Togo-Interview/Pierrot K. AKAKPOVI, PDG de LOFTY FARM, Président du CIFP-Togo et de PANEPAT-Togo : « Le bon tilapia au Togo, c’est à NANGBETO »

Le gouvernement togolais a interdit depuis quelques années l’importation du tilapia dans le pays. Une opportunité donnée aux producteurs nationaux de booster le secteur. Un Togolais a saisi cette occasion pour faire de l’élevage du tilapia une activité industrielle sur le lac Nangbéto et permettre à la population togolaise de manger du poisson (tilapia) bio. Pierrot Kokou Akakpovi, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est Président Directeur Général de Lofty Farm (qui produit du tilapia bio), installé à Nangbéto, Président du Conseil interprofessionnel de la filière poisson au Togo (CIFP-Togo) et de la Plateforme des acteurs non étatiques de la pêche et de l’aquaculture- Togo (PANEPAT-Togo). Il relate dans cette interview le processus de production de tilapia et pourquoi il faut abandonner les tilapias importés pour manger ceux du Togo. Lecture !

Bonjour Monsieur Pierrot AKAKPOVI. Présentez-nous LOFTY FARM.

LOFTY FARM est une entreprise d’élevage de poisson, le tilapia notamment, de production d’alevin et de provende (aliments pour poisson, Ndlr) créée en août 2016, au retour d’un voyage à Accra au Ghana. Par curiosité, j’ai visité une ferme d’élevage et à la sortie, j’étais convaincu que je venais de découvrir ma vocation.

LOFTY FARM a commencé ses activités dans l’enceinte de l’hôtel NOVELA STAR à Lomé. En janvier 2017, nous avons installé nos premières cages en bambou à KPESSI sur le Lac Togo, cette aventure a duré jusqu’en août 2018. D’énormes difficultés liées à l’instabilité de la qualité de l’eau, à la profondeur du lac, au vol et au saccage des installations nous ont poussés à explorer d’autres plans d’eau pour continuer notre activité, d’où le choix du site de NANGBETO qui nous a paru plus propice pour la pisciculture.

LOFTY FARM, c’est aussi, en termes d’investissement, 31 200 m3 de capacité pour le grossissement et 8 870 m3 pour l’écloserie et l’alevinage repartis entre les deux sites d’AVEPOZO (7 200 m3) et de NANGBETO (36 470), soit au total 43 670 m3. Dans les détails, nous avons douze (12) cages de 2 200 m3 (26 400 m3), vingt-quatre (24) cages de 400 m3 (4 800), vingt (20) cages pour juvéniles (square cage) de 180 m3 (3 600), vingt-deux (22) bassins de 35 m3 (770 m3), cinq (05) bassins de 180 m3 (900 m3) et trente (30) bassins de 240 m3 (7 200 m3).

Pourquoi avoir choisi la pisciculture alors que vous étiez connu comme une référence dans le transit ?

D’abord, il faut savoir que je suis un riverain du MONO, j’ai donc quelque part en moi un lien naturel avec les poissons ; du moins le métier de la pêche est pour moi un mode de vie. Chasser le naturel, il revient au galop. Aujourd’hui, je me rends compte que le métier de transit est pour moi en quelque sorte mon « Chemin de Damas ». Vous connaissez certainement ce passage des évangiles, je suis un converti.

Dites-nous, pourquoi le tilapia et pas une autre espèce de poisson ?

Le tilapia et le clarias sont, à l’heure actuelle, les deux seules espèces dont on maîtrise l’élevage. Nous n’avons pas opté pour le clarias tout simplement parce que c’est un poisson tabou chez nous. Le tilapia est communément connu chez nous sous l’appellation « akpavi » et consommé partout sur le territoire national. Nous avons d’autres espèces locales comme le silure blanc appelé « blolo » qu’on essaie d’élever à petite échelle. Mais nous ne sommes pas encore arrivés à produire des alevins pour un élevage à l’échelle commerciale.

Quelle est la qualité de poisson produite à LOFTY FARM ?

Nos poissons sont bios simplement parce que nous ici à NANGBETO, on n’utilise pas d’additifs (produits chimiques, Ndlr). Pour nourrir nos poissons, nous leur donnons du soja et du maïs accompagnés de certains produits dont les tourteaux de riz. Dans presque toutes les écloseries du monde, les gens utilisent des hormones pour monosexer le sexe des poissons, c’est-à-dire les rendre stériles, pour qu’ils ne se reproduisent pas dans les cages. Nous ici, nous nous sommes fait interdiction formelle d’utiliser ça. Les alevins grandissent directement sans hormone et par après, on les envoie pour le pré-grossissement, puis le grossissement. Cela fait qu’à la pêche, nous avons au moins 5 à 7 % de petits poissons appelés rejetés. Ce ne sont pas directement nos poissons qu’on a mis dans les cages, mais ce sont les petits poissons engendrés par les larves que nos poissons ont données dans les cages à l’accouplement. Quand vous voyez de ces rejetés, cela veut dire que le poisson a été élevé bio. Le bon tilapia au Togo, c’est à NANGBETO.

…Et en comparaison avec le tilapia chinois ?

A LOFTY FARM, nos poissons suivent le processus naturel jusqu’au délai de huit (08) à neuf (09) mois avant d’être marchands et donc récoltés (…) Le chinois, lui, ne fait même pas la moitié de notre temps de grossissement, c’est-à-dire quatre (04) mois ; à peine il en fait le tiers, allez-y comprendre.

Quelles sont les différentes étapes de la production ?

Il faut dissocier les trois chaînes de valeurs : provende, alevin et chargement des cages, pêche, conservation et distribution/vente. On peut faire l’une sans nécessairement s’occuper des deux autres ; mais à LOFTY FARM, nous avons opté intégrer les trois domaines : l’écloserie pour produire les alevins, le grossissement pour produire des poissons à taille marchande et la production d’aliment pour nourrir le poisson.

L’écloserie, c’est un dispositif naturel ou de laboratoire qui permet de croiser des géniteurs (mâles et femelles) pour donner naissance à des larves. On récolte ces larves qu’on stocke dans des bassins, traite durant une vingtaine de jours (21 jours pour être plus précis) pour obtenir des alevins de 0.3 grammes. L’alevin prend trois autres semaines pour atteindre 1 à 2 grammes, toujours dans les bacs hors sol.

Le pré-grossissement : à cette étape, les alevins de 1 à 2 grammes sont transférés dans des cages encore pour six semaines pour obtenir des alevins de 5 à 10 grammes (PMI 7 à 8 grammes).

Le grossissement : de 5 à 10 grammes, les alevins sont envoyés dans des cages pour une autre durée de six mois.

Nos poissons sont récoltés après six mois à 60 % de taille allant de 500 à 800 grammes et plus, 20% de 200 à 400 grammes, 10% en rejets et les 10% en perte.

Quant aux aliments, ils sont produits en fonction de la taille des poissons et sont exprimés en millimètre, et chaque fabricant à ses propres mesures. Lorsque vous décidez d’utiliser les aliments d’un fabricant donné, vous devez vous munir de sa table de nourrissage et vous y trouvez respectivement la taille des aliments, celle des poissons et les conditions de températures correspondantes. Dans notre cas, nous utilisons une combinaison d’aliments produits LOFTY à 60%  et 40% d’importés.

L’une de nos dernières innovations, c’est l’élevage des asticots qu’on mélange aux aliments pour booster le taux de protéines. Cette technique est une initiative du CERSA (Centre d’excellence régional sur les sciences aviaires, Ndlr) qui n’a ménagé aucun effort pour nous former et installer l’équipement. Sur toute la chaine, vous vous rendrez compte que nos aliments sont d’origine naturelle.

Quels sont les facteurs de croissance ?

Les poissons doivent être élevés dans des conditions d’eau favorables. Surtout pour le tilapia, il faut un plan d’eau profond bien oxygéné et stable (fertile). 

Quelle est la capacité de production journalière et mensuelle moyenne de tilapia à LOFTY FARM ?

Nous sommes entre une (01) à deux (02) tonnes de récolte de poisson marchand par jour.Pour plus de détails, je vous renvoie aux tableaux suivants.

Tableau de production d’alevins

PériodeDélai (mois)Production annuelle (effectif)Production mensuelle (effectif)
2017 à 201818900 00050 000
2019125 817 215487 800
2020129 492 820791 100
2021 (1er semestre)6183 17431 000
TOTAL 16 393 209 

Tableau de production de poisson à taille marchande

PériodeDélai (mois)Production annuelle (tonne)Production mensuelle (tonne)
201912                              742  62
202012                                       500  42
2021 (1er semestre)6                                    306,2  25.5
TOTAL                                 1 548,2    

Ce projet gigantesque doit nécessiter beaucoup de ressources financières et humaines. Peut-on en avoir une idée?

Sur le site d’AVEPOZO, nous avons cinquante-cinq (55) employés à raison de vingt-cinq (25) permanents et trente (30) temporaires. A NANGBETO, ils font cent vingt (120) agents à raison de quatre-vingts (80) permanents et quarante (40) temporaires. On se retrouve donc avec un personnel de cent cinq (105) permanents et soixante-dix (70) temporaires, pour un total global de cent soixante-quinze (175) personnes.

C’est le lieu de saluer les institutions financières de la place, le MIFA (Mécanisme incitatif de financement agricole, Ndlr), notre consolidateur auprès de la BOA et d’ORABANK, l’UTB notamment pour son courage à se jeter à l’eau « sans avoir peur du caïman pour sauver le naufragé LOFTY FARM », la SIAB, etc. Je profite de l’occasion pour lancer un appel à soutien à l’endroit des autres banques.

Décrivez-nous une journée de Pierrot AKAKPOVI à LOFTY FARM.

Mon rôle consiste essentiellement à la supervision des activités sur le site. Ma journée commence le matin aux environs de 9 h par des visites sur les bassins, dans l’usine et plus tard par une inspection des installations sur le lac. Il consiste également à recevoir les visiteurs ou à les accompagner pour leur faire découvrir le site.

Avez-vous suffisamment de débouchés et parvenez-vous à vendre toutes vos productions ?

Nous avons un partenariat avec la société FFF qui s’occupe, pour l’essentiel, de la transformation et de distribution de notre production. Nous avons aussi une clientèle non négligeable à travers les mareyeuses du Ghana, du Bénin et de certaines zones urbaines comme Atakpamé, Lomé et Aného. Les restaurants et certains particuliers constituent également une clientèle particulière qui recherche surtout du poisson de taille importante (500 grammes et plus).

Qu’est-ce qui différencie LOFTY FARM des autres pisciculteurs ?

Ce qui différencie LOFTY FARM des autres pisciculteurs, c’est la taille. LOFTY FARM est une entreprise à taille industrielle. Nous sommes la seule entité piscicole à utiliser des cages industrielles à grandes dimensions. Nous avons nos propres unités de production d’alevins et d’aliment pour poisson, d’équipement, de traitement, de conservation et de stockage des poissons, en partenariat avec la société FFF.

LOFTY représente près de 64% de la production piscicole nationale et 3% de la production halieutique nationale. Nos poissons sont bios, sans utilisation de produits chimiques ou d’additifs. Notre partenaire FFF utilise la technique de surgélation à sec, c’est-à-dire 100% poisson, contrairement aux pratiques des importés qui utilisent en surgélation au moins 30% d’eau et 70% poisson. Au niveau du goût, nos poissons ont une saveur naturelle et succulente. D’où la supériorité de la qualité de nos produits par rapport à ceux importés. En termes de qualité/coût, nous sommes moins-disant.

Revenez-nous justement sur la part de LOFTY FARM dans la production nationale ?

Je vous renvoie au tableau ci-après donnant un aperçu de la part de LOFTY FARM dans la production halieutique nationale de 2019 à 2020 (tonnes).

Production20192020
Production halieutique nationale de 2019 à 2020 (tonnes)26 52618 658
Pisciculture1 000730
Part de la production piscicole dans la demande totale4%4%
Production LOFTY FARM742500
Part LOFTY FRAM (% production piscicole)74%68%
Part LOFTY FRAM (% production nationale)3%3%

La production nationale arrive-t-elle à combler les besoins ?

Les chiffres du tableau ci-dessus illustrent clairement que la production piscicole ne peut combler qu’une part très insignifiante (4%) de la demande totale de produits halieutiques.  

Quelles sont les difficultés majeures rencontrées ?

La première est relative à la non-professionnalisation des acteurs. Ensuite il y a la faiblesse de l’assistance technique et financière. L’autre non négligeable, c’est la concurrence du poisson chinois.

Parlant justement du tilapia chinois qui fait la concurrence au local, comment parvenez-vous à surmonter ce problème ?

On compte coopérer avec les autorités compétentes, les services douaniers et de police pour protéger le marché. Nous disposons déjà d’un arsenal juridique, notamment l’arrêté interministériel n°0069/18/MAEP/MCPSP du 18 avril 2018 portant interdiction provisoire d’importation de tilapia au Togo.

Concrètement, qu’est-ce qui différencie le tilapia de LOFTY FARM du tilapia chinois?

C’est l’occasion de le dire, il y a une véritable concurrence déloyale du tilapia chinois au local. Quand on présente les deux, par rapport au coût, les gens se disent que le chinois est moins-disant. Mais lorsqu’on rentre dans les détails, ce que fait le Chinois ne respecte pas du tout les normes. Quand le Chinois surgèle son poisson qu’il envoie ici (au Togo, Ndlr), il fait au moins 30 % de gel d’eau et 70 % de poisson. Des gens nous ont proposé ça ici, disant que c’est comme ça qu’on peut gagner de l’argent, mais on a dit non. Nous à LOFTY FARM, on ne surgèle que le poisson à 100 % poisson.

Quand les gens voient ce que le Chinois envoie, ils sont étonnés que son carton (de 10 kg, Ndlr) soit vendu à 15 000 F et que le nôtre soit à 20 000 F. Ils préfèrent le chinois, mais en fin de compte, lorsqu’on fait les calculs, en réalité nous on est d’abord moins-disant sur le prix parce que  de 10 kg du tilapia chinois, on se retrouve à 7 kg après décongélation. En termes de qualité, nous sommes encore mieux-disant parce que ce sont des poissons vivants qu’on prend ici, met en surgélation et le lendemain ou le surlendemain, c’est déjà sur le marché. Le chinois fait quatre-vingts (90) jours avant d’arriver ici, puis passe au stockage. Certes, les règles de surgélation disent qu’on peut conserver pendant vingt-quatre (24) mois. Mais quand nous, nous surgelons sans additif et envoyons sur le marché directement, le tilapia chinois passe banalement six (06) mois avant d’arriver dans l’assiette du consommateur. Vous-mêmes vous voyez la différence.

Le Chinois systématiquement triche, ce que nos consommateurs ne perçoivent pas pour le moment. Certains oui, mais la grande partie continue à croire qu’il est moins-disant. Et en plus, son poisson rend malade ; allez-y voir ce qu’ils prennent pour le conserver. Le produit qui reste sur le poisson, pour qu’à la surgélation ça puisse garder les 30 % en sus d’eau, c’est du gel. Lorsqu’on fait les calculs, en réalité, les poissons de LOFTY FARM sont moins-disant; le kilo de notre poisson est en réalité de 2000 F alors que celui du tilapia chinois est de 2143 F (voir tableaux ci-après). En réalité, le Chinois dupe le consommateur avec son tilapia. En plus de tout ça, nous, nos poissons sont bios.

TILAPIA LOFTY FARMTILAPIA CHINOIS
SurgeléDégeléSurgeléDégelé
10 Kg10 Kg10 Kg7 Kg
TILAPIA LOFTY FARMTILAPIA CHINOIS
Prix apparent (par Kg)Coût réel (par Kg)Prix apparent (par Kg)Coût réel (par Kg)
2000 F2000 F1500 F2143 F

La pandémie de la Covid-19 a affecté tous les secteurs d’activités. Est-ce que LOFTY FARM aussi a été touchée ?

Bien évidemment ! La crise sanitaire a entrainé une diminution de notre production d’alevins à cause du non-changement de nos souches qu’on devrait importer, au vu des nombreuses mesures restrictives prises au début. Du coup, cela a engendré la diminution de la production de poissons marchands. Il y a également eu manque de matières premières pour la fabrication de la provende, le maïs et le soja notamment. L’autre impact non négligeable, c’est la mévente de nos poissons liée à la faiblesse du pouvoir d’achat des consommateurs qui s’est davantage érodé depuis le début de la pandémie. 

Quels sont les défis et perspectives de LOFTY FARM ?

Nous voudrions atteindre trois tonnes de poisson par jour à très court terme, cinq tonnes à moyen terme et 10 tonnes à longs termes. Nous ambitionnons également d’approvisionner tout le marché national et ceux de la sous-région.

On vous sait également dans le social. Quelles sont vos différentes actions et réalisations dans ce cadre ?

J’aime être discret sur l’aide que j’apporte modestement et humblement aux autres. Mais puisque vous insistez, j’évoquerai la construction de forage pour les riverains de la ferme, d’un bâtiment de quatre (04) classes et d’une (01) direction pour le CEG de NANGBETO, de même que la couverture de deux (02) blocs de classes pour l’établissement, le paiement des salaires de certains enseignants depuis le début de la pandémie de Covid-19, l’appui financier aux enseignants et aux élèves méritants de la promotion 2020–2021, le soutien aux activités agricoles (apports d’intrants et financiers) pour la production de maïs et de soja, la mise en place d’un marché de proximité pour les producteurs, entre autres.

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