Dans leur rubrique « Cité au quotidien » de cette semaine, les universitaires Roger Folikoue et Maryse Quashie parlent de la situation des Togolais. « Que pouvons-nous dire du bonheur des Togolais en ces derniers mois de 2021 ? », se demandent-ils. Bonne lecture.
Cité au quotidien
Pour Mieux Repartir…
C’était une pause car nous n’avons pas sacrifié à l’habitude des vacances, nous avons juste observé un temps d’arrêt durant le mois d’août. En effet, il le fallait : après presque trois années de chroniques hebdomadaires, et, dans le courant de 2021, une compilation, d’environ quatre-vingt d’entre elles, publiée dans un ouvrage intitulé « Penseurs dans la cité« , tout en continuant cependant à publier nos textes hebdomadaires, la pause était nécessaire.
Vous vous êtes inquiétés de notre silence, nous avons reçu vos nombreux messages à ce propos. Merci de nous dire par-là que vous êtes attachés à notre chronique, qu’elle joue un rôle important à vos yeux.
Nous reprenons donc cette tribune aujourd’hui, en partie à cause de votre demande mais surtout parce que nous ne pouvons pas arrêter d’écrire : les problèmes, les situations que nous évoquons n’ont guère disparu mais surtout la publication représente bien pour nous une des expressions de notre engagement de citoyens. En effet, la cité ne peut pas se construire sans l’intérêt des citoyens pour la vie de leur cité au quotidien et pour nous qui essayons de tenir notre place d’intellectuels, il est essentiel que nous donnions notre point de vue sur tous les aspects de la vie de notre cité, que nous entrions dans les différents débats concernant le vivre-ensemble, le bonheur de tous et de chacun.
C’est pourquoi, nous vous invitons à nous aider à ne pas laisser s’installer le silence :
- Au nom de tous ceux qui ont donné leur vie, connus et inconnus, enfants, femmes et hommes, graines tombées en terre pour que le Togo devienne notre pays,
- Au nom de tous ceux qui ont été ou sont encore privés de liberté dans les prisons togolaises parce qu’ils ont tenté de vivre pleinement en citoyens, semences privées de lumière,
- Au nom de tous ceux qui ont souffert dans leur chair, molestés et battus, blessés physiquement mais aussi atteints psychologiquement, pousses tordues par la violence de la répression,
- Au nom de tous ceux qui essaient coûte que coûte de parler, d’exprimer leurs points de vue malgré les divers obstacles qui sont mis sur leur chemin, floraison citoyenne étouffée avant d’arriver à son terme,
- Au nom de tous ceux qui sont tenaillés par la faim parce qu’ils font partie de la majorité qui dispose du peu de ressources laissées par la minorité qui s’accapare tout, tous ceux qui se lèvent le matin avec l’angoisse de ne pas trouver quoi donner à manger à leurs enfants, germes desséchés parce que privés du minimum,
Au nom de tous ces héros de l’extraordinaire, de tous ces héros du quotidien, ne laissons pas le silence recouvrir notre pays de sa toile opaque, chape porteuse de mort !
Alors aidez-nous en lisant cette tribune mais aussi en la diffusant, parlez-en !
Allez-plus loin encore, répandez-en le message autour de vous en français mais aussi dans nos langues. Et nous osons le dire, faites ce à quoi vous pensez ne pas être préparés : pensez à écrire votre tribune ! Faites-le parce nous, nous croyons en chacun de vous citoyens togolais, en votre capacité
- à analyser à l’aide de différents outils les situations auxquelles nous sommes confrontés,
- à débattre autour des questions qu’elles posent en acceptant la multiplicité des opinions,
- à formuler des propositions pour les dénouer pour le plus grand bien de tous.
Nous sommes convaincus, et vous aussi nous en sommes sûrs, de ce que proclament ces mots de Martin Luther KING : « Notre vie commence à s’arrêter le jour où nous gardons le silence sur les choses graves » .
Ces choses graves, en ce qui concerne le Togo et même l’Afrique, vous les connaissez : la pauvreté grandissante des citoyens, les systèmes de santé et d’éducation délabrés parce que gérés en dépit du bon sens, le chômage et le sous-emploi des millions de jeunes qui sont l’avenir de notre pays, mais surtout l’impossibilité de parler librement de ces choses graves sur la place publique, d’avoir recours à une justice qui dit en vérité le droit, de compter sur des forces de l’ordre au service de la sécurité de tous, de voir son bulletin pris en compte lors d’élections, bref l’impuissance à vivre pleinement les différents rôles du citoyen.
Ces choses graves, nous les avons évoquées maintes et maintes fois dans nos tribunes, mais nous allons les reprendre en cette fin d’année 2021. Mais d’abord un préalable : nous tiendrons toujours compte de l’actualité qui demeure prioritaire puisque c’est elle qui rythme notre vie quotidienne. Mais nous allons aussi creuser des thèmes transversaux et fondamentaux auxquels le citoyen doit s’intéresser, réfléchir dans le cadre de sa vie et de ses différents engagements. Nous pourrons aborder ces thèmes dans le cadre d’une ou plusieurs tribunes, cela dépendra du thème lui-même, mais aussi de vos réactions par le canal qui vous convient.
Nous allons commencer par LE BONHEUR.
Qui n’est pas préoccupé par le bonheur ? Pourtant il est bien difficile de le définir. La preuve en est que lorsqu’on demande à quelqu’un : es-tu heureux ? La réponse est « ça dépend ».
Et ce qui est sous-entendu c’est que ça dépend de la définition du bonheur qu’on prend… Le bonheur correspond donc plus à un vécu et même à un ressenti. Pourtant :
« On voit de plus en plus apparaître des classements sur une échelle que le libéralisme avec ses PIB et PNB, n’admettait guère avant parce qu’il n’était pas traduisible en données chiffrées : le bonheur ! Notons d’abord que ce sont les pays africains surtout, qui font mentir un indice comme le PIB : comment concilier le PIB du Gabon ou du Congo Brazzaville, avec la misère d’une grande partie des Gabonais ou des Congolais? Et pourquoi se réjouir des taux de croissance du Togo, quand ses habitants s’enfoncent jour après jour dans la pauvreté ? Le PND n’y changera rien, ce n’est d’ailleurs qu’un mythe, une vaine propagande après les SCAPE et DSRP.
Comment calculer alors le bonheur attendu par les citoyens ? Les promoteurs de l’indice du bonheur ont d’abord donné la réponse suivante à la question de savoir ce qu’est un pays heureux ; c’est un pays :
- où on vit en paix et en sécurité,
- où on vit en liberté et en démocratie, et où les droits de l’homme sont respectés,
- qui connaît une qualité de vie importante,
- où la recherche, la formation, l’information, la communication et la culture sont partagées par tous.
A partir de cette réponse, dix indicateurs ont été choisis et le classement se fait chaque année. En 2019, notre pays le Togo était classé 139ème pays parmi les 156 de la liste. » (Tribune du 6 septembre 2019, Faire partie des pays les plus heureux ou les plus endettés ?)
Alors que pouvons-nous dire du bonheur des Togolais en ces derniers mois de 2021 ?
Lomé, le 17 septembre 2021
Maryse Quashie et Roger E. Folikoué
Ici à Kpalimè, les gens ne cherchent même plus à être heureux. Ils veulent juste pouvoir manger !