Au contact des délices du pouvoir, les plus belles intentions des putschistes s’évaporent parfois si vite que l’on ne peut que consentir à leurs concitoyens la faveur de les laisser juger les nouveaux putschistes à leurs seuls actes. Pas à l’aune des charges qu’ils alignent contre leur camarade Sandaogo Damiba, qu’ils viennent de débarquer.
Neuf mois après son coup d’État contre Roch Marc Christian Kaboré, le lieutenant-colonel Damiba a donc été, à son tour, renversé par ses propres camarades. Ce que l’on présentait, hier en début de journée, comme une simple revendication de primes non versées s’est avéré être un nouveau coup d’État. Que dire de ces putschs à répétition, dans un pays dont la situation sécuritaire ne cesse, par ailleurs, de se dégrader ?
Ce qu’il y a de prodigieux dans les proclamations de coup d’État, c’est qu’elles sont attrayantes à souhait, suffisamment pour que chacun y trouve de quoi apaiser ses éventuelles frustrations. Les nouveaux putschistes étaient manifestement excédés par le peu de cas que faisait Sandaogo Damiba des questions sécuritaires, qui sont pourtant l’excuse à peine acceptable à son coup putsch. À l’évidence, ses amis, les nouveaux putschistes, acceptaient mal ce qu’ils qualifient de « restauration au forceps d’un ordre ancien », entendez : Blaise Compaoré, à qui il a concédé des amabilités, « au mépris de la justice », insistent ses tombeurs.
Ces griefs rejoignent la multitude d’autres qui se relayaient, ces derniers temps dans l’opinion. Oserait-on pour autant suspecter les nouveaux putschistes d’avoir conçu ces déclarations pour se rallier, à bon compte, une opinion déjà agacée par bien des postures du président Damiba ?
Il faut donc féliciter le capitaine Ibrahima Traoré !
Avant de lui jeter des fleurs, attendons d’apprécier si, face aux privilèges du pouvoir, il sait rester fidèle à ce qu’il proclame. C’est le capitaine d’aviation Jerry Rawlings qui affirmait, peu avant son arrivée à la tête du Ghana, être expert dans ce que c’est que d’aller se coucher le ventre vide. Nombre de militaires, dans les armées africaines, tirent, en effet, le diable par la queue.
Au contact des délices du pouvoir, leurs plus belles intentions peuvent vite s’évaporer. La preuve : il a fallu très peu de temps au président Damiba pour oublier ses vibrants engagements de janvier dernier. Rien ne nous autorise donc, à l’instant présent, à penser que ceux-ci, aujourd’hui, resteront davantage en cohérence avec leur proclamation que ceux-là, hier. Soixante ans de coups d’État, en Afrique, n’auront qu’une succession de fausses promesses, parfois de trahisons éhontées.
N’est-ce pas, là, une suspicion de trahison quelque peu excessive ?
Non. C’est juste le constat, désabusé, du peu d’égard qu’ont nombre de putschistes pour leur propre parole. Et cela frise parfois une irresponsabilité qui finit par servir d’alibis à d’autres coups d’État. Les cyniques en déduiraient qu’étant donné que tout le monde semble à nouveau s’accommoder des putschs et des putschistes, il ne sert plus à rien de les déplorer. Un de plus, ou un de moins, quelle importance ! Et certains en viennent à espérer que, tôt ou tard, de l’un de ces coups d’État sans fin émergera, pour sauver la patrie, un Sankara, un Rawlings. Un officier qui se rapprocherait un tant soit peu de ce que furent ces deux leaders charismatiques, cela peut, en effet, changer le destin d’un peuple.
Pourquoi, alors, ne pas accorder aux putschistes le bénéfice du doute ?
La réponse à cette question pourrait être cette confidence, puissante, d’une jeune dame, que vous avez sans doute entendue, hier, au micro de RFI : « On ne peut pas dire que nous sommes fiers d’être Burkinabè ! », disait-elle. Pour avoir été si souvent déçus, et même, par moments, déshonorés par les putschistes, les peuples peuvent prétendre mériter le droit de juger aux actes, et non plus sur la foi de proclamations fourre-tout, conçue pour rallier le plus grand nombre, pour se faire tolérer dans une fonction dans laquelle un bon militaire n’a, en principe, rien à faire.
Jean-Baptiste Placca