Burkina- À l’heure des grands questionnements

À présent, le deuxième coup d’État de l’année est totalement consommé au Burkina. Il a suffi d’une petite semaine aux putschistes pour faire l’unanimité autour d’eux. Même la Cédéao, pourtant chahutée et vilipendée à Ouagadougou, a entériné, de fait, ce putsch. Ne doit-on pas en déduire qu’en Afrique, certains coups d’État sont acceptés, parfois même souhaités par les populations ?

L’on est gêné de voir les Bukinabè, huit mois après s’être réjouis d’un premier putsch, revenir, dans la même candeur, applaudir le suivant. Certes, il mérite son sort, le vaincu. Mais, peu de peuples raisonnables s’accommodent tant des coups d’État. Le Burkina est à un de ces carrefours où l’intelligence collective commande de s’interroger sur les racines profondes du mal qui vous rabaisse : cette vulnérabilité chronique, qui fait qu’un État peut être cueilli aussi facilement, en quelques heures, par un officier plus ou moins jeune, plus ou moins instruit, et presque toujours peu qualifié. Ils doivent aussi s’interroger sur ce qu’il faut de désespérance à un peuple pour se laisser ainsi séduire par chaque militaire qui se présente en sauveur.

D’aucuns soutiendront que ces foules hétéroclites qui applaudissent sont davantage constituées de frustrés et autres laissés-pour-compte, que de citoyens informés, au fait des réels enjeux. Qu’il soit mû par le suivisme d’un instinct grégaire ou par une conscience citoyenne éclairée, cet enthousiasme facile est source de circonspection. Car les slogans scandés dans les rues de Ouagadougou n’ont jamais sorti aucun peuple du gouffre, jamais assuré le développement à aucune nation. Le salut passe donc par leur aptitude à ne pas se tromper de questionnements.

Tout cela ne se règlera-t-il pas par le calendrier du retour à la légalité constitutionnelle ? La Cédéao semble rassurée, après tout…

À force de n’aborder ces coups d’État que par le petit bout, épicier, de la lorgnette, la Cédéao devient inaudible. Car enfin, de quelle utilité peut donc être, pour un peuple, un ordre constitutionnel qui risquerait d’être rompu dans cinq ans, ou même dix, parce que les fondations auront été bâclées ? Chaque chef d’État devrait se souvenir qu’il a été, lui aussi, opposant. Avec le recul de trente ans de démocratie plus ou moins chaotique, tous savent, aujourd’hui, que ce ne sont pas les coups d’État le problème, mais les comportements au pouvoir qui les justifient, ou servent d’alibis aux putschistes. Un dirigeant qui respecte les engagements qui l’ont porté au pouvoir et les règles qui lui ont permis d’y accéder a moins à craindre que celui qui gouverne contre l’intérêt général et change les règles, par calculs personnels.

Faut-il comprendre que faire le bonheur de son peuple peut éviter à un dirigeant un coup d’État ?

Cela se peut. Au Nigeria, le président Muhammadu Buhari, en bientôt huit ans de pouvoir, n’a certainement pas fait des Nigérians le peuple le plus heureux de la terre. Mais, en début d’année prochaine, il s’en ira, sans ruser, parce que telle est la loi. Muhammadu Buhari a été général dans l’armée. Putschiste, il a renversé le président Shehu Shagari, puis dirigé le pays avant d’être lui même renversé par un autre militaire. Revenu au pouvoir par les urnes, il termine son second mandat en démocrate : en faisant ses cartons. L’histoire sera infiniment plus généreuse avec lui que s’il avait usé d’artifices pour s’accrocher.

Diriger un pays ne consiste pas à expédier tant bien que mal les affaires courantes, à voler d’urgence en urgence, d’incendies en incendies mal éteints. Un leader sait imprimer à son peuple une vision qui suscite l’adhésion, et même l’enthousiasme, lorsque la population voit son destin changer, en bien. Tout cela suppose un minimum d’amour pour le peuple que l’on prétend conduire.

Jean-Baptiste Placca

RFI

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