce le mutisme inquiétant du bâtonnier et du Conseil de l’Ordre des Avocats du Togo. Dans une déclaration rendue publique ce mardi 17 mai, il appelle le barreau à assumer son rôle historique de défenseur des droits et de l’État de droit, à l’image des barreaux engagés dans d’autres pays de la sous-région ouest-africaine.
DECLARATION
LOME 27 MAI 2025 – DIFFUSION IMMEDIATE
« Le barreau du Togo, peut-il garder durablement le silence ? »
Pourquoi le bâtonnier et le Conseil de l’Ordre des Avocats du Togo restent-ils silencieux face aux graves crises sociales, économiques et politiques que traverse le pays ?
Quand les abus de pouvoir sur les questions de droits humains et d’Etat de droit, conduisant à des arrestations arbitraires, préoccupent l’opinion nationale, le barreau du Togo reste silencieux.
Quand le régime viole grossièrement la Constitution, une loi fondamentale, en la remplaçant sans consulter le peuple et en instaurant un régime parlementaire à la place du régime présidentiel, le barreau du Togo reste silencieux.
Quand les questions de corruption sont soulevées, comme les cas de la gestion des fonds Covid révélée par la Cour des comptes, le scandale du PétroleGate mis au grand jour par le journal L’Alternative, les rapports de la Cour des comptes qui mettent en évidence de graves irrégularités sur l’exécution du budget d’Etat, le barreau du Togo reste silencieux.
Quand les citoyens sont opprimés, arrêtés, torturés et jetés en prison pour leurs opinions politiques, pour avoir exercé ou voulu exercer, ou jouir d’une liberté constitutionnelle, le barreau du Togo reste silencieux.
Quand le pouvoir interdit aux partis politiques et aux organisations de la société civile d’exercer leurs droits de réunion et de manifestations, le barreau du Togo reste silencieux.
Quand le colonel Toussaint Bitala Madjoulba est sauvagement assassiné dans ses bureaux, ce qui a traumatisé tous les Togolais, le barreau du Togo reste silencieux.
Aujourd’hui, c’est l’artiste Aamron qui est jeté en prison pour avoir pris position contre la mauvaise gouvernance.
Et pourtant sur le site du barreau du Togo, le bâtonnier écrit : « Le rôle de l’avocat dans la cité est au cœur de notre mission. Un avocat fait bien plus que représenter ou assister ses clients ; il doit aussi être un phare dans la cité. » L’avocat est au premier plan, un garant des libertés et un défenseur de l’État de droit.
Dans une interview accordée au magazine « Bulletin du Barreau » de l’Ordre des Avocats du Togo, N° 002 – décembre 2019, sous le titre « 50 ans au service des libertés : entretien avec l’ancien Bâtonnier AGBOYIBO », ce dernier déclarait que « La profession d’Avocat est un sacerdoce. Ce n’est pas simplement un gagne-pain. Car on sait que des citoyens ou des humains sont traqués dans des problèmes d’injustice de tout genre. L’Avocat doit être, et c’est d’ailleurs l’enseignement qu’on en tire de l’histoire, aux côtés de tous les humains confrontés à des épreuves. Mais, il faut en soi sentir cela comme un devoir, un engagement, une prise de conscience. »
C’est effectivement ce qu’on observe dans les autres pays de la sous-région.
Au Bénin, le barreau prend position chaque fois que nécessaire, comme dans les cas de l’affaire Steve Amoussou enlevé à Lomé au Togo et celle de l’attentat à la sureté de l’Etat impliquant Olivier Boko et Oswald Homely.
Au Burkina Faso, suite à l’enlèvement de l’avocat Guy Hervé Kham par les forces de sécurité, le barreau du Burkina Faso a produit une déclaration déplorant les atteintes aux droits de l’homme et condamnant « avec fermeté le refus d’exécuter des décisions de justice. » Au-delà de la déclaration, le barreau organise une conférence de presse pour dénoncer tous les cas considérés comme des enlèvements opérés par les forces de l’ordre. L’Union des jeunes avocats du Burkina (UJA-B) s’est à plusieurs reprises exprimé publiquement sur la situation sécuritaire et des droits humains du pays, et a appelé le gouvernement et les pouvoirs publics au respect strict de la loi.
En Côte d’Ivoire, où l’échéance électorale à venir suscite déjà des inquiétudes fondées, le barreau s’est exprimé par une déclaration rendue publique le 29 avril 2025, en défendant les principes républicains de la séparation des pouvoirs, de l’indépendance de la justice, de l’impartialité des juges et en dénonçant les « arrestations nocturnes » et les « menaces sur les libertés syndicales. »
En Guinée (Conakry), pour protester contre les dysfonctionnements de la justice dans le cadre de l’arrestation de personnalités politiques, le barreau de Guinée a produit une déclaration rappelant aux dirigeants du pays que « La justice est la boussole de la transition. » Il a protesté en déclarant une journée sans audience. Le barreau a également pris position publiquement dans le cas de la mort “suspecte” du Général Sadiba Koulibaly. Il s’est également exprimé lorsque le projet de nouvelle Constitution a été lancé par le président Alpha Condé dans le but de briguer un troisième mandat en déplorant les manipulations constitutionnelles. Le barreau de Guinée s’est montré très actif sur les questions de droits humains et d’Etat de droit.
Au Mali, suite à la rupture de l’ordre constitutionnel en 2020, le barreau du Mali a diffusé une déclaration sur la situation socio-politique, en soulignant que « Le destin du Mali ne se réalisera ni dans la ruse ni dans l’invective et l’insouciance. » Plus loin, il souligne que « Fort de son rôle historique dans l’avènement et la consolidation de la démocratie et de l’État de droit au Mali, le Barreau du Mali s’est toujours inscrit dans la promotion, la protection de la défense des droits et des libertés fondamentales. » A différentes reprises, et tout récemment le 9 Mai 2025, le barreau du Mali a émis des avis exhortant « fortement les pouvoirs publics à prendre des mesures adéquates pour garantir les libertés individuelles et collectives, préserver la paix sociale et l’ordre public dans l’intérêt supérieur du peuple malien. »
Au Niger, le barreau s’est exprimé dans une déclaration suite à la rupture de l’ordre constitutionnel. Il appelle à la restauration rapide de l’ordre constitutionnel et s’oppose à toute attaque militaire extérieure. Puis il a affirmé qu’aucune dérogation tendant à remettre en cause le principe de la séparation des pouvoirs, corollaire de l’indépendance du pouvoir judiciaire ne serait admissible, avant de renouveler son attachement ferme à l’État de droit et au respect des valeurs républicaines. L’association des jeunes avocats du Niger s’est exprimée par la suite pour déplorer les dérives des autorités, en les appelant « à l’arrêt immédiat des interpellations et privations de liberté extrajudiciaires. »
Au Sénégal, lorsque le président Macky Salt cherchait à faire un troisième mandat, le barreau du Sénégal est monté au créneau à plusieurs reprises pour rappeler que la liberté de manifestation est garantie par la Constitution, avant d’exiger que les responsabilités soient situées afin que les auteurs d’abus ou de forfaits soient sanctionnés et les victimes dédommagées. Il a interpelé les premières autorités du pays, leur demandant « d’écouter la jeunesse et de traiter son appel. » Le barreau a été actif tout au long de la crise politique avant le départ du président Macky Salt en appelant « au respect scrupuleux de la loi fondamentale et des droits qu’elle consacre au citoyen. »
Ces différentes prises de positions des barreaux de notre espace communautaire Ouest Africain se fondent sur les lois nationales, les textes sous-régionaux, régionaux et internationaux qui soulignent les principes de base relatifs au rôle du barreau et protège son indépendance.
Dans les principes de base relatifs au rôle du barreau adoptés en septembre 1990 à La Havane, au Cuba, par les Nations Unies, il est indiqué que « Les pouvoirs publics et les associations professionnelles d’avocats promeuvent des programmes visant à informer les justiciables de leurs droits et devoirs au regard de la loi et du rôle important que jouent les avocats quant à la protection de leurs libertés fondamentales. » Le but étant de créer « les conditions nécessaires au maintien de la justice » et d’encourager « le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ni de religion. »
Dans son protocole additionnel sur la bonne gouvernance et la démocratie, adopté à Dakar au Sénégal en décembre 2001, la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a élevé le principe de l’indépendance et donc de « la liberté des barreaux » au rang des principes constitutionnels communs à tous ses États membres.
Dans ses statuts, la Conférence Internationale des Barreaux de tradition juridique commune (C.I.B.) établit qu’elle a pour objet « De veiller à l’indépendance de la justice, à l’indépendance des barreaux, à l’indépendance et à la fonction sociale de l’avocat. » La CIB « Promet et veille au respect des droits fondamentaux, de l’État de droit, des valeurs de justice et de bonne gouvernance. »
Quant au Règlement relatif à l’harmonisation des règles régissant la profession d’avocat au sein de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), il précise que « La profession d’Avocat est libérale et indépendante. »
Tous ces principes essentiels rappelés par chaque organisation internationale commandent aux barreaux de ne pas rester à l’écart de la vie civile, de la vie publique, et d’être une boussole pour la société.
Le front « Touche Pas A Ma Constitution » constate avec amertume et déplore le silence de l’Ordre des avocats du Togo, ainsi que de son bâtonnier, sur la situation socio-politique du Togo et ses répercussions néfastes sur les droits de l’homme, l’État de droit et les principes et valeurs républicaines. En conséquence, le front « Touche Pas A Ma Constitution » interpelle vivement le barreau du Togo sur sa responsabilité d’être « un phare dans la cité », comme l’a si bien rappelé le Bâtonnier.
Le front « Touche Pas A Ma Constitution » exhorte le bâtonnier et le Conseil de l’Ordre des Avocats du Togo à sortir du silence et à éclairer l’opinion publique chaque fois que le droit des citoyens et les valeurs de la République sont mis en péril.
Le front « Touche Pas A Ma Constitution » a foi que, pour l’histoire de la Nation et la défense des droits des citoyens, le bâtonnier et le Conseil de l’Ordre des Avocats du Togo seront du côté des valeurs, du droit et du peuple.
Une correspondance formelle a été adressée au Bâtonnier à ce sujet.
Que viennent les tyrans, ton cœur soupire vers la liberté !
Cellule de communication
Contact presse : Tél : +228 91 90 50 58
Qu’allez-vous chercher encore là?! Vous vous voulez politiser le fonctionnement de l’ordre !