L’intrépide Combattant de la cause togolaise et panafricaine, Benni Moïse Benjamin Johnson, nous a quittés le 12 août dernier à 77 ans. Quand j’appris la nouvelle, accablé par la tristesse, je ne pus m’empêcher d’éprouver un sentiment d’amertume et de révolte à l’idée qu’un guide pareil eût à jamais cessé d’espérer le changement politique dans notre pays martyrisé depuis plus d’un demi-siècle. Sans prétendre faire ici son éloge, qu’il me soit permis cependant de joindre ma modeste voix à celles plus qualifiées de sa génération qui donnent le juste concert d’hommage à sa souriante mémoire. Aussi, ces quelques lignes ne veulent-elles qu’exprimer ma gratitude à l’égard du mentor que fut l’homme d’élite que nous pleurons.
Ma première véritable rencontre avec Benjamin Johnson restera l’un des souvenirs les plus marquants du jeune militant de la Convention Démocratique des Peuples Africains (CDPA) que j’étais. C’est en mai 1992, en court séjour à Paris, que j’eus cet honneur. Je l’ai rencontré comme bien d’autres grands noms qui ont fait la CDPA clandestine. Je me souviens, avec une vive émotion, d’une réelle preuve d’affection qu’il me donna dès ce jour-là.
Avant cette rencontre, j’entendais vaguement parler de son combat, entre autres, au sein de la Fédération des Étudiants d’Afrique Noire en France (FEANF), de l’Association des Étudiants et Stagiaires Togolais en France (AESTF). Mais c’est durant mes années d’exil que nous étions devenus plus familiers. Comme pour mieux préparer le jeune militant qui représentait souvent la CDPA à l’Internationale Socialiste, il se donnait tout entier et sans compter à sa formation politique. Que de fois, lors des rencontres publiques ne m’a-t-il pris en aparté pour me parler géopolitique. Il ne cacha nullement le plaisir qu’il éprouvait à servir de façon désintéressée.
Chez Benni Moïse Benjamin Johnson, le devoir de mémoire et de vérité s’accordait toujours à sa nature enthousiaste. Il n’hésita pas, quoi qu’il pût lui en coûter, à dénoncer par exemple ce qu’il tenait pour un manquement. « Fellow, Sylva (Sylvanus Olympio) semblait n’avoir pas saisi toute la portée politique des martyrs de Pya-Hodo. Il aurait dû marquer ces événements du Nord Togo afin d’éviter son excessive exploitation tribale et ethniciste par le régime Eyadéma », me disait-il un jour, à une de nos rencontres. Comme pour lever toute équivoque, il clarifia sa pensée en précisant l’origine septentrionale d’un parent d’Olympio.
Chaque fois que je l’ai rencontré dans les réunions politiques, j’ai noté avec admiration l’immense culture et l’aisance de ces approches qui furent sans complaisance. On prenait plaisir à l’écouter. J’ai toujours été agréablement touché par l’abondance de sa verve accompagnée de son rire ensorceleur, le charme de son vif esprit attirant et captivant.
Il n’est donc pas exagéré d’affirmer que dans ces réunions ou rencontres son esprit clair, son intelligence subtile dominaient les débats. Et pour évoquer l’immensité de sa perte, qui mieux qu’un de ses compagnons de génération pour le faire ? « Il était le meilleur de nous tous », a écrit Antoine Kouévi sur la plateforme de la CDPA.
En effet, Benjamin Johnson fut un guide exceptionnel. Avec le temps, j’ai pu constater à quel point il était écouté et respecté par les camarades du parti, section de France qu’il a dirigé.
Qu’un fervent défenseur de ce rang, qui éleva son engagement militant à la hauteur d’un sacerdoce, soit paradoxalement demeuré dans l’ombre du peuple, il en faut rechercher la cause dans sa personnalité profonde même. En quelque sorte, il était l’incarnation ou l’illustration de l’abnégation, l’altruisme et l’humilité dans la lutte. Il avait en horreur ceux qui « agissent par gloriole ». L’assertion du philosophe selon laquelle « l’humilité est la modestie de l’âme, c’est le contrepoison de l’orgueil », semble avoir trouvé écho dans le caractère du camarade Benni Moïse Benjamin Johnson. Puisse l’exemple de cette noble figure de l’opposition togolaise servir de symbole !
Les « hautes figures disparaissent, mais ne s’évanouissent pas », disait le poète. À présent que la matière entre dans la lumière noire, te voilà très cher Benjamin Johnson, vêtu de tissu kenté-lokpo, paré de perle et d’or dans l’aurore, talqué et parfumé, qui avance au son du tambour parleur Fanti.
Éloi Koussawo,
Novembre 2022