L’usine Mèches Amina, spécialisée dans la fabrication de cheveux synthétiques, tourne au ralenti. Depuis un mois, les salariés sont en grève pour protester contre des fins de contrat et de réclamer de meilleurs conditions de travail. Après la fermeture de l’entreprise, pour retrouver leur emploi, les coréens (propriétaire de l’entreprise) exigent des travailleurs des lettres d’excuses. Une affaire qui suscite de vives réactions. Pendant ce temps, le gouvernement se mue dans une curieuse attitude.
Depuis plusieurs mois, les ouvriers de Amina Togo Sarl, communément appelée Mèche Amina expriment, à travers une cessation de travail, leur exaspération face à la dégradation des conditions de travail au sein de cette entreprise installée au Togo depuis plus de trois décennies. En effet, au début du mois de juin, l’Union des Syndicats des Travailleurs de la Zone Franche d’Exportation (USYNTRAZOFE) a rendu public une liste de revendications déposée sur la table des responsables de l’entreprise plusieurs semaines plus tôt et qui n’ont point été prises en considération.
Il s’agit notamment de « la régularisation de la situation contractuelle des travailleurs, la révision du mode de rémunération appliqué, en considération de la proposition des travailleurs par courrier en date du 18 septembre 2020 et la prise en compte des dispositions fixant les modalités des heures supplémentaires au Togo ». « Ce que nous vivons dans cette entreprise est d’une gravité extrême. Nous sommes traités comme des moins que rien. Les gens sont licenciés comme bon semble aux responsables de l’entreprise. Pourtant, nous vivons dans un Etat de droit. On dirait que Mèche Amina est au-dessus du code de travail en vigueur au Togo », nous avait confié un délégué du personnel.
En effet, plusieurs ouvriers de cette entreprise, dont certains totalisent plusieurs années de fonctions, auraient été licenciés pour des raisons fort étonnantes. Dans sa plateforme revendicative, le syndicat avait même demandé aux responsables de l’entreprise « la cessation des notifications verbales et brusques de fins et de ruptures de contrat ».
En outre, les salariés déploraient les cas d’accident de travail qui se multiplient dont le plus effrayant était la mort du jeune Mazama recruté en tant que magasinier et écrasé entre un ascenseur et un mur dans la nuit du 31 août 2020. Mais les choses n’ont pas évolué malgré la disponibilité des délégués à discuter.
Face à cette situation, les ouvriers ont décidé d’observer une grève de deux semaines sans service minimum. En représailles, l’entreprise décide de licencier plus de 2000 ouvriers sur rapport du chef personnel et de fermer ses portes jusqu’à nouvel ordre. « Les délégués sont venus avec une grève sans préavis. La direction ne peut pas accepter parce que bientôt la fin de l’année, on doit satisfaire nos clients. Nous sommes en train de perdre des marchés », a confié, André Komivi Amouzou, responsable des ressources humaines à Mèche Amina qui fait fit les revendications des syndicats.
Une lettre d’excuse pour réintégrer l’entreprise…
Pour réintégrer les ouvriers grévistes, l’entreprise a exigé d’eux de se mettre à genou et de demander pardon à la direction. Plusieurs ouvriers se sont exécutés. Un fait inédit dans le monde du travail qui a choqué au-delà des frontières du pays. « Scandaleux ! On n’est plus là dans un exercice normal entre employeur et salariés mais dans une relation de mépris caractérisé de la part d’un dépositaire de l’autorité. Une entreprise étrangère ne peut pas importer des pratiques avilissantes qui sont contraires à la culture et aux lois locales. J’invite les autorités togolaises à se saisir de cette grave situation qui choque les Togolais et à prendre rapidement des mesures vigoureuses pour les protéger dans leur dignité », a déclaré l’opposant Nathaniel Olympio.
Pour le militant des droits de l’homme André Kangni Afanou « le plus révoltant dans cette affaire de la société Amina, ce n’est pas seulement le fait que, depuis près de vingt (20) ans, cette société bénéficie d’énormes privilèges au détriment du bien-être de nos compatriotes qui y travaillent. Le plus révoltant, c’est cette fameuse lettre de demande de pardon à genou que les anciens employés sont censés rédiger avant de se faire embaucher à nouveau ». Pour ce défenseur de droits de l’homme, c’est plutôt la société Mèche Amina qui doit présenter ses excuses à la nation togolaise. « Il me semble que tous les leaders d’opinion de notre pays doivent se lever pour que ce soit plutôt la Direction de la société Amina qui présente des excuses à la nation togolaise ».
Le silence méprisant du gouvernement
Il faut dire que dans un pays où le taux de chômage cumulé au sous-emploi avoisine les 30% selon les chiffres officiels, la peur de perdre son emploi et de se retrouver dans une misère aggravée hante des milliers de jeunes. Ils sont donc prêts à tout pour garder leur emploi précaire. Conscientes de cette situation, certaines entreprises de la zone franche profitent de cette vulnérabilité pour faire subir les pires humiliations à leurs employés en toute violation du code du travail.
Les tentatives d’opposition des syndications n’y changent rien. Et pour cause, ces entreprises semblent bénéficier d’un certain privilège à eux octroyé par les autorités du pays, incapables eux même d’offrir des emplois dignes à leurs concitoyens. « Nous savons que beaucoup de nos concitoyens sont confrontés à des difficultés. Et si un membre d’une famille devrait se confronter au chômage et à l’inactivité, cela ne peut qu’aggraver la situation sociale », a affirmé Gilbert Bawara, Ministre du travail et du dialogue social au micro des confrères de Tv5 Afrique. Ainsi, à comprendre le Ministre, au nom de la préservation des emplois, une entreprise peut faire subir les sévices les plus indignes aux togolais sans que le gouvernement ne lève la voix. Il nous revient que l’entretien entre le ministre et les représentants des employés n’aurait duré qu’à peu près deux minutes. Et le représentant du gouvernement leur aurait demandé d’aller démissionner et le gouvernement verra quoi faire.
Dans tous les cas, cette affaire qui continue de défrayer la chronique a montré, encore une fois, qu’au Togo, les citoyens ne bénéficient d’aucune considération de la part de leurs dirigeants quant à leur droit même les plus élémentaires.
Source : Fraternité