Togo- Maryse Quashie : « « Dieu le fera » ne peut pas devenir notre leitmotiv. Il ne fera rien sans nous »

Les deux universitaires, Maryse Quashie et Roger Folikoé, dans leur chronique « Cité au quotidien » de cette semaine titrée « Croire en la magie », exhortent les Africains de façon générale et les Togolais en particulier, au-delà  de l’espérance et de la croyance en Dieu ou aux miracles, à adjoindre des actions pour changer leur destin. Bonne lecture.

CITE AU QUOTIDIEN: CROIRE EN LA MAGIE

« Soundiata, se traîne à quatre pattes et s’approche de la barre de fer qu’il a demandée au forgeron de lui fabriquer. Il prend appui sur ses genoux et une main ; de l’autre, il soulève sans effort la barre et la tient à la verticale. Ensuite, toujours à genoux, il saisit la barre de ses deux mains. Les yeux fermés, il se cramponne ; les muscles de ses bras se tendent, d’un coup sec il s’arc-boute et ses genoux se détachent du sol. Il est debout. Il fait quelques pas… »

Voilà comment la légende dit que Soundiata KEITA, alors enfant infirme d’une reine mère humiliée par sa coépouse, se leva un jour et prit alors en mains son destin de Roi du Mandingue, prédit depuis longtemps par les dieux. L’intervention de ces dieux aurait donc été décisive le moment venu. Mais il ne s’agissait pas pour Soundiata de s’asseoir pour attendre l’intervention divine. Un proverbe de chez nous ne demande-t-il pas à celui qui lève les yeux vers son Dieu, de faire l’effort de soulever sa charge jusqu’à ses genoux, ensuite seulement son Dieu pourra l’aider à la poser sur sa tête ?

Si la légende de Soundiata passe sous silence, les jours, les années et les mois où le jeune homme s’était livré pendant des heures et des heures, à des tentatives pour se lever, exercices quotidiens, apparemment sans résultats, jusqu’à ce fameux jour où les dieux sont intervenus pour couronner ses peines de succès, il convient de le mettre en exergue ici.

Si nous devions relater cette histoire aux femmes et aux hommes de notre temps, nous parlerions des années de tentatives vaines de Soundiata, pour montrer que l’on ne peut rien réussir sans patience dans l’espérance et surtout sans effort personnel, dans la persévérance.

Cela signifie que l’Afrique ne se relèvera pas sans efforts soutenus des Africains ; cela veut dire qu’après chaque échec, ils doivent recommencer et recommencer jusqu’à arriver à bout de ce qui les oppresse. Et personne ne le fera à leur place.

Dans d’autres contes, contes d’ici et d’ailleurs, pour reprendre un pouvoir légitime usurpé par un Grand Méchant, il faut voler sa magie et la retourner contre lui. Alors laquelle de ces deux solutions l’Afrique va-t-elle choisir pour sortir de la pauvreté et des gouvernances non démocratiques ?

Une chose est certaine, rester assis et attendre l’heure de Dieu sans rien faire ne peut jamais être la solution. « Dieu le fera » ne peut pas devenir notre leitmotiv, car Il peut le faire mais Il ne fera rien sans nous si l’on se réfère au proverbe déjà cité. Le cas de Soundiata nous donne ainsi un premier élément.

Et qu’en est-il de la seconde option qui consiste à choisir la magie du Grand Méchant ? Rappelez-vous, nous l’avons déjà utilisée. Quand ? Au cours de la période coloniale et surtout au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. Ce fut une potion magique qui a agi en deux temps.

Premier temps : ouverture de l’école. Les Africains, avec les Noirs d’Amérique et des Antilles se sont battus pour avoir droit aux mêmes contenus scolaires, aux mêmes diplômes que ceux qui les tenaient sous leur domination. Cela a ouvert les horizons à beaucoup d’entre eux : démontrant qu’ils n’étaient pas des “sous-hommes”; ils ont dépassé le niveau de l’école primaire, puis secondaire et atteint l’enseignement supérieur. Ils ont alors pu prétendre aux mêmes avantages que les colons et lutter pour acquérir ces avantages.

Deuxième temps : participation citoyenne à la vie politique “nationale”. Ainsi, des Africains ont alors accédé à la Chambre des Représentants en France, et ont donc présenté en bonne et due forme leurs problèmes à la Nation Française. C’est ainsi qu’a été soutenu et développé le mouvement anticolonial qui fit pression jusqu’aux années 1960.

Cependant le fruit de la décolonisation est vite retombé dans l’escarcelle des ex-pays colonisateurs. Pourquoi ?

L’histoire nous a bien montré que l’accession à l’indépendance s’est vite révélée formelle surtout avec à la tête des pays africains des hommes, qui avaient oublié de renouer avec leurs racines et leur peuple, pour s’attacher à leur réussite personnelle. On a bien vu cela lorsque les populations excédées ont voulu exprimer leurs aspirations à plus de liberté, plus d’équité dans les années 1990.

La potion magique n’a donc pas eu d’effet ? Si mais celui qui l’a inventée ne s’est pas endormi entre temps, il a préparé et instillé d’autres produits que les Africains ont ingérés sans méfiance.

C’est ainsi qu’ils n’ont pas laissé l’école aux mains des seuls Africains : ceux-ci sont vite devenus des Masques Blancs à peau noire (pour paraphraser Frantz FANON) mais surtout sous prétexte d’aide au développement l’Occident a gardé la mainmise sur les ressources minières et agricoles des pays africains (Cf. L’aide fatale : les ravages d’une aide inutile de l’économiste zambienne Dambisa MOYO).

Dans ce même sens on leur a appris à s’affubler des habits de la démocratie en se contentant d’organiser des élections, et de se réclamer de la démocratie. On leur a également appris à utiliser les mots des Droits de l’Homme, les mots du Droit en général pour légitimer des décisions iniques. C’est comme cela que les autorités prennent des décisions administratives injustes en utilisant un langage pseudo-juridique destiné à convaincre les victimes que ce sont les autorités qui sont dans leur droit. C’est comme cela qu’en cas de difficultés avec la presse, par exemple, on s’en remet à une justice (qui n’apparaît pas indépendante) et au code de la presse qui peut réduire des journalistes au silence.

C’est le danger constant que court par exemple l’hebdomadaire L’Alternative qui nous a ouvert ses colonnes depuis plus de deux ans, et qui revient dans les kiosques aujourd’hui. Nous souhaitons un bon retour à L’Alternative ! Mais n’avons-nous pas le droit de discuter le droit ? Suffit-il de déclarer quelque chose droit pour qu’il soit automatiquement juste ? L’histoire ne nous enseigne-t-elle pas qu’il y a eu parfois des lois injustes qui ont créé des droits injustes ?

Le droit n’est donc pas droit parce qu’il est déclaré droit mais parce qu’il transporte une valeur juste. Il ne suffira guère de former plus d’ingénieurs, d’économistes de haut niveau, de juristes pour que l’Afrique sorte de sa misère et retrouve la mainmise sur ses richesses naturelles, sur sa capacité à prendre des décisions quant à ces ressources pour en faire des outils de développement. En effet, il faut comprendre la nouvelle magie avec l’exemple de ces contrats d’assurance où on se fait avoir à cause des textes écrits en tout petits caractères, textes qu’on ne lit presque jamais avant signature.

Comment la magie a-t-elle de nouveau été active contre nous ? A cause de ce qui est écrit en petits caractères dans les choix des pays occidentaux en matière de politique africaine. Quels que soient les mots prononcés, par exemple, dans le Discours de la Baule le 20 juin 1990 un point est demeuré un obstacle fondamental.

Dans ce discours auquel les Africains font souvent référence, la primauté n’a jamais été accordée à la démocratie comme principe structurant notre espace politique ; elle n’est pas recherchée comme fondement du vivre ensemble ou comme structuration de l’être politique de l’homme. Elle a été présentée comme simple facteur de croissance économique pour avoir des investisseurs. Et puisque les intérêts surtout économiques prennent le pas sur tout dans la logique néolibérale, la démocratie peut dès lors être sacrifiée ou elle peut devenir un simple habillage au lieu d’être un principe d’organisation dans tous les domaines de l’être humain.

Que faire alors ? Quelle leçon tirer donc aujourd’hui des deux cas de figures : la légende de Soundiata et la magie à voler ?

Il nous faut absolument continuer à croire en la magie mais en celle où sont alliées les deux solutions, espérer tout en se mobilisant comme Soundiata, mais aussi ne jamais renoncer à voler la magie des grands méchants. Cela ne peut guère suffire cependant car il est très important de garder le monopole du choix de la vision politique qui doit sous-tendre ces deux axes de lutte. Et c’est cette vision politique qu’il nous appartient de formuler en pensant à cette phrase de Paolo COELHO : « Quand on veut une chose, tout l’Univers conspire à nous permettre de réaliser notre rêve ».

Ce projet ne peut plus être celui que l’Occident nous avait montré et qui continue encore dans la mondialisation : « vaincre l’autre sans avoir raison » (cf. L’aventure ambiguë de Cheikh Hamidou KANE) mais ce projet doit avoir une exigence éthique, économique, sociale, scientifique parce qu’il est avant tout un projet politique (vivre-ensemble). Son paradigme doit donc être nouveau et c’est ce que nous suggère le philosophe congolais Kä Mana, dans son livre Les vrais enjeux de la renaissance africaine en parlant de l’être spécifique de l’Africain d’aujourd’hui : « sa capacité de savoir que l’essentiel n’est pas de vaincre sans avoir raison, mais de se vaincre soi-même pour avoir raison avec les autres dans un nouvel être-ensemble mondial du bonheur partagé».

Lomé, le 11 Juin 2021

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