Lentement mais sûrement, les terroristes gagnent du terrain au Togo. De la bavure suivie du mea culpa des Forces Armées à la mobilisation des troupes par Faure Gnassingbé, les Togolais entrent désormais dans une zone de turbulence dont la porte de sortie ne semble guère plus dépendre uniquement de l’action de l’armée. Populations et autorités doivent conjuguer leurs forces et y mettre du leur. Mais comment ? Il faudra, pour y réussir et s’il veut se faire écouter jusqu’au trognon, que le pouvoir repense sa stratégie de gouvernance.
Il est loin le temps où les Togolais écoutaient évasivement sur les ondes et regardaient à l’écran les informations faisant étant des attaques terroristes dont les pays voisins sont frappés. Depuis un moment, leur pays est à son tour touché. Ils ne peuvent que se rendre à la triste évidence. Après l’attaque dans la nuit du 10 au 11 mai dernier du poste militaire à Kpekpakandi vers la frontière avec le Burkina Faso, il y en a eu une autre, survenue cette fois dans la nuit du 9 au 10 juillet. Cette attaque a coûté la vie à sept (7) enfants à Margba dans le canton de Natigou au nord-est de la préfecture de Tône dans la Région des Savanes. Si dans la foulée du drame, les réactions entendues ici et là ont laissé penser à une attaque terroriste en règle, les Forces Armées Togolaises (FAT) ont fait le point de la situation le 14 juillet dernier, après une enquête de leur cru. De cette dernière, il ressort que cette perte en vies humaines est due à un un aéronef en patrouille nocturne qui s’est mépris sur l’identité des enfants, confondus avec des « djihadistes en mouvement ».
« Ce drame est survenu sur fond de renseignements concordants faisant état de menaces d’infiltrations de bandes armées désireuses de mener des attaques terroristes contre des localités dans la zone au nord de Dapaong. Face à l’imminence du danger, et déterminé à parer à toute action hostile pouvant mettre en péril les populations, le commandement de l’Opération Koundjoaré a renforcé la surveillance et le contrôle terrestres et aériens de la zone indiquée. C’est au cours de ces opérations qu’un aéronef en patrouille nocturne a pris malencontreusement pour cible un groupe de personnes qu’il a confondu à une colonne de djihadistes en mouvement », lit-on dans le communiqué signé Dadja Maganawe, Chef d’état-major des FAT.
Quelle sanction pour les coupables ?
Cette sortie des FAT vient ainsi ôter le flou qui planait jusque-là dans une opinion où les spéculations allaient bon train, et où chacun y allait de son interprétation. Autant on ne peut qualifier cette intervention autrement qu’une bavure – chose fort condamnable en soi –, autant on peut saluer la prestesse avec laquelle, pour une fois, les autorités militaires ont fait aboutir une enquête dont beaucoup n’ont pas donné cher, à voir comment les enquêtes ouvertes finissent au pays. Chapeau bas donc à la grande muette. Mais une fois l’acceptation de la contrition passée, quel sort sera celui des coupables ayant envoyé ad patres ces innocents ? Il ne suffit pas, comme l’avait fait le gouvernement, de dépêcher sur place une délégation ministérielle chargée de porter son message de compassion aux familles et à l’ensemble de la communauté, il faut surtout situer les responsabilités, et appliquer des sanctions aux fauteurs de la bavure. N’en rien faire c’est faire insulte à la mémoire des victimes et consacrer par là même l’impunité qui a toujours caractérisé les treillis kaki souvent exonérés de toute sanction.
Mais cette fausse alerte soldée par mort d’homme témoigne, à bien des égards,du climat anxiogène qui plane telle une chape de plomb dans unerégion des Savanes devenue un terrain d’exercice des fous d’Allah, depuis l’attaque qui a ciblé le poste de sécurité de Kpekpakandi (dans le canton de Kandjouaré à la frontière avec le Burkina Faso) dans la nuit du 10 au 11 mai et qui a fait tuer 8 soldats togolais et en a blessé 13 autres. C’est peu dire qu’il y a péril en la demeure, et que gouvernement et population doivent collaborer. Les familles n’ont pas fini de faire leur deuil de leurs chers disparus, que dans la nuit du 14 au 15 juillet, le jour même où l’armée battait sa coulpe, des groupes terroristes ont perpétré une nouvelle attaque dans deux localités dans la Préfecture de Kpendjal, à Blamonga dans le canton de Koundjoaré et à Kpemboli dans le canton de Pogno. On parle de plus d’une vingtaine de morts, si l’on en croit les sources sécuritaires selon les premières informations. Le véhicule du chef de brigade de Mandouri aurait sauté sur un engin explosif en se rendant à Blamonga. Lui et plusieurs de ses hommes auraient été transportés au centre hospitalier de Dapaong.
Le chef de l’État togolais était à ce moment en déplacement dans la région de Kara, voisine méridionale de la région des Savanes. Faure Gnassingbé assistait avec une partie du gouvernement au rendez-vous annuel des luttes traditionnelles en pays Kabyè. Il a effectué une visite sur zone où il a échangé avec les familles endeuillées et les forces de l’ordre présentes dans la région des Savanes.
Repenser la relation pouvoir-populations
Avec ces derniers événements, on se demande si le Togo n’est pas en train de basculer dans le flot des malheurs réservés à ceux que les djihadjistes ont du mal à voir en peinture ? Le modus operandi et les pièces du puzzle telles qu’avancées par les terroristes le laissent penser. Point n’est besoin de rappeler qu’on est prévenus et l’État togolais se doit de travailler à ne pas laisser le ver anarchiste pourrir dans le fruit. Plutôt que de croire qu’il a les cartes en main, il doit revoir sa politique de lutte contre ce fléau face auquel tout le monde se trouve maintenant plus engagé que jamais, et encore à marche forcée. Faire cavalier seul sera soldé par un échec sans appel, puisque c’est dans la mésentente que les terroristes trouvent de l’aliment à leurs fureurs. Et confier cette guerre à des militaires et à eux seul est suicidaire, car comme l’affirmait Georges Clemenceau en son temps, « la guerre, c’est une chose trop grave pour la confier à des militaires ». Une chose est de décréter l’état d’urgence sécuritaire, une autre en est de réussir à fédérer tous les Togolais de façon à leur faire comprendre qu’ils n’ont désormais qu’un seul et même ennemi : le terrorisme.
« Donner aux services compétents, l’ensemble des outils nécessaires à la conduite des actions visant à protéger les populations », rien de tel, et quoi de mieux que de « créer l’environnement et les conditions propices aux mesures administratives et opérationnelles, nécessaires au bon déroulement des opérations militaires et au maintien de l’ordre et de la sécurité » ? Cette ambition, au demeurant louable, ne portera ses fruits que lorsque l’exécutif aura résolu l’équation jamais réussie du climat sociopolitique délétère qui a clivé la nation. Faure et son équipe jouent gros jeu en demandant une franche collaboration des populations qu’ils n’ont toujours pas réussi à rassurer par une gouvernance résolument inclusive. On ne gagne pas la confiance des gens en les étouffant ou en voyant la politique là où il y a une envie de manifester pour réclamer plus de liberté et de liberté pour les détenus politiques, car ce sont là des faux pas dont excipient justement les anges du mal.
Au reste, Faure Gnassingbé peut toujours s’appuyer sur des conseils comme ceux égrenés par Mahamat Saleh Annadif le 7 juillet dernier. Pour le Représentant spécial du Secrétaire général de l’Organisation des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel, vaincre l’extrémisme violent « passe nécessairement par une gouvernance démocratique et responsable, y compris la mise en place d’administrations décentralisées qui apportent des solutions au quotidien des populations, dans le respect du contrat social de participation et d’obligations mutuelles entre le gouvernement et les citoyens ». Il sait à quoi s’en tenir.
Sodoli KOUDOAGBO
Source : Lecorrecteur.info