Togo- la répression de la jeunesse mobilisée devient meurtrière

Le régime de Faure Gnassingbé recourt à des méthodes de plus en plus violentes contre les manifestants qui contestent son pouvoir. Après sept morts et des centaines de blessés, partis politiques et organisations de la société civile disent leur indignation. Malgré la peur, les jeunes n’entendent pas renoncer.

Nombre de vidéos et de témoignages en attestent Togo, les forces de défense et de sécurité ont franchi : au un nouveau seuil de violence dans leur réponse aux  manifestations menées par la jeunesse contre le régime de Faure Gnassingbé, au pouvoir depuis 2005.

Les 26, 27 et 28 juin, ces forces ont semé la terreur dans plusieurs quartiers de Lomé : bastonnades à coups de matraque et de cordelettes, arrestations arbitraires de passant·es, y compris de personnes âgées, intrusions dans des domiciles privés… Un collectif d’organisations citoyennes a dénoncé une « répression sauvage, brutale, et meurtrière ».

Sept corps sans vie, dont ceux de deux enfants, ont été depuis retrouvés dans les eaux de la lagune et dans un lac de Lomé, la capitale. Trois présentaient « manifestement des impacts de balles », selon des organisations de la société civile et de défense des droits humains. La gendarmerie a parlé pour sa part de deux morts « par noyade ». Il y aurait aussi des centaines de blessé·es, dont plusieurs cas graves.

Une centaine de personnes ont été interpellées, d’après Touche pas à ma Constitution, un regroupement de partis politiques de l’opposition et de la société civile. Lundi 30 juin, 49 personnes ont été déférées devant le parquet mais seulement 18 ont été libérées.

Au moins un jeune homme a été brutalement arrêté à son domicile alors qu’il diffusait une vidéo en direct sur TikTok, réseau social très utilisé par les influenceurs, artistes et blogueurs de la diaspora à l’origine de cette mobilisation inédite et apolitique, lancée début juin. Un autre utilisateur de TikTok a été violemment passé à tabac par plusieurs militaires et laissé inerte devant chez lui. La scène, filmée par des voisins, circule depuis sur les réseaux sociaux.

Recours à des miliciens

Le niveau de férocité déployé par les forces de défense et de sécurité a été nettement plus élevé que lors des manifestations des 5 et 6 juin, déclenchées par l’arrestation du rappeur Aamron (finalement libéré le 21 juin), confirme David Dosseh, porte-parole du Front citoyen Togo debout (FCTD).

Des miliciens, habillés en civil, parfois encagoulés, armés de gourdins et de fusils, circulant à bord de pick-up, ont aussi activement participé à la répression, selon de nombreux témoignages. Ils ont opéré « avec la complicité manifeste des forces de défense et de sécurité », a dénoncé l’Alliance nationale pour le changement (ANC), l’un des principaux partis d’opposition, évoquant le « caractère organisé et planifié de cette campagne de terreur ».

Touche pas à ma Constitution accuse de son côté les autorités d’avoir suspendu, le 16 juin et pour trois mois, la diffusion de Radio France Internationale (RFI) et France 24, et d’avoir perturbé Internet afin de « cacher ces crimes atroces prémédités ».

« Des parents nous disaient d’arrêter, qu’ils avaient fait leur part à leur époque sans résultat. » Diane, étudiante

Les jeunes descendu·es dans les rues ces 26, 27 et 28 juin n’ont pourtant rien fait d’autre qu’exercer leur droit de citoyen·nes à manifester, rappellent l’opposition et les organisations de la société civile. Le mouvement était pacifique, abonde Diane*, une étudiante qui explique avoir « marché » pour défendre la liberté d’expression : « Si quelque chose ne va pas dans ce pays, on ne nous donne pas la liberté de le dire alors que nous sommes soi-disant dans un État de droit. »

Parmi les contestataires, poursuit-elle, « il n’y avait aucun adulte » : « Des parents nous disaient d’arrêter, qu’ils avaient fait leur part à leur époque sans résultat, qu’il y avait eu trop de morts pour rien. Ils craignaient que nous subissions le même sort. » Des militaires, finalement arrivés nombreux, ont lancé des gaz lacrymogènes. Les détonations se sont multipliées et l’air est devenu irrespirable.

Le gouvernement, chargé des affaires courantes (Faure Gnassingbé, désigné début mai président du Conseil des ministres, n’a toujours pas formé de nouvelle équipe), a félicité les forces de sécurité dans un communiqué, « pour leur professionnalisme et leur sens de responsabilité ». Il a affirmé vouloir continuer d’« œuvrer, dans un esprit d’écoute, en vue de la préservation d’un climat de paix, de stabilité et de cohésion nationale indispensable pour intensifier la marche [du pays] vers la prospérité et le bien-être partagés ».

Un mouvement encore combatif

Ce message publié le 29 juin a profondément choqué Diane : « C’est comme si les autorités nous ignoraient, comme si ce que nous avons fait n’avait pas d’importance.

Pire, elles expliquent que les personnes retrouvées mortes dans le lac et les eaux de la lagune n’ont rien à voir avec les manifestations, que les vidéos que nous-mêmes avons filmées et mises en ligne ont été générées par l’intelligence artificielle… »

Une voix discordante au sein de l’establishment continue  tout de même de se faire entendre. Marguerite Gnakadè, ancienne ministre de la défense et veuve d’un frère de Faure Gnassingbé, a réaffirmé son soutien à la jeunesse « qui incarne le sacrifice d’un peuple tout entier, aspirant à plus de liberté et à l’avènement d’un Togo nouveau ».

« Je ne sais pas à quel moment la communauté internationale va appeler nos autorités à la raison », alors que « ce qui se passe est grave et que la population togolaise est en danger », a de son côté fait mine de s’interroger Célestin Agbogan, avocat et président de la Ligue togolaise des droits de l’homme, dans un entretien avec RFI. Fidèles à leurs vieilles habitudes, les partenaires internationaux du Togo s’obstinent en effet à regarder ailleurs.

« Depuis les événements dans le Sahel, la France est frileuse. » David Dosseh (Front citoyen Togo debout)

Seule Gina Romero, rapporteuse spéciale pour les Nations unies sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, s’est exprimée, déclarant sur le réseau social X avoir « reçu des informations inquiétantes concernant une nouvelle répression violente des manifestations au Togo ». Pour l’heure, Paris garde le silence et maintient sa coopération militaire et sécuritaire avec Lomé.

« Depuis les événements dans le Sahel, la France est frileuse. Pourtant, c’est le moment de se ranger du côté des peuples qui réclament la fin des dictatures. À court terme, elle protège peut-être ses intérêts, mais elle devrait penser à moyen et long terme et aider à asseoir la démocratie », estime David Dosseh.

Avec ou sans appui extérieur, les jeunes à l’initiative de la contestation maintiennent la pression. Le « groupe des blogueurs et des artistes », comme ils et elles se nomment, vient de lancer un « appel solennel » aux partis politiques, syndicats, organisations de la société civile, les exhortant à manifester « pacifiquement » pour exiger le « départ immédiat » du régime de Faure Gnassingbé.

Mardi 1 juillet, la campagne électorale s’est ouverte en vue des municipales prévues le 17 juillet. Ce scrutin, le premier depuis l’adoption controversée en 2024 d’une nouvelle Constitution, qui permet à Faure Gnassingbé de rester indéfiniment au pouvoir, ne doit pas, selon le collectif, servir de caution. Y prendre part reviendrait à légitimer le « coup de force constitutionnel », a-t-il averti.

« S’il y a d’autres manifestations, j’y participerai avec des amis et camarades avec qui je partage les mêmes idées et désirs de changement, de vie meilleure, de liberté d’expression », confie Diane. Elle précise que si l’aspiration au « changement » est largement partagée au sein de la population, la peur reste omniprésente. Elle-même ne parvient pas à dormir, redoutant « d’être arrêtée la nuit, vu qu’ils identifient les gens et vont chez eux ».

« Mais si tout le monde se dit que c’est trop compliqué, que c’est risqué de manifester, qui libérera le pays ? », demandet-elle, constatant que pour l’instant « la lutte repose uniquement sur la jeunesse ».

Source: Médiapart/ Fanny Pigeaud

One thought on “Togo- la répression de la jeunesse mobilisée devient meurtrière

  1. J’étais à Dakar quand le parti politique actuellement au pouvoir au Sénégal avait organisé des manifestations violentes et matées par les gouvernants… Il avait eu beaucoup de morts, de blessés et des dégâts… Par la suite, il y avait eu élection… Les jeunes sont sortis pour voter… Au Togo, nous sommes arrivés au moment où les jeunes doivent sortir pour aller voter…

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