A l’occasion de la Journée mondiale de la Liberté de presse célébrée ce 3 mai 2021, le confrère Narcisse Prince Agbodjan du journal en ligne « linterview.info » a pondu une tribune qui dépeint la situation de la presse togolaise. Il revient sur la précarité des journalistes togolais. Bonne lecture.
Tribune : La presse doit mériter sa respectabilité
En examinant le cheminement de la presse togolaise, l’on peut aisément se rendre à l’évidence que le vœu pieux de ses acteurs est sensiblement resté le même : le triptyque professionnalisme, union et respectabilité, cette requête s’est au fil du temps muée en une arlésienne. Que d’attentes vaines et d’espoirs déçus par les turpitudes d’une frange du bataillon des chevaliers de la plume et du micro.
La mayonnaise n’a pas pris et les résultats escomptés sont restés bien en deçà des espérances pour diverses raisons. Comment pouvait-il en être autrement dans cette mare médiatique où les objectifs ont rarement été symétriques. La presse togolaise est vautrée dans des tourments depuis quelque temps, ayons la lucidité de le reconnaitre. C’est un euphémisme. À l’observation, ce moment de pénitence chevauche avec le 4è mandat du président de la République. Coïncidence ?
Notre écosystème médiatique traverse des zones de turbulences. C’est un fait. Nous en sommes arrivés là par la conjugaison des actes et postures peu ou prou orthodoxes de chacun de nous. Ce n’est pas encore le moment de jeter les cauris pour désigner les coupables.
Pour ne rien arranger, le code de la presse et de la communication promulgué le 7 janvier 2020, est venu se jeter dans la mêlée. Inutile de noter que ce texte n’est pas venu apporter la sérénité à une corporation infestée de part en part par des gens qui ne la squattent que par effraction.
Pour une bonne partie des acteurs de la presse, ce code semble avoir pour objectif déguisé de sceller définitivement la mainmise sur les médias pour mieux les maintenir sous contrôle. Cette crainte est d’autant plus fondée que les médias privés critiques constituent une véritable arête dans la gorge des pouvoirs publics. Ils le sont davantage depuis qu’ils se sont engagés à mettre en lumière la gestion opaque de certaines structures nationales où des intérêts colossaux sont souvent en jeu.
Alors, tous les moyens seraient bons pour les affaiblir afin de les rendre nécessiteux et donc dépendants. La trouvaille ? La mutation en sociétés avec toutes les contraintes qui vont avec. Il se susurre que certaines personnes, tapies dans l’ombre, ont juré de s’offrir le scalp des médias d’obédience publique qui fourrent leur nez creux partout sans y être invités.
C’est peut-être vrai tout ça. Mais la presse togolaise est-elle en réalité une sainte nitouche ? Les hommes et femmes de cette presse sont-ils de vertueuses personnes à qui l’on donnerait le bon Dieu sans confession ? Sont-ils exempts de tout reproche ? A cette question, le “non” l’emporte avec un score stalinien. A la vérité, la presse togolaise patauge dans un certain nombre de vices aussi divers qu’incurables. Le point culminant de ces tares presque congénitales se décline en tentatives de chantage et d’escroquerie à l’endroit de paisibles citoyens sous le prétexte d’avoir sous le coude des informations les mettant en cause.
Lorsque des journalistes de la même farine n’affichent pas leur misérabilisme et autres attitudes indignes sur les lieux de reportage, ils font preuve d’ingéniosité ailleurs. Ils se répartissent en plusieurs groupes avec des rôles définis à l’avance. Les uns sont missionnés de porter la charge en accablant publiquement la cible. Une fois que la besogne est accomplie, les autres accourent et proposent leurs services pour laver la fange déposée sur la cible par leurs complices. Une fois le sale boulot terminé, les auteurs de ces pratiques éhontées se retrouvent pour partager le butin.
Pourtant, nous nous plaignons bien souvent du peu d’égard avec lequel nous sommes traités. Nous dénonçons le manque de considération et de reconnaissance. Nous appelons à la respectabilité de notre corps de métier sans pour autant nous poser la bonne question. La presse togolaise mérite-t-elle la respectabilité qu’elle appelle de tous ses vœux ? Voilà l’élément.
Aussi, le journalisme doit-il cesser d’être un pis-aller. Inutile de s’y inviter lorsque ne n’est pas un sacerdoce. Beaucoup de nos aînés ont embrassé ce métier par passion, bien aidés par leurs devanciers dont les prestations haut de gamme dans leurs organes respectifs ont attisé la vocation. On ne vient pas dans cette profession parce qu’on sait aligner sujets, verbes et complément, encore moins parce qu’on a des traits de beauté supérieurs à la moyenne. C’est un métier noble qui doit s’apprendre pour être exercé.
En outre, notre responsabilité est plus que engagée devant le tableau peu reluisant de notre situation. Nous devons refuser d’être facilement un instrument entre les mains d’autrui. Notre dignité en tant que journaliste nous commande de refuser de céder aux manipulations sournoises.
Se prendre au sérieux pour être respecté !
Le chantage et l’escroquerie sont les autres plaies dont la presse togolaise doit impérativement guérir. Des journalistes ont la mauvaise idée de monter de bric et de broc des histoires totalement cousues de fil blanc sur des personnalités à des fins purement mercantiles. En plus, ces inventions touchent quelquefois à la vie privée. Ces pratiques récurrentes ont fini par faire monter la HAAC au créneau pour les dénoncer, les condamner et pour mettre en garde leurs auteurs, ces brebis galeuses qui font la honte de la corporation. Pire, ce sont le plus souvent, ceux qui se vantent de leurs nombreuses années d’expérience dans le métier, détenteurs de la carte de presse qui se livrent à ces bassesses.
La vérité, je la dirai, car j’ai promis de la dire. Mon devoir est aussi de dénoncer quand ça va mal, puisque je ne veux pas être complice. C’est bien d’avoir au minimum la licence comme l’exige le code de la presse et de la communication, c’est bien de se faire appeler doyen, mais l’expérience et le niveau d’études ne suffisent pas pour être un journaliste responsable, professionnel, qui respecte les règles de l’art du métier. Pour ce qui est de la carte de presse, il faut de plus en plus veiller à l’intégrité morale de ceux qui en font la demande. Et dans cette tâche, les organisations de presse peuvent être d’un précieux apport à la HAAC, parce qu’elles connaissent peut-être mieux les journalistes et peuvent guider l’institution de régulation en ce qui concernent la rectitude morale des uns et des autres.
Mériter la respectabilité !!
Ce n’est pas une chimère, des pratiques peu recommandables ont cours dans la corporation et impliquent le plus souvent les premiers responsables des organes de presse. La liste des comportements qui déshonorent notre profession est longue comme le bras. Dans le même temps, c’est triste de le souligner, mais le journaliste togolais doit composer avec les contraintes politiques et économiques qui pèsent sur lui et qui rendent sa position instable et inconfortable.
Il faut se le dire sans fard: la respectabilité que les pouvoirs publics ou les citoyens tout court voudront bien nous accorder dépendra de nous-mêmes. Elle dépendra de notre attitude, de notre conduite et de nos postures. Elle dépendra de la qualité de nos écrits, de la qualité de nos analyses et commentaires bref, de la qualité de notre travail au quotidien. Autrement dit du respect des canons de notre métier.
Une fois que ce sera le cas, une fois que nous ne dirons rien pour nuire ou nous ne tairons rien pour plaire, une fois que nous nous mettrons à assumer correctement notre part de mission, cette respectabilité sera naturelle et spontanée. Maintenant, la presse togolaise mérite-t-elle plus de respectabilité au regard de ses actes et postures ? Difficile de répondre par l’affirmative dans la mesure où certains font tout pour ne pas se rendre dignes de pratiquer cette noble profession.
A l’occasion de cette journée mondiale de la liberté de presse, prenons le temps de faire une petite halte pour faire une introspection. Le quatrième pouvoir joue-t-il comme il se doit sa partition ? Ayons le courage de nous regarder dans le miroir. Chacun fera le diagnostic mais pour sûr, chez nous les journalistes, souvent si prompts à emboucher la trompette des critiques, ne sont malheureusement pas exempts de reproches. La presse togolaise doit faire plusieurs tours pour balayer devant sa porte et jeter à la poubelle tous les scories qui handicapent son développement et son épanouissement. Les plus importantes étant la désunion, les objectifs opposés et l’insuffisance de professionnalisme.
Situation financière précaire
La presse togolaise a également pour défi de revoir sa santé financière, l’une des causes, et en même temps solutions au phénomène de chantage, car plus les médias ont des ressources pour mieux payer leurs employés, moins ceux-ci s’adonneront à des pratiques viles. Actuellement, l’avenir du journaliste togolais n’est pas prometteur s’il veut se fier uniquement à ce métier. Même s’il choisit de rouler dans une grosse voiture avec des bons d’essence reçus ici et là, sa sécurité financière et celle de sa famille ne sont pas garanties. Il n’a aucun compte si ce n’est le compte T-money et Flooz. C’est révoltant aujourd’hui de voir des confrères mourir parce que n’ayant pas les moyens de se soigner quand ils sont malades. Et personne, y compris les patrons qui roulent aujourd’hui carrosse, n’est à l’abri. Les acteurs doivent sérieusement se retrouver pour réfléchir sur la situation du journaliste togolais et faire des propositions concrètes débouchant sur des actes concrets. L’heure est grave !!
Il a été accordé aux organes de presse exerçant sur le territoire togolais un moratoire qui prend fin en 2023 pour muter vers des sociétés de presse en bonne et due forme, sous peine de se voir retirer leur récépissé de parution. La garantie pour encourager cette mutation est le bénéfice des avantages prévus par les textes. Le gouvernement entend aider à la professionnalisation de la presse. Le ministre de la Communication et des Médias, porte-parole du gouvernement, le Prof. Akoda Ayewouadan a rassuré que cette réforme témoigne de la volonté de l’État togolais, de voir le secteur des médias nourrir son homme. Nous attendons de voir la réalisation de ces promesses avant d’y croire.
Chaque année, nous célébrons la Journée mondiale de la liberté de presse au Togo, mais que faisons nous concrètement avant la prochaine édition ? Les acteurs des médias et les décideurs doivent faire en sorte que le 3 mai ne vire pas à une journée de discours sans aucun effet, juste pour faire tendance. Les belles phrases doivent induire des actions concrètes tendant à consolider la liberté de presse chez nous. Ce faisant, la presse dans son ensemble pourra apporter sa contribution à l’ancrage démocratique dans notre pays.
Eux ont apporté, à leur manière, leur pierre à l’édification de la cité, mais malheureusement ils ont rangé définitivement plumes et micros.
Que les âmes du Doyen Djossou Lucien Messan de Combat du Peuple, de François Koami, des DP Julien AYI de Nouvel Echo, Halirou Tchakala de Courrier de la République et Dominique Alizou de Chronique de la Semaine reposent en paix.
Bonne célébration à nous tous !