Ce n’est certainement qu’un secret de polichinelle. Au Togo, les journalistes sont régulièrement pris quasiment en ennemis par les officiels du pays. Les cas illustratifs de ce fait sont légion et il n’est pas dans mon intention ici d’y revenir.
Seulement je voudrais prendre appui sur une observation d’une organisation neutre comme Amnesty International pour tisser le fil de ma démonstration du rôle qui fonde la légitimité d’un journaliste dans une organisation sociale, dans un État, dans une République…
« La loi relative au code de la presse et de la communication adoptée en janvier 2020, permettait d’infliger de lourdes amendes aux journalistes pour outrage au président de la République, aux parlementaires et aux membres du gouvernement ».
C’est en substance, ce qui est amplement écrit de façon saillante sur le site de cette organisation lu et apprécié de par le monde.
Du coup l’on a envie de rentrer dans la psychologie d’un citoyen allemand, italien, belge, américain ou français où très régulièrement, le Président Emmanuel Macron par exemple, est traité de ” bête “, ” d’intelligent”, de “voyou”, bref de tous les noms d’oiseaux de mauvaise augure dans des médias, même officiels, sans que la République ne cesse de fonctionner, sans que cela n’offusque outre mesure, ce dernier.
Que va donc se dire un tel citoyen du niveau de réflexion, de la perception ou même de l’image que l’officiel de mon pays a pour un journaliste lorsqu’il lit une telle disposition sur le site d’une organisation internationale aussi crédible ?
Il ne sera naturellement pas aisé de trouver une réponse satisfaisante à une telle interrogation mais, en tout état de cause, et puisque le contexte s’y prête, c’est avec empressement et plaisir que j’aimerais rappeler des principes tout simples qui permettent le Vivre Ensemble et la culture du Bien Commun dans une société, à partir desquels, se dégage naturellement, le rôle qui légitime l’existence d’un journaliste dans une démocratie.
En effet, nous l’expérimentons tous, la société n’a de raison d’être qu’à travers l’interéchange d’idées, de pensées, de paroles…donc d’informations.
En d’autres termes, seule la communication interpersonnelle à partir de l’information permet de mettre deux, trois ou plusieurs personnes ensemble, de sorte qu’elles puissent nourrir, légitimement des ambitions ou des projets qui visent leurs intérêts communs et leur meilleur devenir collectif.
Alors plus les personnes deviennent nombreuses et dans un espace plus étendu, moins la parole directe est opérante, ce qui nécessite par conséquent, le recours à des moyens plus performants pouvant aider à ce partage de l’information qui est avant tout, la denrée essentielle alimentant l’esprit humain, et déterminant par ailleurs, la position et l’action de chaque individu dans la société.
Dit autrement, la capacité d’action et de contribution de chaque citoyen dans une société dépend de son niveau d’information sur les réalités qui l’entourent, sur ses droits et devoirs et sur les attentes des siens vis-à-vis de lui.
C’est précisément devant cette exigence d’outiller les citoyens des informations utiles pour leur vie et pour la vie du collectif, qu’est né le besoin de créer des médias qui servent de raccourcis à cette cause et le journaliste, dans une société organisée, joue trois rôles majeurs:
- Primo, rendre compte à la masse, par son canal, de ce qui se fait en son nom et pour son compte par les gouvernants, principalement en lien avec le Bien Commun. Logiquement, de ce point de vue, le journaliste devrait être le premier allié du gouvernant, car les deux sont supposés œuvrer pour la même cause, le bien du peuple, son intérêt et son Vivre Ensemble. A ce niveau justement, il importe de rappeler que tout dirigeant n’a de raison d’être que s’il s’active véritablement rien que pour préserver la cohésion sociale à partir de laquelle, les principes du Vivre Ensemble et de la culture du Bien Commun sont promus.
- Secondo, remonter aux gouvernants, le pouls réel du terrain, les réalités du peuple afin d’attirer leur attention sur les aspirations profondes de celui-ci de sorte qu’ils ajustent, au besoin, leurs actions, toujours dans ce but ultime de préserver le Vivre Ensemble et de promouvoir le Bien Commun.
- Tertio, servir de sentinelle qui rappelle aux uns et aux autres, les règles qui permettent le Vivre Ensemble et la promotion du Bien Commun. En d’autres termes, le journaliste, à ce niveau, fait figure mémoire du peuple et exhume par sa plume et ses reportages, les éléments qui rappellent à tous, les principes cardinaux régissant la vie collective ainsi que les intérêts communs qui doivent à tout prix être sauvegardés et promus.
Mais en réalité d’où vient souvent la pomme de discorde qui amène les dirigeants et les journalistes à se regarder finalement en chien de faïence?
D’une part, par moment, le journaliste qui ne dispose pas de moyens adéquats pour exercer son métier dans les règles de l’art, peut ne pas maitriser tous les sujets, mais le besoin de servir obligeant, il suppute, suppose ou devine certains faits, ce qui est une vraie faute qui, le plus souvent, est conséquemment punie par la loi.
Mais pour l’essentiel, le désaccord vient lorsque les dirigeants torpillent les règles du Vivre Ensemble et compromettent par le même coup, celles qui promeuvent le Bien Commun. Ce qui, en réalité, est une vraie trahison du sacerdoce qui régit la fonction des dirigeants vis-à-vis de leurs peuples.
Ainsi, ne veulant pas que ceci soit su de la masse qui a le droit de leur demander des comptes, alors le journaliste qui en parle est injustement pris en ennemi par ces dirigeants. Voilà pourquoi souvent, les journalistes d’investigation courent autant le risque de perdre leur vie dans l’exercice de leur profession.
Mais tout compte fait, tout le monde conviendra volontiers qu’il est une vraie absurdité que de clochardiser un journaliste dans une société et pire encore, d’établir un bras de fer avec lui, juste dans le but mesquin de l’empêcher de rendre compte des manquements et ratés des dirigeants par rapport à cette mission sacerdotale qui est la leur de travailler inlassablement pour promouvoir les deux principes sus évoqués, à savoir le Vivre Ensemble et la culture du Bien Commun.
Les dirigeants du monde qui ont souvent une pleine conscience de leur devoir de redevabilité vis-à-vis de leurs peuples, ont toujours fait des journalistes, de véritables alliés, que ceux-ci les encensent où les critiquent, car les deux attitudes participent de la même cause.
Luc Abaki