« Créez tout le bonheur que vous êtes capable de créer : supprimez toute la misère que vous êtes capable de supprimer. »
Jeremy Bentham.
Le Comité des droits de l’Homme de l’ONU a examiné durant le mois de juillet 2021, le rapport du Togo, portant sur « la lutte contre la corruption des juges, les conditions de détention, l’inégalité entre hommes et femmes, la traite des enfants ». Rien ne semble indiquer à l’issue du cinquième Examen périodique universel, que Faure Gnassingbé et son gouvernement aient l’intention d’assainir le fonctionnement de la justice au Togo.
Le 21 juillet 2021, notre confrère Liberté, attitrait l’attention à la une de son édition n°3429, sur la condamnation prononcée par la Cour d’Assises de Lomé : « Assisses Kpogo Laurent arbitrairement condamné à 10 ans de prison du jeune Laurent Kpogo, arbitrairement condamné à dix ans de prison suite à 8 ans d’instruction sans confrontation, et deux témoins mystérieusement « introuvables » ».
Encore une affaire, comme des dizaines d’autres au Togo, où la justice, sans séparation des pouvoirs dans la pratique, est devenue au fil de l’approfondissement d’une démocratie de façade, un instrument docile du pouvoir. Nous connaissons la propension et le goût immodéré de la manipulation et de la forfaiture d’une frange des responsables de la justice togolaise, acceptant d’accompagner, ou même de de servir de béquille au pouvoir du parti de Faure Gnassingbé, « Union pour la République (UNIR), ex- parti unique, le Rassemblement du Peuple Togolais (RPT).
Ainsi, Yao Laurent Kpogo, citoyen togolais de 32 ans, eût le malheur de participer le 7 juin 2013 dans le quartier Nyekonakpoè, à proximité de l’Ecole Française, à une manifestation pacifique de l’opposition. Alors qu’il s’apprêtait à quitter les lieux sur sa moto, il fut appréhendé sans sommation par des éléments de la Police nationale, jeté dans une fourgonnette et conduit à la direction la Sûreté nationale. Un véritable kidnapping en plein jour, contraire à la onstitution togolaise.
Il eut la mauvaise surprise, dès le lendemain de son arrestation, de se voir notifier par le 4ème substitut du Procureur de la République de Lomé, M. Akohouegnon, le chef d’accusation de « tentative d’homicide volontaire avec préméditation » sur forces de l’ordre, et après un interrogatoire sommaire d’être écroué à la prison civile de Lomé, sans avocat, ni respect de ses droits.
Dès le commencement de cette affaire l’intitulé même du chef d’accusation indique une manipulation judiciaire qui confine à la forfaiture. Mais il se pare d’un relief particulier en apprenant que Yao, lorsqu’il se trouvait dans les locaux de la Sûreté nationale, fut forcé de signer un procès-verbal sans avoir été préalablement interrogé par la police, dans lequel selon ses dires, il va être obligé de reconnaitre des faits, dont il n’est pas l’auteur. Durant sa retenue il recevra la visite de l’ex-commissaire divisionnaire Koudouovoh dont on mesure mal le rôle joué par celui-ci, dans la mesure ou quatre mois plus tard, le même commissaire aurait à nouveau rendu visite à Yao, lui proposant de travailler avec lui. Pour quoi faire et comment ? Nul ne le sait ! Cette proposition aurait été poliment décliné par M. Yao L. Kpogo.
Le caractère politique de l’affaire sera dévoilé lorsque, conduit devant le juge Adjoli Awi, à l’époque affecté au 2ème cabinet d’instruction, Yao Laurent Kpogo, se verra reprocher ses accointances avec l’opposition Togolaise.
A quel titre un juge d’instruction, se permet-il de reprocher à un prévenu son appartenance politique, alors que théoriquement sa seule mission consiste à réunir activement tous les éléments susceptibles d’aboutir à la manifestation de la vérité et contribuer, sans parti pris, à permettre à la justice de rendre des jugements équitables ? Sur ce plan, le juge outrepasse ses fonctions de serviteur de l’Etat pour endosser celui d’un partisan, soit au titre de militant politique ou au titre d’un partisan -officiel ou officieux- du parti au pouvoir. La vérité est que l’on ne peut juger si l’on est « juge et parti ».
L’interrogation sur le rôle réel du juge Adjoli Awi, auxiliaire de justice indépendant ou au service du pouvoir, trouve peut-être, un début de réponse trois ans plus tard, dans le dénouement d’une confrontation montée de toutes pièces qui se soldera par un échec et permettra d’étayer plus solidement la thèse de la machination.
En effet, trois ans après son arrestation, Yao Laurent Kpogo, se voit notifier le 3 août 2016, une date d’audience ainsi formulée : « En exécution de l’article 169 du code de procédure pénale, le procureur général près la Cour d’appel de Lomé a l’honneur de faire connaître au sieur Kpogo Yao Laurent, inculpé de tentative d’homicide involontaire et détenu à la prison civile de Lomé, que l’affaire MPc/lui-même sera appelée à l’audience de la Chambre d’accusation de la Cour le 09 août 2016 à 9 h 00 ». Croyant qu’il allait enfin pouvoir regarder en face l’agent des forces de l’ordre sur lequel il aurait tenté de commettre l’homicide, qui lui était jusqu’à présent inconnu, la confrontation tournera à la mascarade lorsque le policier qui lui sera présenté à l’audience, avouera ne pas reconnaitre Yao Laurent Kpogo.
La scène, digne d’une représentation de griot, le talent de l’artiste en moins, infligera à la justice togolaise un retentissant camouflet et fera encore une fois la démonstration de l’instrumentation dont elle fait l’objet.
Dans un pays civilisé doté une justice indépendante, Yao Laurent Kpogo eût été immédiatement remis en liberté à la barre. Mais au Togo, c’est une autre histoire, la normalité relève d’un monde kafkaïen. C’est ainsi qu’à l’issue de cet épisode peu glorieux pour l’institution judiciaire, Kpogo Yao Laurent sera reconduit en prison où il restera jusqu’en 2021. Jusqu’à cette audience de la Cour d’assises de Lomé qui le condamnera à dix ans de prison, sans que depuis l’audience du 9 août 2016 la justice togolaise n’ai produit la moindre preuve de sa culpabilité et présenté la victime présumée de la tentative d’homicide. Le Togo de Faure Gnassingbé condamnerait-il donc des innocents, sur la base de la seule affirmation des agents aux services du pouvoir ?
La lourdeur de la condamnation, dont la durée correspond au temps passé (dix ans) en prison par Kpogo Yao Laurent, donne à penser que la justice togolaise a voulu se couvrir, dans l’éventualité où le ciel pourrait un jour s’assombrir pour l’institution, si en cas d’avènement d’une vraie démocratie le peuple décidait de solder le passif des comptes du passé.
C’est probablement l’interprétation que l’on peut suggérer des propos de l’avocat Me Raphaël Nyama Kpandé-Adzaré au prononcé du jugement : « Si ce jeune avait vraiment fait ce qu’on lui reproche, je ne suis pas certain que ce soit à cette peine qu’on le condamnerait. Son dossier souffre d’une extrême vacuité. Et puisqu’il a déjà passé huit ans gratuitement en prison, il faut couvrir la détention préventive, sans même interroger les consciences ! Son seul tort est d’avoir été un militant de l’opposition. C’est à la fois très triste et très malheureux. Mais Seul Dieu Est Juste et rien ne lui échappe. »
Car des dégâts collatéraux, il y en a à solder, dans la mesure ou durant sa détention arbitraire Kpogo Yao Laurent, aura été privé de la possibilité de rendre un dernier hommage à sa mère décédée en 2013, quelques mois à peine après son arrestation, et contractera la tuberculose dans les prison-mouroirs du Togo.
Car les prisons du Togo sont devenues des prisons-mouroirs, ou l’on laisse les détenus dépérir jusqu’à l’extrême limite. On peut ajouter au cas de Kpogo Yao Laurent, ceux, entre autres, d’autres militants d’opposition, tels OURO-GNAOU Alikou, Arbitrairement arrêté le 26 janvier 2020 dans l’affaire « Tigre Révolution », détenu et torturé au Camp GIPN d’Agoè-Logopé où il tombera gravement malade suite aux tortures, traitements cruels, inhumains et dégradants subis au Camp GIPN, hospitalisé in extremis au Cabanon du CHU Sylvanus Olympio, ou encore OURO-ADJANA Arimiyaou, citoyen de Souroukou, plombier-électricien, également arbitrairement arrêté le 26 janvier 2020 dans la même affaire « Tigre Révolution », lui aussi détenu et torturé au Camp GIPN d’Agoè-Logopé, qui suite aux tortures, traitements cruels, inhumains et dégradants subis, est actuellement gravement malade et hospitalisé au Cabanon du CHU Sylvanus Olympio.
Combien d’exactions de la justice togolaise ont succédé ces huit dernières années, au cas de Kpogo Yao Laurent ? Des dizaines selon l’étude exhaustive menée par le Comité pour la Libération de tous les Prisonniers Politiques du Togo, dont nous avons publié les travaux dans notre blog. Aux graves atteintes aux droits humains, récurrentes au Togo, de la part de la police, de la gendarmerie, des forces armées togolaises, on peut dans le cas présent ajouter le rôle de la justice togolaise.
Par ailleurs, la justice togolaise si prompte à fermer les yeux sur l’incarcération et la torture des innocents sait réagir promptement aux injonctions et exécuter les ordres des puissants.
RESPONSABLES DE LA JUSTICE AU TOGO : FAIBLE ET IMPUISSANTS FACE AU POUVOIR
Une autre récente affaire, cette fois à haut potentiel humoristique, aurait pu à une autre époque servir de source d’inspiration à des romanciers avisés comme Ahmadou Kourouma, Williams Sassine ou Frantz Kafka Cette affaire illustre le caractère servile de la justice togolaise, dès lors qu’il y a urgence à ne pas instruire, pour n’avoir pas à mettre en cause des corrompus ou des profiteurs du système Gnassingbé.
La trame de l’affaire met en scène trois célébrités togolaises, l’humoriste Gogoligo (Nutsuley Koffi), le chanteur Papson Moutité (Midodji Amoussou) et le footballeur Sheyi Emmanuel Adebayor.
L’ancien capitaine des Eperviers du Togo, célébrité du football international, qui a effectué sa carrière dans les clubs les plus prestigieux, Arsenal, Manchester City, Real de Madrid, Tottenham, entre autres, auteur d’au moins 173 buts, s’était vu reprocher de truquer les compteurs de la Compagnie énergie électrique du Togo (CEET) de sa maison située sur le pavé de Didjolé à Lomé, dans une vidéo devenue virale enregistrée par Gogoligo. Ce dernier dénonçait sans retenue : « On me dit de ne pas parler, que si je parle, des têtes vont tomber. Que les têtes tombent. Les gens ont la climatisation dans leur garage, leur WC… et à la fin du mois, ils paient 22.000 francs comme facture d’électricité ».
Le propos de Gogoligo peut choquer le profane, mais ne semble pas éloigné d’une réalité qui a cours au Togo quand il dit que des gens ont la climatisation dans leur garage, puisque selon une source proche, un éminent ministre toujours en poste dans l’actuel gouvernement, a fait installer la climatisation dans son garage pour le bien-être de ses chiens. Cela illustre le mépris de classe et le niveau d’inégalités du Togo, pays dans lequel plusieurs millions de personnes, ne peuvent manger trois repas par jour. Ces oubliés, ces invisibles, et ces marginalisés par le régime UNIR/RPT de Faure Gnassingbé aimeraient aussi bénéficier d’un « bien-être », actuellement réservé à une minorité.
À la suite de la plainte pour diffamation déposée par S. E. Adebayor (date si possible), Gogoligo et Papson Moutité, seront arrêtés et déférés. Que s’est-il dit dans le bureau du procureur de la République entre l’accusateur et les accusés au cours d’une longue audition à huis clos ? Gogoligo et Papson ressortiront à l’issue de cinq heures d’audition, accusés de diffamation aggravée, violation de l’intimité et association de malfaiteurs dans une affaire de compteur truqué. Les accusateurs accusés en quelque sorte !
Mais très peu de temps après, la justice togolaise va opérer un de ces magistraux rétropédalages dont elle est capable, en libérant Gogoligo et Papson Moutité. Et l’on apprend que c’est S. E. Adebayor en personne, qui a demandé à la justice togolaise de les libérer, une sorte d’abandon de sa plainte initiale. La question est de savoir pourquoi ? Cette demande à laquelle accèdera sans la moindre réticence le parquet du tribunal de Lomé, témoigne en l’espèce de la « grande » coopération de la justice togolaise. Les deux protagonistes seront relaxés par le Procureur Blaise Poyodi et libérés de 22 juillet après six jours de détention.
Ce qui fera écrire à notre confrère Liberté, « Si le procureur de la République, Essolizam Poyodi pouvait être si réceptif dans la majorité des affaires, les prisons seraient moins peuplées. »
Sans préjuger des véritables motifs du subit retournement de posture de S. E. Adebayor, mais connaissant les manières du clan au pouvoir, il est permis de supputer que celui-ci a pu recevoir les bons conseils de quelque visiteur de l’ombre, qui lui a fait valoir les dangers d’une publicité intempestive et des possibles dégâts collatéraux.
Dans l’hypothèse ou Gogoligo serait contraint d’assurer sa défense, il est probable qu’il pourrait cette fois se décider à parler, sans crainte « d’éclabousser » plus largement. Ainsi, l’affaire courrait le risque de rapidement sentir le souffre, une instruction laissant planer le risque de porter sur la place publique les noms des têtes qui pourraient tomber, selon les termes employés par Gogoligo dans sa vidéo.
Que s’est-il dit finalement dans le bureau du procureur de la République entre l’accusateur et les accusés au cours d’une longue audition à huis clos ? Comment comprendre également les termes de la supplique adressée au Procureur par S. E. Adebayor : « Je vous demande par la présente de bien vouloir prendre en considération ma demande de libération de M. Nutsuli (Gogoligo) et M. Moutité, par rapport à leurs états de santé. Croyez-moi Monsieur le procureur, cette décision étant bien réfléchie et humaine, je vous prie quand même Monsieur le procureur, que la justice continue à faire son travail et lumière sur cette affaire » ? Et l’empressement du procureur à lever le mandat de dépôt, qui aurait eu de la compassion eu égard à l’état de santé des deux intéressés. Le nombre d’innocents, souvent torturés, dans les prisons togolaises qui ne bénéficient pas d’un tel empressement de la justice togolaise doit interroger.
Mais combien d’autres prisonniers politiques innocents la justice togolaise a-t-elle déjà laissé mourir en prison ? Combien encore en laisse-t-elle sans la moindre compassion alors que leur santé se consume à petit feu ?
Nous suivrons donc avec intérêt la suite cette affaire, et observerons si, comme le demande S. E. Adebayor, la justice continue à réellement faire son travail et à faire jaillir la lumière sur cette affaire, ou alors clôturera le dossier dans les ténèbres extérieures.
Si la justice togolaise était indépendante et faisait son travail, elle considèrerait en effet Gogoligo et Papson Moutité comme des lanceurs d’alerte, et non comme des délinquants. Elle se saisirait du dossier pour diligenter une instruction afin de s’assurer de la véracité des faits et poursuivre les profiteurs du système. Même en l’absence de plainte de la CEET, dont on se demande pourquoi la justice togolaise n’en a pas encore déposé dès la connaissance de la vidéo de Gogoligo ? Rien n’empêche le Parquet de s’auto-saisir et de diligenter une enquête préliminaire. Il y a fort à craindre, hélas, que tout ceci ne finisse comme une fable dont ne manqueront pas de se saisir quelques griots, a l’instar de ce qu’a fait Gogoligo.
Il y a trois-cent-quarante-trois ans un auteur dénonçant l’arbitraire des cours de justice, écrivait : « selon que vous serez puissants ou misérables les jugements de cour vous rendront innocent ou coupable ».
La transposition contemporaine, selon la justice togolaise, fut, par la condamnation injuste et sans fondement à 10 ans de prison, de créer un COUPABLE, le jeune Kpogo Laurent, après 8 ans d’instruction, des témoins introuvables et un policier chargé de l’accabler qui ne le reconnait pas, et, par leur libération, de rendre INNOCENTS Gogoligo et Papson Moutité. Non pas pour leur supposé acte de diffamation, qui en aucun cas ne mérite la prison, mais par crainte de devoir exposer au grand jour une affaire de détournement, impliquant des puissants du régime ou des supplétifs qui en profitent au même titre.
LA CORRUPTION DES JUGES TOGOLAIS : UNE INTERROGATION DU COMITE DES DROITS DE L’HOMME DE L’ONU
Le Comité des droits de l’homme a examiné le rapport du Togo du 29 juin au 1er juillet 2021, portant son attention sur la lutte contre la corruption des juges, les conditions de détention, l’inégalité entre hommes et femmes, la traite des enfants.
Dans le but probable de se justifier devant l’auditoire du Comité des droits de l’homme, Faure Gnassingbé n’a pas lésiné sur la composition de la délégation du Togo, composée, outre le ministre des droits de l’Homme, du Ministre d’État de l’administration territoriale, de la décentralisation et du développement des territoires, du Ministre de la justice et de la législation, de la Ministre de l’action sociale, de la promotion de la femme et de l’alphabétisation, du Ministre de la communication et des médias, du Premier substitut général près la Cour d’appel de Lomé, du Directeur de l’administration pénitentiaire, ainsi que de hauts-fonctionnaires de divers ministères.
Mais les faits restent les faits. Ils sont vérifiables par qui veut bien se donner la peine d’interroger les victimes atteintes dans leur chair par l’inhumanité de ce pouvoir, et leurs familles. Et toute la camarilla qui avait fait le déplacement à Genève est à des degrés divers impliquée dans cette politique.
C’est l’occasion de rappeler que le Togo a déjà été interpellé le 7 août 2019, par le Comité contre la torture des Nations Unies par rapport aux « allégations de torture et de mauvais traitements en détention… notamment contre des personnes arrêtées suite à leur participation à des manifestations, ou à leur soutien aux revendications de l’opposition ». Et de noter aussi que depuis 2006, de manière récurrente, les représentants du Togo ont choisi le confort de situation, en éludant les explications quant au fond des questions posées ou en répondant évasivement lors de chaque Examen Périodique Universel (EPU) des Nations-Unies sur la situation des droits humains, en regard des nombreuses interpellations relatives à la torture.
C’est la conséquence des codes qui régissent la manière de gouverner de Faure Gnassingbé et ses gouvernements, qui ont érigé comme règle permanente le recours à la facétie et parfois à l’enfumage, à l’égard des partenaires du Togo, dont l’Organisation des Nations Unies.
La dernière session de l’Examen périodique Universel (EPU) n’aura pas dérogé à la règle si l’on tient compte du rapport présenté par le fringant Ministre togolais des droits de l’homme, M. Christian Eninam Trimua, (ex-ministre en charge de la justice) qui n’est pas à un euphémisme près, lorsqu’il déclare que, « depuis la soumission de ce rapport, le cadre normatif et institutionnel togolais avait beaucoup évolué et que des améliorations avaient notamment été apportées dans les domaines du droit des personnes et de la famille, de l’organisation judiciaire, de la justice pénale. »
En essayant de comprendre les ressorts intimes qui ont guidé la Cour d’assises de Lomé et en essayant de pénétrer les arcanes de l’affaire Kpogo Yao Laurent, on mesure combien paraissent factices les propos du ministre Trimua devant le Comité contre la torture des Nations Unies.
Le comble de l’hypocrisie, fut atteint lorsque le Chef de la délégation togolaise fit valoir devant le Comité « que la torture était strictement interdite au Togo et que ce crime était imprescriptible, y compris lorsqu’il est commis par un militaire. » Les défenseurs actifs des droits de l’homme au Togo n’en croient pas leurs oreilles. En réalité, c’est ce que prévoit la Constitution. Mais entre les textes et la réalité, il y a un abime que la délégation togolaise a choisi de sauter allègrement.
Mais pire encore, on peut imaginer Mourane TAIROU, Alassani ISSAKA, Saibou MOUSSA, Sybou ALILOU, et Moutawakikou OURO-DJIFA, arbitrairement arrêtés en dehors de toute procédure judiciaire légale, le 26 janvier 2020 dans le cadre de l’affaire « Tiger Revolution » et décédés à la suite des tortures et mauvais traitements subis au Camp GIPN d’Agoè-Logopé, infligés par les sicaires du pouvoir, se retourner dans leur tombe à l’énoncé de tels mensonges et de l’aplomb avec lequel les autorités gouvernementales du Togo, bernent leurs partenaires et l’opinion publique.
Le constat de tant d’exactions permet de s’interroger sur la signification réelle du mot « moralisation » dans l’esprit du Chef de la délégation togolaise quand celui-ci indique au Comité, sans la moindre gêne, que « le corps des magistrats fait l’objet d’un vaste programme de moralisation dans le but de renforcer la spécialisation, l’indépendance de la justice et l’accès équitable à une justice de proximité. »
Mais il semble que le Togo reste dans ce domaine loin du compte, la justice togolaise paraissant persister à rester enfermée dans son confort, si l’on en croit l’appréciation portée le 23 juillet dernier par le journal Liberté : « Et lorsqu’on ose dresser un bilan sur la moralité de chaque magistrat pris individuellement, sur les actes qu’il a posés à son poste, lorsqu’on interroge la hiérarchie sur les leçons à tirer du laisser-aller qui s’est installé au sein de ce corps, il n’y a pas grand motif de fierté à en tirer », même si le quotidien fait la part des choses « Certes, des magistrats consciencieux et soucieux du droit, la justice togolaise en compte. Des juges qui s’efforcent de ne se laisser guider que par les faits et la déontologie du métier, on en trouve à profusion. ».
Force est donc de constater qu’au Togo, la dictature cinquantenaire a façonné à son service exclusif et à son avantage toutes les institutions de la République. Au même titre que l’on peut distinguer une partie républicaine et une partie non-républicaine au sein des Forces armées togolaises, la même remarque semble valoir pour la justice : « De la même façon, malheureusement, ceux des magistrats guidés d’abord par le gain facile, la torture morale et psychologique à infliger au justiciable, le souci de se réaliser vite et en un temps record, l’illusion de se considérer comme « puissants » ou « indispensables », sont nombreux au sein de la magistrature togolaise. Et ce dernier groupe n’a pas donné une bonne image de la justice togolaise. Tant et si souvent que des justiciables ont une perception médiocre de ce corps », en concluant : « Parmi les groupes hautement « corruptogènes », figurait en bonne place la justice. Du fait des magistrats véreux qui n’ont que trop longtemps écumé les tribunaux et occupé les postes qui requéraient probité, diligence, promptitude, humilité. »
On croit percevoir ici en filigrane, l’enfermement sur soi d’une institution de la république totalement coupée de la société togolaise et du monde réel, au détriment des droits des citoyens.
Que valent, en regard de cette réalité, les paroles mielleuses, soporifiques et peu crédibles prononcées par ministre des droits de l’homme, C. Trimua à l’adresse du Comité de droits de l’Homme ?
Lorsque par exemple la Haute autorité pour la prévention et la lutte contre la corruption et les infractions assimilées (HAPLUCIA), commet un rapport sur la perception de la corruption au sein de la population togolaise, duquel elle prend aussitôt ses distances et se démarque de ses propres conclusions, cela permet de pénétrer, un peu, les arcanes de la politique menée par Faure Gnassingbé et ses gouvernements, de comprendre leur duplicité en maintes circonstances.
Ainsi découle la même interrogation, suggérée par l’appréciation que porte la Présidente du Comité, Mme Photini Pazartzis, sur la véritable nature de la mission du Comité. Au-delà des nécessités imposées par le langage diplomatique de circonstance, il est en effet surprenant de l’entendre saluer « le dialogue productif, constructif et franc avec la délégation togolaise. » De se montrer impressionnée par le niveau de la délégation : « Il est rare de recevoir une délégation de si haut-niveau, composée de plusieurs ministres. Cela témoigne de l’engagement du Togo à mettre en œuvre le Pacte et à dialoguer avec le Comité », s’est-elle réjouie. Sauf que « dialoguer » n’a pas permis de libérer des innocents au Togo.
La réserve impose de ne pas incliner jusqu’à imaginer la duplicité. Mais il n’est pas assuré que les réserves émises par Mme Photini Pazartzis à son appréciation positive du haut-niveau de la délégation, « il reste encore des défis à relever dans divers domaines, touchant la lutte contre la corruption, l’indépendance de la justice, les droits des femmes ou encore la liberté d’expression », soient de nature à convaincre les togolais de la bonne foi de Faure Gnassingbé et sa délégation. Eux qui, depuis 54 ans subissent la férule d’une dictature dirigée par la même famille, Gnassingbé, de père en fils, vivent encore en ce 21ème siècle, sous la menace de la répression permanente. Malgré les belles paroles ils auront du mal à se convaincre que le Comité des droits de l’homme, au nom du droit d’ingérence lorsque des vies humaines sont menacées, nourrit la réelle intention de convaincre, par le dialogue, Faure Gnassingbé d’arrêter les exactions commises par son régime.
C’est justement la question de fond qui est posée aujourd’hui en regard de la situation du peuple du Togo.
ARRÊTER DE PALABRER, AGIR CONCRETEMENT AVEC UN SOUCI D’EFFICACITE
S’il convient d’être conscients des limites très étroites, voire parfois de l’impasse, des politiques droits de l’hommistes, il y a justement, au Togo comme partout dans le monde, des gens qui meurent tous les jours, en raison de ces faux-semblants et de ce langage diplomatique abusivement policé, qui conduisent la plupart du temps à l’inaction, permettent d’occulter la réalité, et ruinent les possibilités d’action concrète et efficace qui devrait permettre que les êtres humains puissent bénéficier les droits humains élémentaires, auxquels tout individu peut prétendre, au nom du strict respect des principes de la Déclaration Universelle des droits de l’homme
Si le constat formulé par le Comité « le Togo semble ne pas avoir pas éliminé « structurellement » la torture » est important et mérite d’être salué comme une avancée, il reste insuffisant. Partant du constat qu’il y a aujourd’hui au Togo des gens innocents, injustement et arbitrairement privés de liberté, qui souffrent dans leur chair, parfois jusqu’à en mourir et que cette réalité est la réalité du moment, il y a urgence à agir
Agir, par tous les moyens appropriés, c’est ce qu’attendent des millions de togolais.
Dans l’hypothèse où Mme Photini Pazartzis, connaitrait mal la réalité du Togo -ce dont il faut douter-, nous lui suggérons de méditer sur le fait que le pouvoir UNIR/RPT auquel elle a à faire, a initié en 16 ans pas moins de 28 dialogues politiques, dont, sans exception, aucun n’a abouti. Du fait justement du non-respect et du reniement, par le parti UNIR/RPT, par Faure Gnassingbé et ses différents gouvernements, de leur parole, voire même parfois de leur signature.
Ainsi les belles promesses qui lui ont été prodiguées à Genève du 29 juin au 1er juillet 2021, courent le risque d’être rapidement rangées dans la boite de pandore, façon togolaise, des promesses non tenues.
Sur la duplicité de Faure Gnassingbé et de son gouvernement le doute n’est pas permis pour les prisonniers-innocents.
Il semble utile de rappeler à Mme Photini Pazartzis, que dans une autre affaire judiciaire, dite du « complot contre la sûreté de l’Etat », le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire, a produit un rapport, début 2015, qui a demandé la libération sans condition, des trois détenus qui sont toujours maintenus en détention depuis 2009. Faut-il en conclure, que les Nations Unies sont impuissantes face à une dictature comme celle du Togo ?
Alors qu’elle connait dans les moindres détails la teneur de cette affaire, est-il possible à Mme Photini Pazartzis, de convaincre les togolais de la franchise et des intentions du gouvernement togolais, du « dialogue productif, constructif et franc avec la délégation togolaise », lorsque la délégation, a répondu à une question du Comité sur des allégations de torture sur la personne de Kpatcha Gnassingbé, en affirmant, les yeux dans les yeux qu’il n’aurait jamais été victime d’actes de torture. S’il est possible que Kpatcha n’ait pas été victime de tortures… cela ne semble pas être le cas de de ses co-accusés.
Les togolais seraient également heureux de connaitre les conclusions que tire l’ONU, de la menace à peine voilée formulée par la délégation du Togo « toute pression mise sur cette affaire ne joue pas en la faveur du prisonnier et ne favorise pas la prise d’une décision de grâce présidentielle, qui reste possible dans cette affaire ».
Il ressort de la session de Genève, qu’à part des palabres, aucune proposition concrète n’a été formulée par le gouvernement du Togo s’agissant de la dépendance du système judiciaire et de la Haute Autorité de l’audiovisuel et de la communication à l’égard du pouvoir exécutif. Pas davantage sur le règlement des cas de corruption des juges.
En se référant à l’actualité, aucun signe ne semble indiquer qu’après l’examen du cinquième rapport périodique du Togo devant le Comité des droits de l’homme de l’ONU, les autorités togolaises aient décidé d’appliquer des résolutions bienveillantes pour réformer en profondeur l’institution et parvenir à une administration de la justice, qui garantit réellement la protection des droits des citoyens. Ce n’est probablement pas cette fois encore, que l’on pourra parer la justice togolaise de cette vertu : « de toutes les sciences que l’homme peut et doit savoir, la principale, c’est la science de vivre de manière à faire le moins de mal et le plus de bien possible. Le premier art du monde est l’art de savoir éviter le mal et de produire le bien avec le moins d’efforts possibles ».
RECOMMANDATION EN GUISE DE CONCLUSION
L’heure n’est plus aux palabres, les citoyens et les justiciables togolais attendent des actes concrets, pour pouvoir, après tant et tant d’années de souffrances, enfin espérer subir moins de mal et recevoir le plus de bien possible.
Il est donc suggéré au Comité des droits de l’homme de l’ONU de franchir un pas supplémentaire dans son action pour tenter de faire respecter les droits humains au Togo, à savoir dépasser l’acquiescement sans vérification, des paroles enrobées de miel des autorités togolaises à son égard. Mais le fait que le Togo contribue aussi financièrement au fonctionnement de cette institution, peut expliquer cela ?
A ce titre, il est recommandé que le Comité ne se contente plus des assertions, souvent fausses, des délégations qui lui sont dépêchées par le gouvernement togolais, aussi hiérarchiquement relevées soient-elles. Selon le principe du transport de justice, le Comité devrait se rendre au Togo, sur le terrain, de manière impromptue, pour constater de visu et sans filtre déformant, la manière dont sont diligentées les instructions, assister aux audiences des tribunaux, vérifier les nombreuses allégations de torture et de mauvais traitements qui lui sont régulièrement adressées par les différentes organisations de défense des droits humains, du Togo ou de la diaspora. Ensuite, de rendre compte, sans fard ni précautions de langage, de la crue réalité. De la simple réalité, et de prendre des décisions contraignantes, autant que faire se peut dans le cadre de ses attributions.
Une ère nouvelle pourrait ainsi s’ouvrir qui permettrait enfin de commencer à soulager les multiples souffrances du peuple togolais. FF
François Fabregat
Directeur de la communication
Collectif pour la Vérité des Urnes – Togo-Diaspora
[email protected]
La CEET est connue par une gestion caotique, je m’ arrete la pour le moment.