Le Togo a connu ce weekend une explosion qui a fait 7 morts au nord du pays, dans une zone à laquelle la lutte contre le terrorisme a imposé un état d’urgence sécuritaire. Le Journal togolais “Liberté” a exprimé ses doutes sur le traitement opaque de l’événement et a été convoqué par la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (Haac).
Tribune.
La Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (Haac) a convoqué “Liberté”, le plus important quotidien privé du pays. Et pour cause, dans sa parution de ce lundi, le journal a émis des doutes sur une explosion ayant entrainé le décès de sept enfants et de deux blessés et surtout, ayant fait objet d’un traitement à la fois trop aléatoire et suffisamment flou en termes de communication par la hiérarchie militaire.
D’abord, à la place du Procureur de la République du tribunal de Dapaong, chef-lieu de la préfecture du Tone, ou du chef de la région militaire du nord, ou, à défaut des deux, du chef brigade de la localité concernée, Satigou, 600 Km de Lomé, c’est le chef d’état-major général de l’armée qui pond un texte laconique, sans signature ni armoiries et effigies. On aurait dit un tract. L’armée se rachètera plus tard dans la journée en reprenant le même texte, avec une mise en page plus convenable.
Ensuite, aucune précision n’est donnée quant à la nature de l’explosion. Est-ce une bombe artisanale ou conventionnelle, un mauvais pétard ou une mine anti-personnelle ? Nul n’en sait strictement rien. Enfin, des sorties vidéos et audios provenant d’habitants du village en question font cas, sur les réseaux sociaux, d’une “immense explosion provoquée par un hélicoptère ou un drone”. Tous ces éléments sont suffisants pour que, comme l’a fait le journal, il émette, ne serait-ce que des doutes. Le convoquer pour cela est totalement incompréhensible.
Equivalent du Conseil supérieur de l’audiovisuel (Csa) en France, la Haac en est la copie-collée mais insidieusement musclée des pays francophones d’Afrique de l’ouest. Elle est à mi-chemin entre “un régiment de répression contre les médias” et “une autorité de régulation”. Elle aurait pu, comme en France, contrôler les temps de parole et l’accès aux médias publics pour tous ; ici, elle est un laboratoire additif du parti au pouvoir au profit duquel elle fait zèle et bruits. Ce qui a eu pour effet de la discréditer totalement. Pire, dans le cas du Togo, ce sont les journalistes les plus médiocres des médias publics qui y finissent, en garage doré, ce qui en fait à la fois un parloir des incohérences et une assemblée dont le premier effet est de coûter trop cher aux contribuables.
D’ailleurs, alors que l’équipe actuelle est en fin de mandature depuis près d’une année, personne ne fait de son remplacement une préoccupation, c’est la preuve, s’il en a, qu’elle est si inutile, si ce n’est dans les travers, et que nul ne lui porte œil. Le problème n’est pas que les médias aient, ce qui est de leur droit, émis des doutes.
C’est même une nécessité journalistique et dans le cas d’espèce, indispensable. Le grand problème est que la question soit gérée au pifomètre, entre communiqués laconiques et blackout total. Alors qu’il en va de notre sécurité à tous. La meilleure manière d’avoir les populations et l’opinion de son côté est que le gouvernement et l’armée gèrent la question du terrorisme de la façon la plus transparente. Le Togo dispose de l’une des meilleures armées de la sous-région, elle doit disposer du matériel adéquat et surtout, faire de l’opinion son principal partenaire. Il n’y a jamais eu meilleur service de renseignements que le bouche à oreille. Il faut intégrer ce facteur, laisser le procureur de la République communiquer en toute transparence sur les attaques terroristes, faute de quoi, les médias iront des moyens dont ils disposent. Et le doute en est l’un, si ce n’est la méfiance et le discrédit.
Cette convocation du Directeur du journal “Liberté” qui a tous nos soutiens est donc totalement inopportune et surtout maladroite. J’ai toujours pensé que, comme dans les pays anglosaxons, la meilleure régulation des médias doit provenir soit de l’opinion, soit de l’auto-régulation. Cela éviterait ces acharnements de la Haute autorité de l’audiovisuel et de communication. J’en ai payé le prix en étant convoqué presque chaque semaine, à un moment de ma longue carrière au Togo. Et le plus souvent, au lieu d’un débat de bon niveau anglé sur le métier, c’est le bal des délires porté par ces membres dont, à l’exception d’un ou de deux, tous ont été soit de mauvais journalistes soit n’ont jamais écrit un article ou réalisé une émission. Même si des sangliers et des phacochères peuvent se ressembler, les uns ne portent pas de dents externes, les autres oui. Et quand on n’en sait rien, on a vite fait de les confondre.
La Haac doit être une chambre de professionnels de médias et non le musée pré-mortem de ces journalistes qui ont fait carrière de griots, en faveur du parti au pouvoir.La presse, et cela la Haac ne le sait peut-être pas car il y a si peu de vrais journalistes, a le droit d’émettre des réserves et d’exprimer ses doutes. La lutte contre le terrorisme passe par la transparence.
MAX-SAVI Carmel
Rédacteur en Chef, Afrika Stratégies France