Dans un mémorandum rendu public mardi, les responsables du Comité pour la libération des prisonniers politiques sont revenus sur la situation qui prévaut ces derniers temps au Togo. Le document retrace les différents cas de violations des droits de l’Homme avec une liste exhaustive des victimes, des accusés maintenus en prison dans l’affaire Kpatcha Gnassingbé ayant éclaté en avril 2009 au dossier « Pétrolegate » ou au retrait du récépissé de « L’Indépendant Express » en passant par la situation des détenus dans le dossier « Tiger Revolution », les récentes tribulations des responsables syndicaux du Syndicat des enseignants du Togo (SET), entre autres. Le comité politique pousse ainsi un nouveau cri d’alarme contre l’Etat de terreur insidieusement installé. Lisez plutôt !
MEMORANDUM POUR L’ARRÊT DE LA PRÉOCCUPANTE VAGUE RÉPRESSIVE EN COURS D’ACCELERATION AU TOGO
Créé comme un Comité ad-hoc à l’occasion de l’arrestation arbitraire de Brigitte ADJAMAGBO-JOHNSON et Gérard DJOSSOU, le Comité ci-dessus nommé s’est engagé à poursuivre le combat jusqu’à la libération de tous les autres prisonniers politiques. Dans ce cadre, la méthodologie de travail a consisté à recenser rigoureusement tous les témoignages sur ces prisonniers puis, à rencontrer différents acteurs, organisations et institutions impliqués dans la gestion et le suivi de la situation de ces détenus. Au terme de toutes ces recherches, le Comité pour la libération de tous les détenus politiques du Togo, publie ce mémorandum par lequel il décide de saisir l’opinion nationale et internationale En effet, depuis la fin des mouvements sociopolitiques d’août 2017-2018 qui ont fait vaciller le pouvoir, nous assistons à une préoccupante accélération de la violation des droits de l’Homme au Togo. Elle se caractérise tout particulièrement depuis ces deux dernières années par une recrudescence des arrestations et détentions arbitraires, des disparitions forcées, de fortes suspicions de torture voire de décès en détention.
On observe, à l’analyse de toutes ces violations, qu’elles mettent généralement en cause une tendance à l’instrumentalisation de la justice togolaise par le pouvoir politique qui a manifestement fait le choix d’en faire le principal instrument de sa politique de musellement des populations, mettant gravement en cause ainsi la règle de séparation des pouvoirs sur laquelle se base toute République fondée sur le principe de l’Etat de droit. Le présent mémorandum se fixe donc pour objectif :
— d’exposer toutes ces violations des droits fondamentaux perpétrés par les détenteurs de l’autorité publique ;
— d’indiquer les exigences immédiates nécessaires à leur éradication ;
— de les faire connaître aux opinions nationale et internationale afin de les sensibiliser et de les mobiliser à leur sujet pour qu’elles agissent en vue d’en obtenir la cessation, par l’envoi de messages et prises de position aux autorités togolaises.
I- LE CONTEXTE : Pour l’essentiel, la vague répressive qui déferle actuellement sur le Togo interpelle toutes les couches de la société togolaise. On a le sentiment que désormais tout est mis en œuvre pour museler toute velléité de critique ou de contestation du régime après qu’il ait été surpris par le vent de protestation qui a déferlé sur le Togo suite à la répression sanglante des manifestations pacifiques du 19 août 2017. Aujourd’hui, outre les problèmes d’ordre politique, le climat social s’est alourdi, d’une part, suite aux affaires de corruption révélées par la presse mettant en cause des institutions et personnalités publiques. Paradoxalement, la justice togolaise a condamné les dénonciateurs tandis que les présumés auteurs courent toujours et l’audit diligenté par le gouvernement n’a jamais eu de suite. Cette situation crée un sentiment général d’injustice dans l’opinion publique. D’autre part, les mesures sanitaires décrétées dans le cadre de l’enrayement de la propagation de la pandémie du coronavirus au Togo ont connu une application musclée sur le terrain, se singularisant par des exactions et de nouveaux décès causés par les forces de l’ordre dans la capitale, surtout à l’occasion de la mise en vigueur du premier couvre-feu, crimes demeurés jusqu’ici impunis.
La situation s’est définitivement altérée avec une répression tout azimut à l’endroit des citoyens et organisations se montrant critiques à l’endroit du pouvoir. Le Service Central de Renseignements et de l’Investigation Criminelle (S.C.R.I.C.) (dont la mission est complètement dévoyée aujourd’hui) et le système judiciaire jouent un rôle central dans cette vague répressive comme nous allons le constater à la lumière de la succession des événements ci-après qui ont marqué la dernière période.
II– LES ARRESTATIONS, DETENTIONS, ASSASSINATS EN DETENTION ET CONDAMNATIONS ARBITRAIRES DEPUIS 2018 AU TOGO
II.1. L’affaire GOMA
Aziz et ses 15 codétenus (2018) : Le 21 Décembre 2018, Abdoul-Aziz GOMA, Irlandais d’origine togolaise a été illégalement arrêté dans la rue, sans mandat. De nos investigations, il ressort que ces détenus ont notamment subi des traitements inhumains, cruels et dégradants lors de leur arrestation où, sans qu’aucune question ne leur ait été posée, les agents les ont passés à tabac, commençant par des gifles, des coups de matraque, des coups de pieds, de cordelettes, de bâtons et autres, sans oublier les coups de poing. Après cela, ils les ont menottés puis embarqués dans leur voiture, les jetant tous, les uns sur les autres, comme des objets. Même des animaux ne méritent pas pareil traitement.
Durant tout le trajet, ils leur ont fait subir des traitements inhumains, leur piétinaient la tête, le cou, les bras et les mains déjà menottées pour leur infliger des douleurs. Plus grave, ils ont fait usage de leur fusil pour menacer de mort les interpellés et se servaient des mêmes fusils pour leur piler le corps, leur faisant croire qu’ils avaient vraiment comme intention de les exterminer C’est seulement à l’arrivée dans l’enceinte du SCRIC, que les interpellés comprenaient enfin que c’étaient des agents de la gendarmerie qui les traitaient de cette façon.
II.2. L’affaire des manifestants arrêtés en novembre-décembre 2018
Deux citoyens togolais arrêtés, détenus, torturés et condamnés pour avoir participé à des manifestations de l’opposition :
— ANOUMOU Disriama Charles, sans affiliation politique, à Agoè le 29 novembre 2018,
— ADADE Henri, militant de l’UDS-Togo, à Gbossimé le 10 décembre 2018, Leur maintien en détention constitue, non seulement une violation d’un accord politique conclu et accepté par le gouvernement togolais mais contrevient également à l’article 30 de la Constitution qui dispose que « L’Etat reconnaît et garantit dans les conditions fixées par la loi, l’exercice des libertés d’association, de réunion et de manifestation pacifique et sans instrument de violence ».
II.3. Les 76 détenus dans l’affaire Tiger Révolution (décembre 2019)
De début novembre 2019 à mars 2020, ils sont au total 76 détenus dont une femme allaitant un bébé à avoir été arrêtés dans l’affaire dite « Tiger Revolution », une affaire rocambolesque au centre de laquelle se trouve un individu trouble dit « Master Tiger », libre à ce jour de ses mouvements et soupçonné de liens controversés avec la Police. C’est ce dernier qui aurait monté une machination aux fins de piéger et faire arrêter de naïfs ou innocents citoyens, jeunes chômeurs, chefs d’ateliers, étudiants, artistes, pères de familles et femmes mariées, aux fins d’une mauvaise propagande politicienne. Les preuves des accusations sont principalement des messages d’appel à la violence sur des plateformes WhatsApp ou des dizaines de citoyens échangent régulièrement et déversent leur colère sans ménagement contre le régime. Détenus au Camp des gardiens de préfecture (Camp GP) à Agoè-Logopé, et dans les lieux de détentions secrets de l’ancienne Agence nationale de renseignement (ANR), les mauvais traitements auraient conduit au décès de cinq d’entre eux.
II.4. L’affaire Ferdinand Mensah AYITE et son journal L’Alternative (novembre 2020)
Pour avoir publié dans son journal L’Alternative des révélations sur le détournement important de fonds publics dans les mécanismes de régulation des prix des produits pétroliers, Ferdinand Mensah AYITE, journaliste d’investigation, se verra poursuivre devant la Justice togolaise par les présumés instigateurs de ces détournements, les père et fils ADJAKLY. Bien que ces malversations aient fait l’objet d’un Rapport d’une Commission officielle d’enquête, la Justice togolaise, au lieu de s’autosaisir dans ce dossier, enregistra leurs plaintes, jugea et condamna distinctement, le 4 novembre 2020, le lanceur d’alerte Ferdinand Mensah AYITE et son journal L’Alternative, chacun à 3 millions de F CFA soit au total 6 millions de F CFA. 3 Le 03 décembre 2020, la société civile a organisé une table ronde citoyenne sur cette affaire de détournement.
La HAPLUCIA, présente à cette table ronde, a reconnu ses propres insuffisances en l’occurrence son manque d’indépendance et son incapacité à investiguer dans des affaires de corruption qui impliquent de hautes personnalités. Des dossiers adressés au bureau du Procureur de la République depuis plusieurs années sont toujours pendants.
II.5. L’affaire Gérard DJOSSOU et Brigitte ADJAMAGBO-JOHNSON (novembre 2020)
Le vendredi 27 novembre 2020, M. Gérard DJOSSOU, chargé des affaires sociales et des droits de l’Homme de la Dynamique Monseigneur KPODZRO était enlevé dans la rue par des agents du SCRIC au sortir d’une rencontre avec les ambassadeurs de pays et institutions dits du G5). Au moment de cette arrestation, il préparait avec d’autres responsables de la DMK une marche pacifique de contestation des résultats proclamés pour l’élection présidentielle du 22 février 2020. Le lendemain, samedi 28 novembre 2020, Mme Brigitte Kafui ADJAMAGBO-JOHNSON, Secrétaire générale de la CDPA, coordinatrice de la coalition électorale DMK, était arrêtée à son tour par les officiers du SCRIC sur réquisition du procureur de la République Essolizam POYODI. Après la notification de sa mise en accusation, elle a été conduite à son domicile pour une perquisition (au cours de laquelle des effets personnels ont été saisis comme des titres fonciers) puis conduite au SCRIC où elle a été inculpée. Le communiqué rendu public par le procureur POYODI, incriminait Gérard DJOSSOU et Brigitte ADJAMAGBO-JOHNSON d’« atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat », de « plan de déstabilisation du pays » caractérisés comme « projet criminel ». Précisons que la justice n’a jamais été en mesure de présenter les preuves de ces accusations, ni à la population, ni aux diplomates qui se sont fortement impliqués dans le suivi de cette affaire. Leur libération qui les maintiendra néanmoins sous contrôle judiciaire n’interviendra qu’au terme d’une intense campagne de dénonciation nationale et internationale. On peut citer également :
II.6. L’affaire prophète Esaïe Kokou DEKPO et apôtre Gabriel DOUFLE (septembre 2020)
II.7. L’affaire Carlos KETOHOU et son journal L’Indépendant Express (décembre 2020-janvier 2021)
II.8. L’affaire Ferdinand Messan AYITE et la publication sur sa page Facebook (janvier 2021)
II.9. L’affaire des syndicalistes du SET (janvier 2021)
II.10. L’affaire des trois journalistes arrêtés par la Gendarmerie sur ordre du Préfet du Golfe (3 février 2021)
II.11. L’affaire du journal L’Alternative de Ferdinand Mensah AYITE, arbitrairement suspendu pour 4 mois pour avoir dénoncé, preuves à l’appui, le Ministre de l’Urbanisme, de l’Habitat, et de la Réforme foncière, Me Koffi TSOLENYANU, comme « un faussaire au gouvernement » (février 2021).
Dans cette affaire, Zeus Komi AZIADOUVO, membre de la HAAC, dans une lettre datée du 08 février 2021 adressée à « Monsieur le Président de la HAAC » fait un exposé méthodique des multiples forfaitures de la HAAC dans ce dossier et conclut je cite : « Par la présente, je tiens à vous informer que je récuse ma signature qui est mise en bas de la « décision N° 003/HAAC/21/P portant suspension du bihebdomadaire L’Alternative » du 5 février 2021 compte tenu du fait que ladite décision n’est pas restée fidèle au déroulé de l’audition. Au nom de ce Togo nouveau que nous voulons construire, je ne peux tolérer ces actes attentatoires au libre exercice du métier de journaliste. »
III- L’INSTRUMENTALISATION DE LA JUSTICE OU LE MAINTIEN EN DETENTION DES VOIX DISSIDENTES PAR UN SYSTEME DE JUSTICE BRAS ARME DU REGIME :
UNE CRISE JUDICIAIRE POUR SUCCEDER A CELLE SOCIO-POLITIQUE ?
Au vu de ce qui précède on peut affirmer que le Togo continue de faire face à d’énormes difficultés en matière d’état de droit et de gouvernance démocratique. En dépit des moyens substantiels investis par les partenaires multinationaux, les stéréotypes demeurent et on peut affirmer que la justice ne joue pas son rôle de vecteur de la consolidation de l’Etat de droit et qu’elle se substitue plutôt au régime dont elle devient un véritable bras armé dans la répression des opposants politiques, des acteurs de 4 la société civile, des syndicalistes ou même des journalistes. Le Togo entre manifestement dans une nouvelle ère, celle d’une véritable « crise d’identité judiciaire » avec une recrudescence de dysfonctionnements de plusieurs types.
TYPOLOGIE DES DYSFONCTIONNEMENTS DE LA JUSTICE AU TOGO
1. Arrestations en dehors du cadre légal et du respect des règles procédurales Les arrestations se font très souvent sans aucun mandat judiciaire, avec brutalité, à des heures indues. A l’analyse, on est toujours frappé par la légèreté des chefs d’accusation et par la vacuité des dossiers d’accusation. Les forums de discussions sur les réseaux sociaux sont brandis comme éléments matériels et suffisent à condamner à des peines de prison ferme.
2. Disparitions forcées comme moyen d’arrestation Les disparitions forcées sont encore pratiquées pour des interpellations judiciaires. Le Rapporteur Spécial des Nations Unies sur les disparitions forcées a été saisi en 2020 suite aux inquiétudes d’une famille d’un disparu vivant dans une localité du nord du Togo. Le rapporteur a adressé une missive au gouvernement togolais et quelques jours après un membre de la famille a reçu un appel téléphonique annonçant que le disparu se trouvait en détention, malade, au cabanon.
3. Atteintes aux libertés fondamentales (expression, manifestation/réunion pacifique)
– La liberté de manifestation : l’Assemblée Nationale a adopté le 7 août 2019 une loi qui restreint très sévèrement la liberté de manifestation. Le 11 septembre 2019, quatre rapporteurs spéciaux des Nations Unies adressent un courrier au chef de l’Etat togolais pour souligner le caractère restrictif de la nouvelle loi sur la liberté de réunion et de manifestations publiques pacifiques au Togo, appelant en vain à la révision de la nouvelle loi. Depuis la nouvelle loi, et même avant la pandémie de la COVID 19 qui restreint aujourd’hui davantage les possibilités de manifester, plus aucune manifestation d’envergure n’a été autorisée.
– La liberté d’expression est aussi en péril. Les supposés délits de presse et d’opinion sont traités au SCRIC, la HAAC suspend à tour de bras la parution des organes de presse et la justice condamne à des peines de prison fermes ou au retrait définitif des récépissés.
4. Cas de tortures et de mauvais traitements en détention – De plus en plus d’allégations convergentes laissent à penser que la pratique de la torture est une réalité dans les geôles togolaises. Le camp GP, le SCRIC sont régulièrement cités par les détenus comme étant des lieux de pratique de torture. – Beaucoup de témoignages laissent aussi à penser que des maisons disséminées sont des lieux de détention secrets où des personnes arrêtées sont conduites cagoulées pour les empêcher de repérer les lieux. Des pratiques de tortures sont également signalées dans ces lieux de détention secrets.
5. Actions contre les syndicats et la société civile La société civile constitue aujourd’hui pour le régime le secteur à circonscrire, après les nombreux déboires des partis politiques d’opposition. Une tentative de modification de la loi sur les organisations de la société civile (OSC) avec l’accompagnement de l’UE avait achoppé il y a quelques années après les vives protestations adressées à l’UE par des OSC. Il semblerait qu’une nouvelle loi soit à l’étude. Entretemps, des responsables d’organisations militantes comme NUBUEKE, REJADD, EN AUCUN CAS ont connu les affres de la Prison civile de Lomé où ils sont restés en détention plusieurs mois durant, parfois sans jugement sur des accusations d’atteinte à la sécurité intérieure, groupement de malfaiteurs et sans qu’une preuve ne vienne étayer ces accusations. Le 4 septembre 2020, des jeunes membres d’une OSC qui s’étaient retrouvés pour visualiser ensemble un film sur la vie du leader noir américain Martin Luther King sont arrêtés et conduits au poste de police. Les derniers actes à l’encontre du SET et de responsables de la STT laissent à penser que le danger guette la société civile et les syndicats. Pour le régime, il s’agit d’anticiper toute velléité contestataire d’où qu’elle puisse advenir.
6. Impunité (éléments des forces de défense et de sécurité, miliciens…) 5 Au Togo, lorsque les forces de défense et de sécurité sont mises en cause, les enquêtes aboutissent rarement. Cette culture de l’impunité avait été dénoncée en 2005 par la mission de l’ONU chargée d’établir les faits suite aux tragiques événements qui ont suivi l’élection présidentielle du 24 avril. Dans son rapport cette mission écrivait ceci : « Les mécanismes opératoires de la culture de la violence sont d’une part le silence sur la réalité des actes et les pratiques de terreur, de répression et d’autre part l’impunité totale pour leurs responsables, commanditaires et exécutants. La restauration et la promotion des droits de l’Homme au Togo passe par l’éradication de ces mécanismes ».
Le 24 octobre 2017, le département d’Etat américain déclarait ceci : « nous sommes particulièrement préoccupés par les informations faisant état d’un recours excessif à la force par les forces de sécurité et signalons que des milices parrainées par le gouvernement utilisent la force et la menace de la force pour perturber les manifestations et intimider les civils ». Pourtant, la justice togolaise n’a jamais été saisie en dépit des nombreux témoignages et preuves irréfutables.
Durant la période du premier couvre-feu consécutif à l’apparition de la COVID 19 au Togo, les exactions furent particulièrement meurtrières. Cinq personnes sont tuées, vraisemblablement du fait d’éléments des forces de sécurité. La plupart de ces crimes perpétrés par des éléments des forces de sécurité sont demeurés impunis.
IV- LA SIGNIFICATION DE CETTE VAGUE REPRESSIVE
Le tableau global des arrestations, détentions arbitraires et disparitions en détention depuis 2018 au Togo peut se résumer comme suit (voir tableau récapitulatif en annexe) :
A/ 111 personnes arrêtées et détenues dont : * 76 personnes arrêtées et détenues dans l’affaire « Tiger Revolution » dont : · 5 personnes décédées en détention ; · 4 personnes actuellement malades et détenues au Cabanon du CHU Sylvanus OLYMPIO ; · 67 autres personnes actuellement détenues ; * 16 personnes arrêtées et détenues dans l’affaire GOMA Aziz et codétenus ; * 8 personnes arrêtées, gardées à vue ou détenues pour cause de manifestation ; * 2 personnes arrêtées et détenues pour délit d’opinion ; * 1 personne arrêtée et gardée à vue pour délit de presse ; * 5 personnes arrêtées, gardées à vue ou détenues pour cause de grève et d’organisation ; * 3 personnes arrêtées et détenues pour cause d’atteinte à la sûreté de l’Etat ; Sur ces 111 personnes arrêtées, gardées à vue ou détenues, 7 au total ont été libérées.
B/ Ajoutons à cette liste les détenus politiques de l’« Affaire de complot contre la sûreté de l’Etat » arrêtés en 2009 et jugés en 2011 : en dépit des jugements rendus en leur faveur par la Cour de justice de la CEDEAO en 2013, qui a demandé qu’ils soient rétablis dans leurs droits, et en dépit du Rapport du Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire, qui a demandé leur libération sans condition, trois détenus sont toujours maintenus en détention depuis 2009.
Au total, on assiste à l’accélération des attaques frontales contre les libertés et droits suivants : – 1°) droit à la vie – 2°) liberté d’opinion – 3°) liberté civile et politique – 4°) liberté d’association – 5°) liberté de presse – 6°) liberté syndicale – 7°) droit de manifestation – 8°) droit de grève – 9°) droit à une justice équitable.
CONCLUSIONS ET REVENDICATIONS : En définitive, il convient de tirer les conclusions et revendications suivantes : C.R.1. CONCLUSIONS : S’il faut se féliciter de ce que les mobilisations des populations et organisations ont réussi à arracher la libération de certains citoyens arbitrairement arrêtés et détenus, on relève toutefois que l’actuelle politique répressive maintient en détention abusive de nombreux citoyens dans des conditions parfois dégradantes. 6 C’est pourquoi il faut pousser à nouveau un cri d’alarme contre l’état de terreur qui tente insidieusement de se mettre en place au Togo. Il faut en appeler à la mobilisation permanente et continue des populations et organisations ainsi que de l’opinion internationale pour défendre et étendre les droits et libertés conquises de haute lutte depuis une trentaine d’années, ce qui fait l’objet du présent mémorandum sur la base des revendications ci-après. C.R.2.
REVENDICATIONS : Nos revendications immédiates sont les suivantes :
1. Libération inconditionnelle et immédiate de tous les prisonniers politiques du Togo et réparation dédommagement de ces citoyens injustement arrêtés, détenus, torturés ou morts en détention (voir liste en annexe) ;
2. Réapparition en vie de tous les prisonniers politiques ;
3. Mise en place d’une Commission internationale d’enquête indépendante pour faire toute la lumière sur les allégations de décès en détention sous la torture ou toute autre cause avec identification et arrestation des auteurs et commanditaires de ces actes criminels pour qu’ils en répondent devant la Justice, conformément à la législation en vigueur et aux instruments internationaux ratifiés par les autorités togolaises.
4. Nos enquêtes et investigations ont mis à jour des allégations de tortures, traitements cruels, inhumains et dégradants sur des détenus politiques mettant en cause, entre autres, 18 agents qui, détenteurs d’autorité de la force publique, doivent être entendus pour en répondre ;
5. Dissolution des unités coupables d’exactions à l’encontre des prisonniers politiques;
6. Constitution d’une Commission internationale d’enquête indépendante pour faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de la Justice togolaise avec suspension des magistrats que révèlera l’enquête comme auteurs ou coupables d’instrumentalisation de la justice aux fins de maintien illégal en détention et condamnation de citoyens innocents et leur mise à la disposition de la Justice pour qu’ils en répondent ;
7. Arrêt de l’instrumentalisation de la Justice et dans ce cadre : * Respect de l’indépendance de la magistrature ; * annulation de toutes les charges fantaisistes à l’encontre des activistes politiques et de la société civile ; * annulation de la mise sous contrôle judiciaire des activistes politiques et de la société civile pour les intimider de façon permanente et restreindre la liberté de leurs mouvements ;
8. Respect de toutes les libertés démocratiques garanties par la Constitution togolaise et les instruments internationaux ratifiés par l’Etat togolais notamment : — Respect du droit à la vie ; — Respect des libertés d’opinion et de parole avec notamment dans ce cadre : * la libération du prophète Esaïe Kokou DEKPO ; * la libération de l’apôtre Gabriel DOUFLE ; — Respect du droit de manifestation ; — Respect de la liberté de presse avec notamment dans ce cadre : * l’annulation de la décision du Tribunal de première instance de Lomé condamnant Ferdinand Mensah AYITE et le journal L’Alternative à 3 millions de F CFA chacun soit au total 6 millions pour diffamation dans l’affaire dite du pétrolegate mettant en cause les sieurs ADJAKLY père et fils ; * l’annulation de la décision N°002/HAAC/21/P du 25 janvier 2021portant retrait du récépissé du journal L’Indépendant Express ; * l’annulation de la décision N° 003/HAAC/21/P du 5 février 2021 portant suspension du bihebdomadaire L’Alternative — Respect des libertés d’organisation politique et syndicale ; — Respect du droit de grève.
Lomé, le 16 février 2021